Sommet de la FAO sur la sécurité alimentaire :

Remettre les politiques agricoles au cœur du développement

4 juin 2008

Une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement et plus de 2.000 délégués de 162 pays se réunissent depuis hier à Rome, au siège de la FAO, l’agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, pour tenter de trouver des remèdes à la crise alimentaire mondiale et à la flambée des prix. Pendant trois jours, les participants vont tenter de produire « un plan d’action global ». Mais cherchent-ils tous à atteindre le même résultat ?

Lors de la session d’ouverture de la Conférence de haut niveau pour la Sécurité alimentaire, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a appelé les participants à parvenir à un consensus sur les biocarburants et à rejeter des politiques alimentaires « qui appauvrissent les voisins ».

Ban Ki-moon a souhaité que soient prises « des mesures à long terme pour
renforcer la sécurité alimentaire mondiale »
et que les pays aboutissent « à un
plus grand consensus international sur les biocarburants »
, accusés d’être un
facteur de la flambée des prix des denrées.

« Nous avons une opportunité historique de revitaliser l’agriculture », a ajouté
le secrétaire général des Nations Unies, en exposant les principes du cadre
global d’action mis au point par la cellule de crise créée il y a un mois. Cette
cellule rassemble les chefs des agences onusiennes et des institutions économiques internationales.
Le secrétaire général de l’ONU a donné pour objectif que « la production alimentaire devrait doubler d’ici 2030 » pour faire face à la faim dans le monde et a appelé « à des engagements fermes pour aller de l’avant » passant par une augmentation des appuis financiers et non par des prêts.

Un moratoire sur les biocarburants ?

Selon le FMI, la conversion de terres agricoles à des fins énergétiques explique « entre 20 et 30% » de la flambée des prix des denrées alimentaires. Le rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter a récemment déclaré qu’il jugeait « irresponsables » les objectifs que se sont fixés les Etats-Unis et l’Europe en matière de production de biocarburants. « En abandonnant ces objectifs - a-t-il déclaré - nous enverrions un signal fort aux marchés, que le prix des récoltes de denrées alimentaires ne va pas monter indéfiniment, décourageant ainsi la spéculation ».
Mais il admet aussi qu’il faut reconnaître « le droit des pays à se développer » et que le poids des bioéthanols au Brésil est tel qu’un retour en arrière paraît inimaginable. « Certains agrocarburants de la première génération sont peut-être prometteurs : des plantes comme le jatropha, ou certaines variétés de sorgho, poussent sur des terres peu fertiles » a ajouté Olivier de Schutter, dans une interview donné au Monde (2 mai 2008). Cette position ne devrait pas s’opposer à l’adoption d’un moratoire, de même que s’est imposé le moratoire sur les OGM : pour permettre de poursuivre les recherches et des essais sur des superficies limitées, tout en mettant un frein aux déforestations (comme en Indonésie) ou au détournement d’une part de la récolte de maïs (aux Etats-Unis) pour le seul profit d’un minuscule lobby, entretenu sur l’argent des contribuables américains. Il est des secteurs entiers de l’investissement en ce domaine dont le rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation a estimé qu’ils pouvaient être « gelés ».
Plusieurs dizaines d’ONG appellent à ce moratoire (www.moratoire-agro-carburants.com/index.html) lancé par un collectif d’associations et, à l’instar d’Oxfam international, demandent à l’Union européenne d’abandonner son objectif de 10% de carburants verts d’ici à 2020. L’aide à la production des biocarburants est estimée entre 13 et 15 milliards de dollars, alors que ces cultures accentuent la destruction d’écosystèmes et ont un impact négatif sur les changements climatiques, selon diverses études scientifiques (citées par Oxfam).

Principe de souveraineté alimentaire

Pendant au moins les vingt dernières années, les institutions financières internationales ont sous-estimé l’importance des investissements dans l’agriculture. La Banque mondiale a publiquement reconnu son erreur fin 2007, mais de nombreux pays du Sud paient cher aujourd’hui d’avoir été fourvoyés. Les plans d’ajustements structurel du FMI ont poussé les pays les plus endettés - notamment en Afrique subsaharienne - à développer des cultures d’exportation et à importer ce qu’ils consomment. La Mauritanie, par exemple, importe 70% de ce qu’elle consomme. Le Libéria importe environ les deux tiers de la consommation annuelle de riz de sa population. (A noter que La Réunion, après soixante ans “d’intégration départementaliste”, n’est pas mieux lotie).
Aujourd’hui, une autre voie de réflexion porte sur l’instauration de protections tarifaires ou douanières ou la réhabilitation de système d’aides - comme les caisses de péréquation - à l’appui des petits paysans, pour permettre aux pays en développement de financer, dans leur budget, l’achat de semences, l’accès aux terres ou à l’eau, et de protéger leur production agricole.
Une des conclusions de ce Sommet de trois jours devrait être d’appeler à réinvestir dans l’agriculture de façon massive.
Entre 1980 et 2005, l’aide au développement agricole des pays du Sud a baissé de moitié et la France ne consacre aux projets agricoles que 10% de son aide. Selon Jacques Diouf, le directeur de la FAO, il faudrait abonder ce secteur de 20 milliards d’euros par an - non pas en aide alimentaire, mais en fonds d’investissement pour l’agriculture.

Fonds mondial de lutte contre la Faim et la Malnutrition

Lors d’un point presse tenu quelques jours avant le Sommet de Rome, les dirigeants de l’AICF (action internationale contre la Faim), ont estimé que « l’agriculture est un levier incontournable mais non suffisant pour enrayer la faim » et l’organisation humanitaire appelle à la création d’un « Fonds mondial de lutte contre la Faim et la Malnutrition ». A l’appui de cette proposition, des analyses récentes (FAO, PAM...) soulignent l’insuffisance des moyens financiers mobilisés tant contre les effets les plus urgents de la crise alimentaire (distributions de vivres) que contre ses effets les plus durables (déstructuration des politiques agricoles et soutien aux producteurs des pays du Sud). De très nombreux acteurs interviennent au plan mondial dans la lutte contre la faim, chacun dans son domaine d’expertise. « Il manque aujourd’hui un organisme international capable de coordonner des financements additionnels qui permettraient de réduire fortement la malnutrition et de traiter en profondeur les causes de la faim » estiment les responsables d’AICF. Un des principes d’intervention de ce Fonds serait de venir en appui à des projets en cohérence avec les priorités des Etats, particulièrement en ce qui concerne la relance des politiques agricoles.

Synthèse de P. David

Emeutes de la faimJatropha

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