Argentine

Quelle alternative pour libérer le pays de la pauvreté ?

Premier tour de la présidentielle ravagé par la mondialisation capitaliste

28 avril 2003

Après une campagne terne, la droite semble bénéficier de la répression du mouvement social, estime le correspondant argentin de notre confrère ’Le Courrier’ dans l’article que nous reproduisons ci-après. Présentation des différents candidats en lice pour le premier tour de la présidentielle qui s’est déroulé hier.

« Le doute c’est la jactance des intellectuels », affirmait le lieutenant-colonel Aldo Rico, lorsque, durant la Semaine Sainte de 1987, il s’était levé contre le gouvernement constitutionnel du docteur Raúl Alfonsín. À quelques jours des élections 2003, il semble que l’immense majorité des Argentins se soient transformés en intellectuels, tandis qu’Aldo Rico se métamorphosait, lui, en candidat péroniste au Gouvernorat de Buenos Aires...
En effet, alors que, ce dimanche, l’Argentine devait choisir ses plus hautes autorités, les sièges des partis demeurent vides. Les quelque personnes présentes viennent uniquement se renseigner sur les modalités du scrutin. Elles montrent peu d’intérêt pour les tracts et autres plates-formes électorales, qui, de toute façon, ne disent rien de nouveau.

Virage à droite ?

Au-delà de ce qu’ils répondent aux enquêteurs, beaucoup de citoyens ne savent pas encore s’il vont voter ou pour qui ils voteront. Le caractère frauduleux de ces élections, marquées par le viol de la Constitution (elles ne permettront de choisir que le président et le vice-président), est renforcé par les accusations croisées des candidats. C’est que la virtuelle parité technique parmi ceux qui apparaissent à la tête des enquêtes, les pousse à ouvrir le parapluie avant qu’il ne pleuve, pour justifier des contestations futures. L’ex-président Carlos Menem aurait ainsi donné l’ordre à ses représentants aux tables électorales, de contester systématiquement celles qui ne donneraient pas les résultats escomptés.
Des rumeurs courent d’ailleurs sur la probité du ministre de l’Intérieur, Jorge Matzkin, chargé du scrutin et considéré comme un proche de... Menem. Même Néstor Kirchner, le candidat du président Duhalde, lui aussi péroniste, a affirmé « ne pas avoir d’éléments clairs pour démentir ni confirmer » ces rumeurs... Ce qui a conduit le gouvernement, ni plus ni moins, à demander qu’une délégation de l’Organisation des États américains (OEA) supervise le scrutin !
La validité des enquêtes d’opinion est également mise en doute, non seulement par les citoyens et les politiciens, mais aussi par les propres sondeurs qui voient la valeur prédictive de leur travail s’estomper devant l’éclatement inédit des intentions de vote. Les résultats des sondages, en tout cas, n’ont que peu varié pendant les quatre mois de campagne.
Néstor Kirchner, gouverneur de Santa Cruz, approuvé par le pouvoir péroniste ; Carlos Menem, ex-président issu du même parti ; l’également péroniste Adolfo Rodríguez Saá, ex-gouverneur du San Luis et président pendant une semaine après la chute du radical Fernando de la Rúa ; la députée Elisa Carrió, d’origine radicale ; et enfin Ricardo López Murphy, ex-radical, lui aussi, et favori de l’establishment, ont tous flirté avec les 20% d’opinions favorables sans jamais se détacher ni être éjectés de la course.
Ces derniers jours, cependant, un frémissement en faveur de M. López Murphy s’est fait sentir. Une poussée à droite de l’électorat que semble confirmer la montée de M. Menem, à égalité avec M. Kirchner. Les centristes Rodríguez Saa et Carrió semblent, eux, en perte de vitesse, même si les jeux sont loin d’être faits.

Trio péroniste

La partie est toutefois terminée pour les outsiders de gauche et du centre. Patricia Walsh, fille du célèbre journaliste Rodolfo Walsh et candidate de la Gauche unie (Parti communiste argentin et MST) ; le socialiste Alfredo Bravo, ex-prisonnier de la dictature ; et Leopoldo Moreau, candidat de la moribonde Union civique radicale (UCR) venant loin derrière. Toujours selon les enquêtes, 15% des sondés devraient voter blanc, nul ou s’abstenir, tandis que 10% disent ne pas savoir s’ils voteront.
Paradoxe suprême du scrutin : parmi les cinq candidats les mieux placés, trois sont issus du Parti justicialiste. S’étant abstenu d’organiser des élections internes, le mouvement fondé par le populiste Juan Domingo Perón voit ses trois poulains postuler à la présidence derrière des sigles nouveaux inventés à cet effet. Ensemble, ils atteignent plus de 50% des intentions de vote, un chiffre jamais atteint par ce courant, sauf en 1973, lorsque l’ex-caudillo Perón avait postulé pour sa troisième et dernière présidence.
Poulain du pouvoir en place, Néstor Kirchner a dirigé avec succès Santa Cruz, une province qui compte peu d’habitants et beaucoup de pétrole. Un or noir dont les royalties ont largement contribué à la construction de logements et d’infrastructures publiques. Dans un programme aux contours flous, M. Kirchner propose de rééditer sa « bonne gestion » pour l’ensemble du pays. Ses adversaires ne manquent pourtant pas de rappeler que l’Argentine compte bien plus d’habitants - et surtout de pauvres. Et que le pétrole est aujourd’hui en mains privées, l’espagnol REPSOL ayant racheté l’ex-compagnie d’État YPF.

Le retour de Menem ?

De son côté, l’ancien président Carlos Menem n’a pas besoin d’une grande présentation. Si les dix ans et demi de "menemisme" sont considérés par beaucoup d’Argentins comme un âge d’or regretté - il a gouverné jusqu’en 1999, soit avant l’effondrement - le gouvernement Menem fut aussi celui qui détruisit le dispositif de sociétés d’État construit par le passé par le propre péronisme. Élève zélé du Fonds monétaire international (FMI), il libéralisa à tout va le marché national, provoquant aussi bien la disparition de nombre de conquêtes ouvrières que la ruine de l’industrie argentine.
Candidat à un troisième mandat après l’interlude de la Rua, il s’est rendu récemment à Washington pour présenter son projet économique au FMI. Il prône notamment une re-dollarisation de l’économie. Parallèlement, M. Menem propose de redonner à l’armée des tâches de sécurité intérieure : « Les militaires doivent être dans la rue pour défendre la loi et l’ordre et en finir avec la délinquance », estime-t-il. Un message qu’il a transmis aux officiels des trois armées, sous la forme d’une lettre intitulée : « À mes camarades ».

Silence sur l’ALCA

Le troisième prétendant du courant populiste, M. Rodríguez Saá, propose le discours le plus à gauche. Il s’était signalé, lors de son éphémère présidence de décembre 2001, en suspendant le paiement de la dette étrangère. Aujourd’hui, il a formulé 125 propositions, dont la création d’une société pétrolière d’État, le déplacement de la capitale à Rosario, l’augmentation, par un projet de loi, du salaire minimum ouvrier et des retraites. Il croit indispensable de renforcer le MERCOSUR.
Plus paradoxal : les radicaux Ricardo López Murphy, candidat du pouvoir économique, et Elisa Carrió, qui oscille entre le centre et le centre gauche, postulent également le renforcement de l’alliance économique du Cône Sud. Cependant, aucun de ces cinq candidats ne s’est risqué à prendre position sur la Zone de libre-échange des Amériques (ALCA).
M. López Murphy, dissident radical, était le ministre de l’Économie de Fernando de la Rúa, en mars 2001. Son programme d’austérité, contesté dans la rue, lui avait coûté sa place. C’était le prélude aux Journées des 19 et 20 décembre et à la chute du président.
Démissionnaire de l’UCR, Mme Carrió est célèbre pour ses dénonciations d’un autre ministre du gouvernement de la Rua, le néolibéral Domingo Cavallo. En début de campagne, elle représentait l’espoir du centre gauche. Jusqu’au moment où elle a choisi le conservateur Gustavo Gutiérrez comme candidat à la vice-présidence, déplaçant son centre de gravité. Ce qui lui a valu l’abandon de nombreux alliés et militants, lassés, qui plus est, par son "autoritarisme".
Au-delà des parcours et des références de chacun, on constate peu de différences fondamentales dans les discours des cinq. Tous promettent du travail, de la production et l’équité sociale. Seules quelques nuances permettent de les départager. Ainsi si Mme Carrió et M. Rodríguez Saá se disent près à rediscuter la dette extérieure, MM. Menem et López Murphy insistent sur l’équilibre fiscal comme condition à la lutte contre la dette. On en saura guère plus.
Seule certitude, à quelques jours de ces complexes élections : il y aura un 2ème tour, le 18 mai.

Les ouvriers argentins cibles de la répression
« Il n’y a pas de suprématie de la vie et de l’intégrité physique sur les intérêts économiques ». La justice argentine ne manie pas la langue de bois. Saisie d’un recours après l’expulsion, vendredi 17 avril, des ouvriers qui occupaient la fabrique de textile Brukman, elle a assené un message limpide : désormais, tous les moyens seront bons pour en finir avec le mouvement des entreprises "récupérées" qui, depuis plus d’un an, tente de faire revivre, par l’autogestion, 150 entreprises en faillite.

Cette inquiétante profession de foi intervient en pleine polémique après la prise d’assaut de cette usine située dans un quartier populaire de Buenos Aires. Polémique renforcée par la proximité du scrutin présidentiel et surtout par la très violente répression, lundi 21 avril, d’une manifestation, qui réclamait le retour de la soixantaine d’ouvriers - et surtout d’ouvrières - autogestionnaires dans la fabrique. Accompagné par 7.000 sympathisants, le cortège des travailleurs de Brukman a été accueilli près de l’usine par un important cordon policier.
Selon divers témoignages, les forces de l’ordre auraient chargé la foule lorsque quatre ouvrières ont tenté de franchir des barrières. Après le tir de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc, les policiers ont poursuivi les manifestants dans tout le quartier, selon les mots du quotidien "La Jornada". Armés de carabines à plomb, les gendarmes ont suivi les contestataires jusque dans la Faculté de psychologie et dans un hôpital pour enfants, n’hésitant pas à y tirer des bombes lacrymogènes ! Au final, le collectif ouvrier parle de dizaines de blessés et de 200 détenus. Parmi lesquels des représentants politiques, ainsi que des journalistes, dont certains ont dénoncé des humiliations infligées par les forces de l’ordre.

Les travailleurs de Brukman ne semblent toutefois pas découragés. Mardi dernier, une nouvelle manifestation a regroupé 20.000 personnes. À son terme, les ouvriers ont installé un "Camp de la résistance" à proximité de l’usine. Ils ont annoncé leur intention de le maintenir tant que la fabrique sera en mains policières et que le Ministère du travail n’aura pas ouvert de négociations.
L’expulsion des travailleurs de l’usine « récupérée » Brukman est la troisième en moins d’un mois, après celle, fin mars, de la coopérative alimentaire Sasetru, puis le 14 avril, d’une succursale de l’ex-Banco Mayor, transformée en Maison communautaire. Pour beaucoup, le scrutin présidentiel de ce week-end n’est pas sans lien avec cette vague répressive. L’agitation sociale provoquée par les expulsions ne peut en effet que favoriser les candidats partisans des mesures "sécuritaires".


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