Quelle justice ?

27 juin 2008

Cette semaine, l’actualité à La Réunion a été marquée par un événement exceptionnel dans le domaine judiciaire : le procès en cour d’assises de deux gendarmes accusés de violences criminelles contre un travailleur réunionnais lors d’une mobilisation des dockers pour la défense de leurs droits sociaux. Oui, vraiment exceptionnel - voire historique - car c’est la première fois dans notre Histoire qu’un Réunionnais victime de telles violences de la part d’agents de l’État, membres des forces dites “de l’ordre”, voit ses agresseurs poursuivis au niveau de l’appareil judiciaire non pas par un tribunal correctionnel (juge des délits) mais par une cour d’assises (juge des crimes).
Du coup, beaucoup de Réunionnais habitués à suivre les affaires judiciaires se sont dit : voilà un grand pas en avant effectué par la Justice (l’institution) vers la justice (la valeur, l’idéal dont nous rêvons souvent et pour lequel des Réunionnais ont lutté depuis l’esclavage).

Toute la vérité a-t-elle été faite ?

Maintenant que ce procès est terminé, les Réunionnais vont se poser la question : le jugement de la cour contre les deux accusés est-il juste ? (1) D’autres questions sont liées à la précédente : Théo Hilarion (notre photo), le docker victime d’un coup de fusil qui l’a mutilé à vie le 7 mars 1994, a-t-il obtenu justice ? L’auteur et le complice de ce crime ont-ils fait l’objet d’une peine équitable ? Le fait que la victime ait dû se battre avec ses amis pendant 14 ans pour qu’une cour d’assises cherche à faire la vérité sur ce drame n’est-il pas déjà une faute irréparable ? Et toute la vérité a-t-elle été rendue publique durant ces quatre jours d’audience ?
Pour Théo Hilarion, précisément, obtenir la justice c’était de savoir la vérité. Mais comment connaître « la vérité, rien que la vérité, toute la vérité » sur un événement pour le moins troublant alors que plusieurs de ses acteurs essentiels ne sont pas interrogés par les magistrats en charge du dossier ? Incroyable mais ...vrai.

Une complicité néo-coloniale

En fait, une des vérités essentielles confirmées lors de ce procès est la complicité qui unit des représentants de l’État à La Réunion face aux Réunionnais du “2ème monde”. Des responsables de l’administration préfectorale, de la gendarmerie et de l’appareil judiciaire se sont entendus pour étouffer jour après jour, année après année, ce crime sous une chape de silence, sans faire respecter les droits de la victime à la vérité et à la justice.
Cette complicité a une connotation tellement néo-coloniale que les responsables de cette “loi du silence” - dont les noms ont été cités durant ce procès - ne sont plus à La Réunion. Ils ont terminé leur bref passage indexé dans cette ancienne colonie et puis ils sont allés poursuivre leur carrière ou prendre leur retraite dans leur pays, en France. Les souffrances à vie endurées par un ouvrier réunionnais, le respect de la dignité des Réunionnais, cela n’a jamais été leur problème. Leurs intérêts sont ailleurs.
Quelle justice - sociale et judiciaire - avons-nous donc à La Réunion ? Au service de qui et de quoi dans notre île se met l’appareil d’État, avec ses différentes institutions ?
On n’a pas fini de réfléchir et de s’interroger à ce sujet. Il est vrai que “philosopher” c’est aussi penser et lutter pour la justice.

 Roger Orlu 

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(1) Ce billet a été rédigé avant l’annonce du jugement.


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