Co-développement

Retour sur la terre des ancêtres

Entre pèlerinage et devoir de mémoire à Inhambane

15 octobre 2003

Felicidade, 30 ans, servante, Saint-André ;
Constancia, 22 ans, servante puis cultivatrice à La Rivière du Mât ;
Loucrecia, 29 ans, servante à Saint-Benoît ;
Louisani, 30 ans, à La Société immobilière de Saint-Pierre ;
Zabella, 26 ans, ouvrière à la Compagnie agricole et sucrière de Sainte-Suzanne ;
Nhisombé, 22 ans, à Saint-Joseph ;
Malandeza, 24 ans, chez Emile Hugot à Sainte-Rose...

Au musée d’Inhambane ("La terre des gens aimables"), la longue liste des esclaves, puis des travailleurs engagés sous contrat, embarqués pour Bourbon, s’égrène comme autant de plaintes générées par l’arrachement à la terre natale.
À côté, une belle photo d’engagée nous rappelle le lien indéfectible qui attache La Réunion au Mozambique et particulièrement à la Province d’Inhambane d’où sont partis 200.000 Mozambicaines et Mozambicains.
Près de ce musée, une plaque commémorative marque la place où une compagnie négrière concentrait les esclaves qui attendaient là d’être embarqués pour Bourbon (La Réunion), l’Île de France (Maurice) ou Madagascar. Là devrait être construit, à l’avenir, un mausolée pour lequel l’aide des collectivités de La Réunion ne devrait pas faire défaut.
Après cette halte, les membres de la mission réunionnaise et leurs hôtes mozambicains mettent leurs pas dans ceux des esclaves et des engagés qui, « enchaînés, humiliés, les yeux bandés pour qu’ils ne voient pas leur terre natale s’éloigner », montaient dans un canot avant d’embarquer dans les navires ancrés à la limite de la haute mer. Des navires qui étaient baptisés "La Vierge de grâce", "La Glorieuse", "La Chaloupe de M. Bosse", "Le Navire de M. Villeneuve", "L’Alsace-Lorraine"...

Devoir de mémoire

Au bout d’un quai que remonte la délégation commençaient alors l’exil. C’est depuis ce quai que Paul Vergès, président de la Région Réunion ; Aires Aly, gouverneur de la Province d’Inhambane et Louise Avon, ambassadeur de France à Maputo ont jeté une gerbe à la mer afin d’honorer la mémoire de celles et de ceux qui furent enlevés à l’affection des leurs pour aller peupler la terre réunionnaise... et l’enrichir de leur sueur et de leur sang.
Un moment d’intense émotion. À l’image de celle d’Eric Alendroit, président de l’association de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise qui, très ému, a formulé le vœu que la solidarité de la délégation réunionnaise « unie et regroupée derrière le même objectif pour faire valoir les richesses et les capacités de La Réunion préservera cette unité quand viendront les festivités commémorant l’abolition de l’esclavage. Le devoir de mémoire implique de se souvenir, de se recueillir ».

Un grand poids qui pèse sur La Réunion

De son côté, Paul Vergès a souligné le drame des descendants d’esclaves qui n’ont pu faire le deuil de leurs ancêtres. « Il n’y a aucune trace des dizaines et des dizaines de milliers de tombes des esclaves. On ne retrouve pas leurs restes, même pas leur nom. C’est un grand poids qui pèse sur La Réunion. Il n’y aura pas de développement sans accomplissement du devoir de mémoire. Sans les Mozambicains arrivés enchaînés dans notre île, la musique, la danse, l’imaginaire, les contes... ne seraient pas ce qu’ils sont.
C’est cela qui est la base de ce grand projet de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise. Ceux qui ont à récupérer l’Histoire de leurs ancêtres le comprennent, d’autres en discutent... »

Au musée d’Inhambane
Signature du livre d’or
Sur le livre d’or du musée d’Inhambane, Paul Vergès a écrit : « En souvenir d’une visite d’une délégation de l’Ile de La Réunion au Mozambique, marquée notamment par une mission à Maputo et un pèlerinage à Inhambane d’où sont partis, pendant deux siècles, des esclaves d’abord et des travailleurs engagés sous contrat ensuite.
Notre délégation n’a pas caché son émotion en retrouvant les lieux de souffrance des ancêtres de nombreux Réunionnais, les lieux de départ définitif pour La Réunion de ceux grâce à qui notre culture a été enrichie d’une partie africaine.
Nous ne remplirons jamais assez notre devoir de mémoire vis-à-vis de nos ancêtres mozambicains ».

Et l’émotion a encore submergé les cœurs quand, à l’unisson, Mozambicains et Réunionnais ont jeté une fleur à la mer. Le premier pas d’une marche qui doit les conduire, ensemble, à retrouver leur Histoire commune. Laquelle, pour être douloureuse, n’en est pas moins partagée.


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