Quelle mondialisation ?

Qui sait comment fonctionne vraiment l’O.M.C. ?

Ouverture de la conférence ministérielle de Cancun

10 septembre 2003

Avec son sommet ministériel qui s’ouvre aujourd’hui à Cancun (Mexique), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) va peut-être tenter de se montrer sous son meilleur jour, afin de prouver au monde entier qu’elle est démocratique, efficace et transparente. Pendant quatre jours, 146 États vont discuter de thèmes essentiels, comme l’agriculture, la santé ou encore les services.
« L’OMC, c’est l’ONU du commerce, sans le Conseil de sécurité : tous les membres ont les mêmes droits », estimait dans "le Figaro" du 1er septembre dernier le commissaire européen au Commerce, Pascal Lamy, qui a mandat pour négocier au nom de l’Union européenne.
146 membres égaux devant les prises de décision en matière de commerce international, où seuls les votes unanimes sont pris en compte, sans droit de veto ? Faire "comprendre" cela au plus grand nombre est sans doute l’une des missions de Cancun, alors que les critiques contre l’OMC n’ont cessé d’augmenter depuis la création de l’organisation en 1995.

S’unir pour tenter de se faire entendre

Mais l’OMC a du mal à tromper son monde. Pendant la conférence ministérielle, lors de séances marathon, les membres devront se prononcer sur des textes qui auront été préparés lors de rencontres beaucoup plus restreintes et sur lesquels ils n’auront pas exactement leur mot à dire. À moins d’être prêts à subir les pressions des puissants, qu’ils s’appellent États-Unis ou Union européenne. Il faudra alors que ceux qui s’opposent à la domination de l’ultra-libéralisme dans le commerce international arrivent à s’unir pour tenter de se faire entendre.
Quant aux 1.135 ONG accréditées auprès de l’OMC à Cancun, elles ne doivent pas se faire d’illusions sur le rôle qu’elles pourront jouer au Mexique : à elles non plus, les portes ne seront pas véritablement ouvertes, même si elles auront l’occasion de côtoyer des ministres et autres délégués. « Avec tous ces dossiers à traiter, il y aura tellement à faire en quatre jours que je ne vois pas comment des échanges entre les délégués gouvernementaux et les ONG pourraient avoir lieu », résume un fonctionnaire de l’OMC.
N’en reste pas moins que les seules et uniques "portes ouvertes" de Cancun seront peut-être celles du sommet alternatif, qui se tiendra en dehors de l’enceinte du Palais des congrès. Un sommet où tout le monde est d’accord sur un point : l’OMC doit changer ou disparaître.

L’agriculture, priorité de l’Afrique
L’agriculture sera à Cancun, le principal cheval de bataille des Africains qui veulent pouvoir lutter face aux produits occidentaux subventionnés et, pour ne pas risquer de faire face à la famine, exporter à des prix décents leur coton, café, sucre ou cacao. Les appels à l’unité de l’Afrique face aux poids lourds du commerce mondial se sont multipliés ces derniers mois, de même que les réunions préparatoires pour présenter un front commun lors de la conférence ministérielle de l’OMC. Les ministres du Commerce de l’UA ont ainsi adopté en juin 2003, sous l’impulsion de Maurice et dans l’île, une déclaration approuvée en juillet, au Mozambique, par leurs chefs d’État, puis déposée à l’OMC comme document de travail de la réunion de Cancun. Dans leur texte, les dirigeants africains déplorent « l’absence de progrès dans le cycle actuel des négociations commerciales multilatérales », en particulier dans l’agriculture, domaine d’« une importance décisive pour le développement de l’Afrique, (et qui) peut aider des millions de personnes à échapper à la pauvreté ».

Le texte s’inquiète aussi des blocages en matière de santé publique, mais sur ce point, le récent accord obtenu sur l’accès des pays pauvres aux médicaments génériques a largement déblayé le terrain de la conférence ministérielle de Cancun. En matière agricole, le coton est le symbole de la lutte inégale livrée par les paysans africains aux cotonculteurs américains ou européens, dont les productions sont subventionnées.

L’île sœur joue son avenir
D’importantes responsabilités pour Maurice
Maurice mènera, avec une importante délégation conduite par son ministre de l’Industrie et du Commerce international, Jayen Cuttaree, l’offensive du continent africain et des petites économies insulaires sur des dossiers vitaux à la survie de leurs économies à la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Cancun (Mexique) qui s’ouvre aujourd’hui. L’agriculture en Afrique, l’accès au marché des produits non agricoles, en particulier le textile et le thon, et les petites économies figurent parmi les principaux points que défendra le ministre mauricien.
Jayen Cuttaree, qu’accompagne une importante délégation du secteur privé mauricien, portant la double casquette de porte-parole de l’Union africaine (UA) pour le Commerce international et de celui des petits États insulaires, aura la double tâche de défendre les grands dossiers dont l’Afrique attend des résultats mais aussi la survie des petites économies insulaires, comme Maurice, dont l’avenir économique est conditionné à la poursuite des traitements préférentiels que leur accordent les pays du Nord.
La délégation mauricienne aura également à mener la bataille de la survie de son économie par la poursuite des accords préférentiels qui ont assuré son succès fulgurant ces vingt dernières années. « Nous jouons la survie de l’économie mauricienne à Cancun », a déclaré Jayen Cuttaree à l’hebdomadaire "Week-End", juste avant son départ pour Cancun. Même si le ministre mauricien parle pour son pays, ses propos valent aussi pour toutes les autres îles qui ne vivent que par ces accords préférentiels d’écoulement vers l’Europe et les États-Unis. « Maurice vit en vendant ses produits et ses services aux marchés extérieurs. Nous sommes compétitifs grâce à nos préférences commerciales ou à nos marchés protégés. Si l’OMC décide d’éliminer les subsides agricoles et les tarifs qui protègent notre textile, le thon ou le sucre, notre commerce mourra. Notre marché intérieur est trop petit pour assurer la survie de nos industries », a indiqué le Jayen Cuttaree.
Les attentes des pays A.C.P.
La délégation du Groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) à la conférence ministérielle de l’OMC à Cancun sera conduite par le ministre du Commerce et de l’Industrie du Botswana, Jakob Nkate. Au cours de cette conférence, la délégation ACP s’attachera « à bâtir l’alliance la plus large possible » avec l’ensemble des pays en développement, mais aussi de mener des consultations pour dégager des positions concertées, notamment avec l’Union européenne et d’autres groupes de pays.

Le Groupe ACP travaille, d’une part, pour l’inclusion de l’ensemble des pays membres de l’OMC dans le « processus décisionnel et la transparence des négociations » et, d’autre part, garantir que le programme d’agenda de développement de Doha reste au centre du système commercial multilatéral. Par ailleurs, le Groupe ACP tient à l’application d’un traitement spécial et différencié tenant compte de la situation particulière des pays pauvres. Le communiqué fait observer qu’aucun progrès n’a été réalisé sur la mise en oeuvre de l’Uruguay round. Les ACP soulèveront, en outre, la question des préférences commerciales dont ils veulent le maintien, « puis l’organisation progressive de leur élimination en tenant compte de la situation particulière de ces pays ».
Concernant les sujets "dits de Singapour", sur les investissements, la concurrence, la transparence des marchés publics, et les échanges, le Groupe ACP considère qu’il serait prématuré de commencer ces négociations au 1er janvier 2005.

Le Groupe ACP fait savoir qu’il soutiendra l’initiative de certains pays africains producteurs de coton - Mali, Bénin, Burkina, Faso et Tchad - qui exigent la suppression des subventions agricoles des États-Unis et de l’Union européenne à leurs planteurs. Pour la seule année 2002, ces pays ont perdu plus 300 millions de dollars du fait de la chute du prix du coton sur le marché mondial provoquée par les subventions accordées aux agriculteurs américains et européens. Les cotonculteurs américains ont reçu, l’an dernier, 3,3 milliards de dollars d’aide de leur gouvernement.

Marche aujourd’hui à Port-Louis
La Plate-forme anti-mondialisation, un regroupement de plusieurs centrales syndicales et organisations de femmes et d’agriculteurs mauriciennes, a annoncé une marche aujourd’hui à Port-Louis. La marche vise à protester contre toute tentative du gouvernement mauricien de démanteler les droits sociaux de la population sous la pression de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Selon Ashok Subron, un des animateurs de cette Plate-forme, les événements mondiaux du 10 septembre 2003 reprendront l’esprit de Seattle, aux États-Unis, en 1999 « parce qu’au lieu d’écouter la voix des peuples, exprimée à cette époque, les différents gouvernements ont empiré les choses ». « Toutes les statistiques ont montré que les inégalités entre les riches et les pauvres ont augmenté dans le monde. Toutes les études ont montré qu’une menace écologique grave pèse sur la planète. À Maurice aujourd’hui, on réalise que l’application des accords de l’OMC peut amener la catastrophe et la ruine », a-t-il déclaré.

Il a affirmé que les Mauriciens vivent actuellement à coups de licenciements massifs dans le secteur du textile, avec les fermetures de certaines usines et la compression du personnel dans d’autres, toutes mesures qui sont une conséquence directe de l’application des accords découlant de l’OMC. Ashok Subron a aussi exprimé des craintes quant au paiement des retraites, aux délocalisations, et à la privatisation de l’eau et de l’électricité. Pour sa part, Rajni Lallah, une autre animatrice de la plate-forme, a estimé qu’on ne peut avoir un autre round de négociations sans connaître les effets des accords déjà appliqués sur les populations. « Il faut une étude sociale et écologique pour connaître l’ampleur de ces effets sur la vie des populations. S’ils sont néfastes, il faut reculer », a-t-elle dit.


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