Eugène Rousse

Pour une Europe plus démocratique, votons “non” le 29 mai prochain

25 mai 2005

(pages 4 & 5)

Après 16 mois de débats, 95 des 105 membres de la Convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing se sont mis d’accord sur un projet de Traité constitutionnel sur lequel les Français sont appelés à se prononcer par voie référendaire le 29 mai prochain.
À la veille d’un scrutin dont l’importance exceptionnelle a été signalée par la totalité de la classe politique française, il m’a semblé utile de rappeler un certain nombre de faits.
Fin mars 2005, devant la montée du “non” dans les sondages, Jacques Chirac, en voyage en Chine, adjure les Français de voter “oui” pour sauvegarder le modèle social français.
À la même époque, commentant la grève nationale des médecins urgentistes, le docteur Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France, déclare à la presse : "on ne s’intéresse pas à la place des personnes âgées dans notre société... Faute de soins, des malades décèdent à l’hôpital... comme si la personne n’avait plus d’intérêt pour le pays dès lors qu’elle vieillit et tombe malade...".
Cet affligeant constat est porté à la connaissance de l’opinion moins de 2 ans après la canicule d’août 2003 qui a causé le décès de quelque 15.000 personnes âgées, dont un grand nombre privé de toute assistance. Une telle catastrophe sanitaire est évidemment due au dramatique sous-équipement de la France en établissements de soins et à un recrutement insuffisant de personnels.
Devant un pareil drame dont il porte l’entière responsabilité - la démission du ministre de la Santé le prouve - le gouvernement Raffarin impose autoritairement une journée de travail gratuit au bénéfice des personnes âgées, alors que le simple retour à une politique fiscale plus juste lui aurait procuré les fonds dont il a besoin.

Un "modèle social français" pas très glorifiant !

Autre mesure qui témoigne d’une obstination à ne pas tirer tous les enseignements de la tragédie d’août 2003 : la suppression en 2005, sans la moindre concertation, d’une prestation sociale relative à l’habitat mise en place en 1975. Prestation visant à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées.
Voilà en matière de santé, la réponse anticipée du gouvernement à l’appel de Jacques Chirac. Par ailleurs, il y a une certaine inconscience, voire de l’indécence à demander que soit "sauvegardé le modèle social français" lorsque l’on sait qu’en France :
o Le seuil des 10% de chômeurs vient d’être franchi. Victimes des plans sociaux, des fermetures et des délocalisations d’entreprises, des travailleurs ne doivent compter pour survivre que sur les minimas sociaux. Ils sont 4 millions dans ce cas.
o Le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté se chiffre dans l’hexagone à 7 millions (55 millions dans l’Europe des 15).
o La misère ne frappe évidemment pas toutes les couches de la société. La presse nous a appris récemment que les bénéfices des sociétés du CAC 40 se sont élevés à 50 milliards d’euros l’an dernier, 20 fois plus que ce qui est attendu de la journée de travail forcé du 16 mai. Au moment même où ces lignes sont écrites, les raffineries de pétrole du groupe Total sont à l’arrêt ; les employés de cette société s’étant mis en grève afin d’obtenir que les 9 milliards d’euros de bénéfice net enregistré au titre de l’année 2004 ne profitent pas qu’aux seuls actionnaires de Total. Comment ne pas mentionner que le PDG de Carrefour, congédié pour mauvaise gestion, a réclamé et obtenu très récemment 38 millions d’euros d’indemnité de départ, soit plus de 2.500 années de SMIC.
o À Paris, des milliers de familles s’entassent dans les quelque 500 hôtels insalubres transformés en meublés qui font la fortune des marchands de sommeil. Cela en raison d’une politique de construction de logements ne tenant nullement compte des besoins. Ce qui explique que de nombreuses personnes ayant un emploi viennent régulièrement grossir les rangs des SDF, alors que dans la capitale française, on ne dénombre pas moins de 30.000 logements inoccupés.

L’égalité hommes-femmes est loin d’être une réalité

Point n’est besoin que je m’étende davantage pour que chacun puisse se faire une idée précise du "modèle social français" que Jacques Chirac nous demande de "sauvegarder" en votant “oui” le 29 mai prochain.
C’est également au cours d’un voyage en Chine que Jean-Pierre Raffarin adresse, le 22 avril dernier, une mise en garde aux Français.
Devant la persistance de la montée du “non” dans les sondages, le Premier ministre qui feint d’oublier qu’il n’a plus la confiance de l’immense majorité de ses compatriotes, tente de les persuader que "le “oui” est porteur d’un projet tandis que le “non” est porteur d’un désordre". Ce qui me conduit à examiner très sommairement le projet défendu par Jean-Pierre Raffarin.
Ces tout derniers jours, la presse a mis l’accent sur le danger que représente pour La Réunion le remplacement, dans le texte qui nous est soumis le 29 mai, de l’excellent article 299-2 du Traité d’Amsterdam signé le 2 décembre 1997 par l’article III-424. Cette seule modification - prise probablement sans que la voix de l’Outre-mer français soit entendue - suffit à justifier un “non” massif des Réunionnais.
Les partisans du “oui” estiment que la "Charte des droits fondamentaux" du nouveau projet de traité constitue une importante avancée par rapport aux chartes précédentes concernant l’Europe.
En fait, cette "Charte des droits fondamentaux" n’est que la reprise de ce qui figure dans les précédents traités dont les conventionnels se sont bien gardés de faire le bilan.
Prenons un seul exemple : l’égalité hommes-femmes. Cette égalité est affirmée dans l’article II-83 du traité soumis au référendum du 29 mai.
Mais il nous faut rappeler que l’égalité hommes-femmes a déjà été proclamée par l’article 2 du Traité de Rome du 25 mars 1957. Elle a été réaffirmée dans la Charte de Turin du 18 octobre 1961 plus connue sous le nom de "Charte sociale européenne" qui garantit également le "droit au travail" et un "niveau de vie décent".
S’agissant de la France - pays initiateur de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme signée à Paris le 10 décembre 1948 - la loi du 22 décembre 1972 oblige "tout employeur à assurer à travail égal une même rémunération quel que soit le sexe".
Force est de constater qu’en dépit des lois et des traités, l’égalité hommes-femmes est loin d’être une réalité, puisqu’actuellement, l’écart de salaire net moyen entre hommes et femmes dans le secteur privé et semi-public pour un travail à temps complet est de 20%.
Les partisans du “oui” sont également convaincus que le projet de Traité constitutionnel protège les services publics.
Là aussi, ils se trompent et s’efforcent de nous tromper.
Alors que le Traité de Nice du 26 février 2001 avait expressément inscrit ces services dans "les valeurs communes de l’Union européenne", le nouveau traité permet de confier aux entreprises privées des missions de service public. Ces entreprises étant soumises évidemment au même régime que toutes les autres entreprises en matière de "concurrence libre et non faussée". L’article III-148 incite même à la "libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire".

Rien ne va plus dans les services publics européens

Nous sommes donc fondés à penser que demain, en France, si le “oui” l’emporte le 29 mai, des services comme La Poste, les transports, l’éducation, la santé courent le risque d’être privatisés, de même qu’EDF et GDF.
Il est bon de savoir que :
o La libéralisation de La Poste en Suède a entraîné une hausse des tarifs de plus de 70%, une diminution de 25% des emplois, une fermeture de 25% des bureaux jugés non rentables.
o Au Royaume-Uni, la privatisation des chemins de fer a provoqué un accroissement sensible des accidents ferroviaires, ainsi qu’une flambée des prix du transport.
o En France, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire - en application d’une directive européenne prise avant le vote du 29 mai - aura pour conséquence d’accroître dangereusement le trafic routier avec la mise en circulation prochaine de 200.000 poids lourds de plus qu’aujourd’hui.
o En France également, la menace qui pèse sur les services publics dont le fonctionnement incombe à l’État se précise. C’est pour défendre ces services publics récemment supprimés dans la Creuse (centre de la France) que 260 élus (toutes tendances confondues) de ce département ont démissionné en avril dernier.
o Au Royaume-Uni, le système éducatif est entre les mains d’entreprises privées avec lesquelles l’État a signé des contrats qui sont une source de profits considérables pour ces entreprises. C’est un enseignement à deux vitesses qui est proposé aux élèves d’outre-manche. Ceux issus majoritairement des milieux défavorisés doivent se contenter d’un socle de connaissances ne comprenant qu’un minimum de disciplines et conduisant à une sortie précoce (14 ans) du système éducatif. La loi Fillon, pour l’adoption de laquelle le ministre français de l’Éducation nationale vient de recourir à la procédure d’urgence, n’est pas sans rappeler (avec son socle commun des fondamentaux) le système anglais. Cela en application d’une "stratégie" élaborée par le Conseil européen de Lisbonne (23-24 mars 2000) qui a fixé les objectifs à atteindre par l’Union européenne en matière d’éducation.
Se rendant parfaitement compte que les Français aspirent à construire une Europe sociale, une Europe fraternelle dans laquelle l’harmonisation des droits sociaux ne sera pas subordonnée au marché, le gouvernement a fait ces derniers temps quelques maigres concessions au 5 millions de fonctionnaires et aux 640.000 agriculteurs de France.
N’ayant toutefois pas réussi à freiner la progression du “non” dans les sondages, les plus hauts responsables de l’État n’hésitent pas à recourir aujourd’hui au chantage, à user et à abuser du service public de radio et de télévision, à faire intervenir dans le débat relatif au projet de Traité constitutionnel des chefs d’États étrangers et à diaboliser les partisans du “non”.
Ils nous donnent ainsi une raison supplémentaire de répondre “non” à la question qui nous est posée le 29 mai. Ce, d’autant qu’il nous paraît pour le moins singulier que les responsables de la casse sociale, dans leur propre pays, puissent prétendre œuvrer pour plus de justice sociale dans les 24 autres pays de l’Union européenne.

Eugène Rousse


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus