Débat à Pierrefonds sur les conséquences du traité constitutionnel pour La Réunion

Quand la jeunesse apporte sa contribution citoyenne

18 avril 2005

Quel serait l’impact sur La Réunion des articles contenus dans le projet de loi fondamentale européenne proposé aux électeurs le 29 mai prochain ? Ce fut l’objet du débat organisé samedi à Pierrefonds par un collectif d’organisations favorables au “non”.

(Page 3)

Pour enrichir le débat introduit et animé samedi dernier à Pierrefonds par Claude Hoarau, les participants ont d’abord pu suivre les interventions de deux chercheurs réunionnais : Bernard Pitou, professeur de Philosophie, et Shantala Hoarau, doctorante en Histoire.
Le philosophe a exposé toutes les menaces sur la démocratie contenues dans ce texte. Quant à Shantala Hoarau, qui projette de soutenir une thèse de doctorat sur les relations entre La Réunion et l’Union européenne, elle a exposé les risques d’une évolution de ce partenariat en notre défaveur.
Ces interventions furent suivies d’un débat au cours duquel Élie Hoarau a indiqué de quelle manière nous pourrions faire évoluer à notre profit nos relations avec l’Europe, en montrant aux 25 États membres tout ce que nous apportons à l’Union. Il a aussi expliqué pourquoi, fondamentalement, un tel texte est inacceptable. (voir en page 4)

Manuel Marchal


Bernard Pitou : Une régression de la démocratie

Pour Bernard Pitou, le déni démocratique du projet de traité vient tout d’abord du mode d’élaboration de ce texte qui, s’il était ratifié, deviendrait le texte fondamental de l’Union européenne. "Il n’a pas été écrit par des élus mandatés pour écrire cette Constitution", rappelle le professeur de philosophie.

Ce texte a en effet été rédigé par une Convention, pas par une assemblée parlementaire constituante. Puis il a été remanié par le Conseil européen. "Et lorsque Jean-Claude Fruteau affirme publiquement que la démocratie a été respectée parce que 700.000 personnes ont visité le site internet rapportant les travaux de la Convention, on peut lui rétorquer que cela ne représente que 0,2% de la population de l’Union européenne", poursuit-il. Face à ce pourcentage aussi insignifiant, comment peut-on parler de respect de la démocratie ?
Claude Hoarau faisait d’ailleurs remarquer que l’on aurait pu imaginer que le Parlement européen élu en mai dernier ait comme mandat de rédiger une Constitution et d’être ainsi une assemblée constituante.
"Les partisans du texte affirment également que les associations ont été consultées", dit Bernard Pitou, "mais on peut s’interroger sur leur représentativité".

Démocratie bafouée

Après l’élaboration, vient l’analyse du texte du traité constitutionnel, dans lequel "la démocratie est bafouée par le fonctionnement des institutions". L’enseignant relève en effet que le projet oublie la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Une séparation qui est un rempart contre la tyrannie, une séparation qui n’existe pas dans le traité constitutionnel car "les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une commission qui n’est pas responsable devant un Parlement élu".
Sur le rôle de cette dernière institution, seule émanation de la volonté populaire à travers son élection au suffrage universel, Bernard Pitou affirme que "c’est un leurre de dire que le pouvoir du Parlement augmente, car il n’est au mieux que co-législateur et il n’a pas l’initiative de proposer des lois".

Un leurre

Quant à une mesure annoncée comme une avancée, à savoir le droit de pétition, ce n’est aussi qu’un "leurre, car la Commission peut faire ce qu’elle veut de cette pétition signée par un million de personnes, elle peut la mettre à la poubelle ou la ranger dans un tiroir".
Citoyens et travailleurs sont menacés par un texte qui a comme objectif de faire baisser le coût du travail dans l’Union européenne. Toutes ces raisons énoncées par Bernard Pitou explique pourquoi, à partir des menaces qui pèsent sur la démocratie, on ne peut que voter “non” à ce texte.

M. M.


Shantala Hoarau : Des acquis menacés

Invitée à prendre la parole, Shantala Hoarau a apporté au débat l’éclairage de ses travaux d’historienne sur les relations entre La Réunion et l’Union européenne, thème de la thèse de doctorat qu’elle est actuellement en train de préparer.

La jeune chercheuse a tout d’abord rappelé l’Histoire des relations entre l’Europe et La Réunion. Des relations marquées depuis l’origine par un système dérogatoire. C’est à dire par l’adaptation des mesures prises au niveau de l’Europe, ou alors par leur non-application.
Ce mécanisme est présent depuis la signature du traité de Rome, fondateur de la Commission économique européenne, en 1957. "C’est ce régime dérogatoire qui a permis en grande partie le développement de La Réunion", précise Shantala Hoarau, pour qui "le traité constitutionnel met en danger ce système dérogatoire".

Un système dérogatoire...

Dès 1957 se posait déjà la question : comment faire entrer dans la CEE les DOM, alors qu’ils avaient un niveau de développement bien différent des 6 pays fondateurs du Marché commun. Et depuis cette date, la dérogation est la solution privilégiée, avec des dispositifs illégaux au niveau de l’Union européenne, mais qui sont tolérés, comme par exemple l’octroi de mer, le maintien des monopoles, ou alors l’attribution pour La Réunion du Fonds européen de développement (FED).
Shantala Hoarau rappelle que le FED est un dispositif qui est prévu à l’origine pour les pays du Tiers-Monde, qui ne font donc pas partie des États membres de l’Union européenne.

...confirmé à deux reprises

Deux événements d’importance confirment l’ancrage de ce système dérogatoire spécifique aux DOM au sein de la Communauté européenne.
Tout d’abord, en octobre 1978, un arrêt de la Cour européenne de Justice - “arrêt Hansen” - reconnaît, dans un premier temps, le principe d’application du droit de la communauté européenne aux DOM. Ce qui veut dire que La Réunion est intégrée à la CEE.
Mais dans un deuxième temps, l’arrêt de la Cour de Justice européenne souligne que "le Traité de Rome ménageant les plus larges possibilités de prévoir des dispositions particulières adaptées à la situation géographique, économique et sociale particulières des DOM, il reste toujours possible de prévoir des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires".
Cela signifie que la Cour européenne de Justice reconnaît qu’en fonction des spécifités réunionnaises, des dérogations au droit communautaire sont possibles.

Le travail de Paul Vergès

Ensuite, en juin 1979, Paul Vergès est élu au Parlement européen. Il y sera "le porteur de la valorisation de l’outre-mer", souligne la jeune chercheuse, qui explique qu’ensuite les étapes s’enchaînent avec tout le travail de Paul Vergès.
Tout d’abord, le rapport d’initiative du député réunionnais au Parlement européen en 1984, avec l’affirmation des handicaps structurels de nos îles.
Ensuite, l’adoption à l’unanimité du rapport Ligios en 1987, ce qui signifie la reconnaissance unanime de nos spécificités par le Parlement européen.
Vinrent ensuite les programmes POSÉIDOM, la reconnaissance de nos spécificités en annexe du traité de Maastricht en 1992, puis dans le corps du traité d’Amsterdam (article 299-2), ce qui équivaut à la légalisation du système dérogatoire.

Menaces sur les dérogations

Mais, souligne Shantala Hoarau, ce sont tous ces acquis qui sont remis en cause dans le projet de traité constitutionnel : "la dérogation s’oppose à l’article I-3 du traité, qui garantit un marché dans lequel on a “une concurrence libre et non faussée”". "Cela condamne toutes les mesures dérogatoires", souligne-t-elle, en prenant comme exemple la filière canne. "Si l’État intervenait pour soutenir la filière et que le traité soit entré en vigueur, alors cela serait anticonstitutionnel au niveau européen".
Selon le projet soumis à référendum, les RUP comme La Réunion ont droit à des mesures dérogatoires, mais ces dernières sont prises à l’unanimité des 25 États-membres, qui ont des régions plus pauvres que La Réunion, note Shantala Hoarau. Et si de telles mesures arrivent à être acceptées, alors elle ne peuvent être qu’exceptionnelles et très limitées dans le temps. D’où cette question posée par Shantala Hoarau : "comment envisager un développement durable de La Réunion sur des ressources aussi aléatoires ?".
Comment en effet peut-on accepter à La Réunion un texte qui additionne recul de la démocratie et remise en cause de notre droit au développement ? C’est tout l’enjeu du scrutin du 29 mai. Et sur ce point, le débat de samedi dernier a apporté un précieux éclairage.

M. M.


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