II. Les arguments en faveur de la non-départementalisation de Mayotte “à l’horizon 2010”
D’abord, il est faux de croire comme le font certains Mahorais que la départementalisation de Mayotte puisse être considérée comme une récompense à la fidélité manifestée à l’égard de la France par ses habitants depuis le 25 avril 1841. Il en est ainsi même si Mayotte est devenue française bien avant certaines portions du territoire métropolitain de la République, comme Nice et la Savoie, dont l’annexion par la France remonte à 1860.
Est-il besoin, par ailleurs, de souligner, avec notre collègue Anne-Marie Le Pourhiet, que le statut départemental tant convoité par les Mahorais depuis plus de quarante ans maintenant - même substantiellement adapté pour tenir compte des évidentes spécificités locales - "n’emporte pas la conviction" (8) ? Certes, ce statut administratif a eu des effets bénéfiques indiscutables sur les plans infrastructurel et sanitaire ainsi que dans le domaine de l’éducation dans les quatre DOM créés au lendemain de la Libération : nommément la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Il est juste à l’occasion de reconnaître ses mérites. Mais il faut aussi montrer ses limites. Ce statut interne n’est pas en effet la panacée sur les plans économique, social et culturel comme le fait apparaître à l’orée d’un nouveau siècle un bilan général mitigé dans les "quatre vieilles colonies" départementalisées par la loi du 19 mars 1946 ainsi que les aspirations pressantes à plus de décentralisation administrative et de responsabilités politiques - sinon les revendications autonomistes - dans les DOM antillais (Guadeloupe et Martinique) et dans celui de la Guyane en Amérique latine.
"L’heure des statuts uniformes est passée"
Confirmant son "discours de Madiana" prononcé en Martinique le 11 mars 2000, le Président de la République admet à son tour - lors de sa visite à La Réunion - que l’institution départementale fondée sur l’assimilation avait atteint ses limites outre-mer et que, d’une manière encore plus générale, "l’heure des statuts uniformes est passée". Dans son allocution prononcée à Saint-Denis, le 18 mai 2001, Jacques Chirac a précisé sa pensée : "Les différentes collectivités d’Outre-mer" - y compris en conséquence les DOM créés en 1946 - devraient pouvoir "choisir au sein de la République l’évolution institutionnelle" qui leur paraît la mieux adaptée à leurs besoins et opter, par la voie de la consultation populaire, pour un statut à la carte, "dans le respect des principes de notre Constitution" (9). C’est dans cette optique que chacun des départements français d’Amérique avait réuni - dès juin 2001 - son Conseil régional et son Conseil général ainsi que ses parlementaires au sein du Congrès, prévu par la loi d’orientation pour l’Outre-mer du 13 décembre 2000, afin de discuter de son évolution institutionnelle. À l’exception de La Réunion qui a rejeté la structure du Congrès, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique avaient ainsi ouvert un processus qui devrait aboutir à la création de nouvelles collectivités territoriales disposant d’une large autonomie dans le cadre de la République française, après révision de la Constitution de la Vème République et notamment de son Titre XII concernant "les collectivités territoriales". Cette réforme est aujourd’hui réalisée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 (10).
Le statut de DOM encore revendiqué en ce début de XXIe siècle par certaines élites mahoraises - en dépit de son déclin au moins relatif comme nous venons de le constater - ne risquerait-il pas par ailleurs d’introduire une vie économique absolument artificielle à Mayotte de nature à faire basculer irrémédiablement une société insulaire originale mais fragile - musulmane à 95% et traditionnelle et rurale à plus de 80% - dans la dépendance d’une riche métropole et l’assistanat généralisé ?
Vers de nouvelles critiques
Faut-il ajouter que, sur la scène internationale, le statut de DOM accordé à Mayotte serait considéré comme une nouvelle manœuvre de la France dirigée contre le peuple comorien et ses dirigeants qui revendiquent Mayotte depuis son accession à l’indépendance, le 6 juillet 1975 ? L’octroi d’un tel statut administratif ne serait-il pas de nature à entraîner sur les plans politique et diplomatique de nouvelles critiques émanant de plusieurs enceintes internationales et d’abord celles des Nations unies, de l’Union africaine et de la Ligue des États Arabes qui se sont toujours prononcées pour le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, sans consultation préalable de sa population ?
Enfin, sur un plan purement juridique, il convient d’observer que le statut de DOM au sein de la République française n’est pas un statut administratif immarcescible ou intangible comme on le croit encore parfois dans la classe politique mahoraise. De surcroît, il n’assure pas un "ancrage définitif" ou irrévocable d’une population à l’intérieur de la République française comme l’avait prétendu - à tort - le député de Mayotte Henry Jean-Baptiste à l’occasion de l’adoption en première lecture du nouveau statut de "collectivité départementale" de Mayotte par l’Assemblée nationale, le 4 avril 2001 (11). Deux exemples historiques peuvent à l’occasion être avancés pour démentir cette croyance.
À suivre...
*Professeur de droit public à l’Université de La Réunion (Université Française et Européenne de l’Océan Indien).
(8) Voir Le Pourhiet (A.-M.), "La Constitution, Mayotte et les autres. Commentaire de la décision du 4 mai 2000 portant sur la loi organisant la consultation de la population de Mayotte", R.D.P.S.P., 2000, p. 888. En fait, notre collègue n’est pas aussi catégorique qu’il n’y paraît de prime abord. Elle fait même montre d’une légitime prudence lorsqu’elle déclare que "le statut départemental n’est, en soi, ni bon ni mauvais, dès lors que le principe d’assimilation est tempéré par la possibilité d’adaptation prévue à l’article 73, permettant de moduler l’application des lois nationales en fonction des réalités locales". L’auteur ajoute qu’il est donc "difficile de le plébisciter ou de le condamner a priori de façon dogmatique, puisque tout dépend de l’usage (ou du non-usage) que l’on fait pragmatiquement de l’adaptation" avant de préciser - toutefois - son sentiment plutôt négatif au sujet de la départementalisation de Mayotte : "Mais c’est précisément à ce niveau que l’expérience des quatre DOM existants n’est guère concluante ni encourageante".
(9) Voir Bacqué (R.), "M. Chirac propose une révision constitutionnelle pour offrir des statuts "à la carte" à l’outre-mer", “Le Monde”, dimanche 20-lundi 21 mai 2001, p. 7.
(10) Voir la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, "relative à l’organisation décentralisée de la République", in J.O.R.F., 29 mars 2003, pp. 5568-5570.
(11) Voir “Le Monde”, vendredi 6 avril 2001, p. 9.
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