Billet philosophique

Philosophie et transformation sociale

24 avril 2009, par Roger Orlu

Voici une nouvelle illustration de l’esprit que nous souhaitons faire vivre par ce "billet philo" du vendredi dans "Témoignages" : un débat amical — même à partir de points de vue différents — où nous échangeons des idées ; car philosopher c’est réfléchir par soi-même mais aussi dialoguer avec d’autres pour analyser une situation et essayer de la transformer ensemble.

« Un département privilégié »

Ainsi, une amie du Cercle Philosophique Réunionnais, Amélie, a réagi cette semaine à un message du secrétaire de cette association, qui transmettait cette information à ses correspondants : « Notre association étant membre à la fois du COSPAR (Collectif des Organisations Syndicales, Politiques et Associatives de La Réunion) et de Kiltir Partou, je vous informe que le premier collectif se réunit ce lundi 20 avril à Saint-Denis pour débattre entre autres de la préparation des manifestations du 1er mai et des autres actions à mener pour s’attaquer aux causes du malaise social de notre île ».
Réaction d’Amélie : « Une fois encore, le malaise ne vient que de ceux qui font un lavage de cerveau permanent aux autochtones, pour les convaincre de leur misère alors que c’est un département privilégié. Hier j’ai été agressée parce que zoreille, et on m’a dit que les zoreils n’avaient rien à faire sur l’île et qu’ils devaient dégager... ».
Le secrétaire du Cercle Philosophique Réunionnais lui a répondu : « Même si La Réunion bénéficie de certains "privilèges" par rapport aux peuples frères voisins, il y a tout de même de graves inégalités et discriminations qui frappent une grande partie de la population ; il faudrait s’interroger sur les causes de l’agression que vous avez subie, essayer de la comprendre sans forcément la justifier ; d’autant plus que tous les zorèy de La Réunion n’ont pas des comportements colonialistes envers le peuple réunionnais ; en même temps, comment se comportent la majorité d’entre eux à l’égard des Réunionnais les plus pauvres (la moitié de la population selon les derniers chiffres de l’INSEE) ? Soyons solidaires ».

« La liberté c’est ne dépendre de personne »

Voici la nouvelle réponse d’Amélie : « Il faudrait redéfinir la pauvreté.
Est-ce la situation du clochard qui est affamé et dort sous des journaux à Paris en plein hiver ? Est-ce celle de l’Africain dont les bébés meurent parce que la mère n’a plus de lait ? Ou celle de l’Indien dont la durée de vie ne dépasse pas 40 ans ? ».
Et de poursuivre : « Je vois ici une île dont les arbres croulent sous des fruits qu’on ne prend pas la peine de cueillir, des trottoirs jonchés de noix de coco, d’avocats ou de mangues que personne ne ramasse, des jardins qui croulent sous des fleurs, des orchidées coûteuses, alors qu’il n’y a pas le moindre potager.
En métropole, le moindre jardin a ses tomates, ses patates, haricots, radis, thym, laurier, persil, etc... malgré les intempéries, et cela fait faire des économies non négligeables. Il y a toute une éducation à faire : cultiver son jardin au lieu d’acheter tout "tout fait".
Pour les repas, il faut savoir que mijoter tous les jours des carris revient bien plus cher en nourriture (de la viande ou du poisson, voire des camarons ou des bichiques à chaque repas !) comme en électricité ou gaz, que de faire des spaghettis-gruyère, ou une omelette-salade-verte. Là aussi, ce sont des habitudes qui sont coûteuses, et souvent responsables d’obésité. Pourquoi ne pas faire une campagne pour apprendre à manger plus économique et plus sain ? Ce serait aussi très utile pour faire reculer la pauvreté.
Ajoutons à cela qu’en métropole, le plus coûteux est la saison d’hiver, qui correspond à elle seule à 80% du budget : on se plaint du prix de l’essence ; mais en métropole, avec le chauffage au mazout, on peut multiplier la facture par 10.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’en France, on a le RMI et l’allocation logement, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart des autres pays.
Je pourrais continuer longtemps ainsi : encourager les gens à se plaindre au lieu de remonter les manches, c’est les confiner dans un rôle d’assisté. C’est anti-pédagogique ! Aide-toi et le ciel t’aidera ; jette une vielle tomate dans ton jardin et tu récolteras 3 kg de tomates fraîches. Plante un pied de thym et tu en auras pour le reste de ta vie au lieu de payer 1 euro à chaque fois que tu feras un carri.
Le rôle des enseignants est aussi d’éduquer pour rendre les gens responsables et autonomes. La liberté c’est ne dépendre de personne. Et pour cela, il y a un minimum de contraintes ».

« Voix des jeunes contre le racisme »

Quoi que l’on pense de ces propos, puisque Amélie parle de « pédagogie » et du « rôle des enseignants », nous invitons nos lecteurs à aller sur le site de "SHS regards", le magazine du Secteur des sciences sociales et humaines de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture). (1) Le dernier numéro de cette revue (janvier – mars 2009) est consacré en grande partie aux « voix des jeunes contre le racisme ».
Il nous montre que pour toute personne qui souhaite "philosopher", c’est-à-dire "aimer la sagesse" au point de la rechercher et de se battre pour elle, une des tâches prioritaires est la lutte contre le racisme, les discriminations, la xénophobie, l’intolérance. (voir l’affiche ci-contre de la Conférence mondiale contre le racisme, organisée à Durban en 2001) D’ailleurs, « au cœur même du mandat de l’UNESCO, la promotion des droits humains, l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore le dialogue des cultures et des civilisations sont, de fait, inscrits dans tous les programmes de l’Organisation depuis son origine ».
Dans un pays comme La Réunion, où les survivances et les séquelles de la colonisation et de l’esclavage — ajoutées aux nouveaux ravages humains du capitalisme mondialisé — se traduisent par de profondes et graves inégalités et discriminations, ce combat nous concerne toutes et tous. N’y a-t-il pas un lien entre la philosophie et la transformation sociale ?

Roger Orlu

* Envoyez vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! [email protected]
(1) www.unesco.org/shs/regards


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