Le Pakistan après l’assassinat de Bénazir Bhutto

Que représentait, politiquement, Benazir Bhutto ?


29 décembre 2007

Cette femme de 54 ans, qui dirigeait le Parti du Peuple Pakistanais (PPP), représentait une des alternatives les plus crédibles au pouvoir de Pervez Musharraf, dont la victoire à l’élection présidentielle du 6 octobre est contestée. Dès son retour d’exil, en octobre, elle avait été la cible d’une première tentative d’attentat.

Jusqu’à cet été, Benazir Bhutto était accusée par le pouvoir Pakistanais de diverses charges, dont la corruption. Sous la pression des Américains, Musharraf a accepté de mettre fin à son exil, qui a duré 8 ans. Il avait ensuite engagé avec elle des négociations pour un partage du pouvoir.
Affaibli aux yeux de l’Occident, le président-général pakistanais avait besoin d’une caution "démocrate". En contrepartie, Pervez Musharraf a quitté son poste de chef des armées fin novembre et signé un décret amnistiant "B-B" des accusations de corruption qui lui ont valu de quitter le pays en 1999, principale condition qu’elle posait pour rentrer au Pakistan et partager le pouvoir.

Leur entente aura pourtant été de courte durée. Assignée à résidence quelques jours après son retour triomphal en raison de l’état d’urgence décrété par Musharraf, Benazir Bhutto a accusé le pouvoir de réprimer son parti et de l’empêcher ainsi de mener à bien sa campagne pour les Législatives du 8 janvier. Décidée à organiser une longue marche de Lahore à Islamabad pour réclamer la levée de l’état d’urgence, Benazir Bhutto avait alors réclamé la démission du général Musharraf.

Benazir Bhutto était une figure charismatique chez une grande partie des 165 millions de Pakistanais. Belle, cultivée (elle a étudié à Harvard), issue d’une très riche famille du Sindh, elle était la fille du très populaire Zulfikar Alî Bhutto, Président du Pakistan, renversé en 1977 par le général Zia ul-Haq, et exécuté par pendaison deux ans plus tard.
Reprenant la tête du PPP fondé par son père, elle a été Premier ministre à deux reprises, en 1988-1990 et en 1993-1996, sans laisser un grand souvenir. Lors de son second gouvernement, elle avait encouragé l’arrivée au pouvoir des talibans à Kaboul.

Se présentant ces dernières semaines comme l’incarnation de la démocratie, elle avait le soutien des Etats-Unis. Elle était la bête noire de Musharraf, mais aussi des islamistes. Bhutto a en effet adopté des positions très dures face à ces derniers. Elle n’était ainsi pas hostile à une intervention de l’armée américaine dans les zones tribales sensibles ; et l’été dernier, elle a soutenu la répression sanglante décidée par Musharraf contre les islamistes de la "Mosquée Rouge" d’Islamabad.

Qui avait intérêt à la voir disparaître ?

« Je sais exactement qui veut me tuer », confiait Benazir Bhutto à un journaliste de “Paris-Match”, au lendemain d’un premier attentat qui avait fait 133 victimes à Karachi le 18 d’octobre. « Ce sont les dignitaires de l’ancien régime du général Mohamad Zia ul-Haq, qui sont aujourd’hui derrière l’extrémisme et le fanatisme ». Le père de Benazir Bhutto, Ali Bhutto, avait été déposé par le général Zia en 1997, avant d’être exécuté. Décédé dans un accident d’avion, Zia garde des partisans au sein de l’armée pakistanaise, et en particulier au sein des services de renseignement.

Une chose est en tout cas certaine, si Benazir Bhutto comptait beaucoup de supporters au Pakistan, elle y avait également beaucoup d’ennemis. Outre les nostalgiques de Zia, elle était la bête noire des intégristes, qui l’accusaient d’être une marionnette de l’Amérique.
Elle avait ainsi récemment déclaré qu’en cas d’arrivée au pouvoir, elle envisageait d’autoriser l’armée américaine à pénétrer en territoire pakistanais pour remettre de l’ordre dans les zones tribales, à la frontière afghane, où les partisans de Ben Laden sont nombreux.

Selon les services de renseignement pakistanais, trois groupes proches d’Al-Qaeda ou des Talibans avaient menacé l’ex-Premier ministre. Elle aurait également laissé entendre qu’elle était prête à autoriser l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à auditionner le père de la bombe atomique pakistanaise et véritable héros national, Abdul Qadeer Khan. Dans “Time Magazine”, l’analyste pakistanais Nusrat Javed tempérait :
« Ces déclarations ont été manipulées par les médias pour faire croire qu’elle était prête à faire tout ce que désirent les Etats-Unis, ce qui est très impopulaire ici au Pakistan. Ajoutez à cela sa volonté affichée d’éradiquer l’extrémisme dans les zones tribales, elle a provoqué tous les suspects habituels du jeu politique local ».

Reste, évidemment, le principal bénéficiaire de cette disparition : Pervez Musharraf. Depuis des années, l’ancien Premier ministre ne cachait pas son intention de mettre un terme à la dictature militaire de Musharraf. Et l’accord de partage du pouvoir, patronné par les Américains, qui avait présidé au retour de Benazir Bhutto au Pakistan, semblait déjà enterré. Bhutto s’était récemment rapprochée d’un autre opposant au pouvoir et ancien Premier ministre, Nawaz Sharrif, pour établir une liste de demandes au gouvernement pour garantir un scrutin libre le 8 janvier. Lequel Sharrif a également été la cible d’un attentat, raté, ce jeudi.

Récemment, Bhutto avait accusé des éléments proches du pouvoir de manipuler ceux qui voulaient la tuer. « Je n’accuse pas le gouvernement, avait-elle précisé. J’accuse certaines personnes qui abusent de leur situation et de leur pouvoir ». Elle aurait même remis à Musharraf une liste de suspects.
« Même si Musharraf ne voudrait pas tenter quelque chose contre Bhutto, il n’y a aucune garantie que quelqu’un d’autre de ce camp ne soit pas impliqué », confirme l’éditeur pakistanais Kamran Noorani.
Une piste également privilégiée depuis Dubaï par Asif Ali Zardari, mari de Bhutto, qui a mis en cause le gouvernement pakistanais. « C’est l’œuvre des services de renseignement », avait-il déclaré après l’attentat du mois d’octobre. (...)

Et maintenant ?


L’assassinat de Benazir Bhutto intervient quelques jours seulement avant les élections législatives du 8 janvier. Des élections dont la tenue était déjà problématique, à l’issue d’une année des plus mouvementées, et dont on peut légitimement se demander si elles peuvent réellement avoir lieu dans le climat de tension qui suit la disparition de l’un des principaux candidats.
Peu après l’annonce de la mort de l’ancien Premier ministre, des émeutes ont démarré à Karachi, la plus grande ville du pays. Les partisans de Bhutto ont mis le feu à des voitures et des devantures de magasin, avant d’affronter les forces de l’ordre.

L’année 2007 fut, pour les Pakistanais, une année éprouvante. Multiplication des attentats, tensions dans les zones tribales à la frontière afghane, bras de fer entre le pouvoir du général Musharraf et la société civile - notamment la Cour suprême et les avocats -, et pour finir avec l’état d’urgence décrété le 3 novembre par le chef de l’Etat, mais finalement levé le 16 décembre pour ouvrir la voie au scrutin du 8 janvier.

L’hypothèse Bhutto a aujourd’hui disparu, et le Pakistan, puissance nucléaire, faut-il le rappeler, est de nouveau confronté à une instabilité chronique dont il est peu probable que le scrutin du 8 janvier, s’il est maintenu, parviendra à le sortir. Le maintien au pouvoir du général Musharraf est de moins en moins acceptable aux yeux d’une bonne partie de la population et des élites, et aucune personnalité ne semble aujourd’hui en mesure de réunir un soutien suffisant pour gouverner ce pays clivé.
Une situation dangereuse dans une région à haut risque, avec la guerre loin d’être facile pour l’Otan dans l’Afghanistan voisin, et la polarisation de la société pakistanaise à son paroxysme.

(Sources : Rue89)


Condamnation du MRA de l’assassinat de Benazir Bhutto

Dans l’Océan Indien comme à La Réunion, nombreux sont ceux et celles qui se sentant particulièrement concerné(e)s par les évènements de la zone indo-pakistanaise.
Le Mouvement La Réunion Autrement déplore bien sûr la montée de la violence au Pakistan qui connaît avec l’assassinat de Madame Benazir Bhutto un degré supplémentaire dans une escalade meurtrière. Il condamne fermement cet attentat criminel visant précisément une femme progressiste et ses proches, et donc plus généralement, l’atteinte aux efforts et aux volontés de démocratie, d’égalité et de paix.

En cette fin d’année 2007, le MRA s’associe à tous ceux et celles qui souhaitent vivement que la Paix s’installe aussi aux confins de l’Océan Indien.

Pour le MRA, Alain Armand


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