Négociations OMC : Les raisons et les opportunités d’une suspension - 1 -

Rétroactes

4 septembre 2006

Après l’échec de la réunion ministérielle restreinte de fin juin, le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy a fondé l’espoir de surmonter les divergences sur des négociations resserrées entre les six principaux protagonistes des dossiers agriculture/produits manufacturés réunis dans ce qu’on appelle le G6 (Australie, Brésil, Japon, Inde, UE, USA). L’occasion attendue était le sommet du G8 à Saint-Pétersbourg (15-17 juillet) dont il espérait un signal fort exprimant la volonté d’aboutir de toutes les parties. À cette fin, on avait même invité, en marge du G8, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique. Une déclaration séparée a appelé à la conclusion des négociations du cycle de Doha avant la fin de l’année. Mais aucune discussion sur le fond n’a eu lieu.

Une semaine plus tard, du 22 au 24 juillet, s’est tenue à Genève une réunion (au niveau ministériel) des membres du G6. Les négociations ont eu lieu sur deux projets de texte connus depuis fin juin : sur l’agriculture et sur l’Accès au Marché aux produits Non Agricoles (AMNA). Après une ultime session de 14 heures, l’échec a dû être constaté. L’après-midi du 24/7, au cours d’une réunion informelle des 149 ambassadeurs, Pascal Lamy proposait de suspendre les négociations du programme de Doha.

Il déclarait notamment :
"Sans les modalités pour l’agriculture et l’AMNA, il est évident qu’il ne sera pas possible de mener à bien le Cycle de négociations pour la fin de 2006. D’une part, le temps va manquer pour préparer et finaliser les listes de concessions. D’autre part, si les discussions entre les membres du G-6 sur un nombre limité de questions clés ont été une condition préalable à toute autre forme de progrès, nous ne devons pas oublier que le G-6 ne négocie pas pour tous les autres Membres. Il reste aussi à régler bien d’autres questions que ce que l’on appelle le triangle pour arriver à un accord sur des modalités complètes. Les délais ont toujours été très serrés, mais le fait que l’on continue d’achopper sur quelques points clés signifie que nous n’avons maintenant plus de temps à consacrer aux autres aspects. Devant cette impasse persistante, j’estime que la seule voie possible que je puisse recommander est de suspendre les négociations pour l’ensemble du Cycle afin de permettre aux participants d’accomplir le travail de réflexion sérieux qui est manifestement nécessaire. Ménageons-nous une pause pour examiner la situation, étudier les options possibles et revoir les positions. Dans la pratique, cela signifie que tous les travaux devraient maintenant être suspendus dans tous les groupes de négociation, et cela vaut aussi pour les délais qui ont été fixés pour les différents groupes. Cela signifie aussi que ce qui a été accompli jusqu’ici sur les différents éléments du programme de négociation restera en attente, l’idée étant que les négociations reprendront quand le climat y sera propice. Des progrès importants ont été réalisés dans tous les domaines des négociations et nous devons essayer ensemble de limiter le risque de les voir réduits à néant. "

La suspension des négociations est formellement confirmée lors de la réunion du Conseil général de l’OMC qui s’est tenue les 27-28 juillet.

Les éléments du blocage

La prétention du programme de négociations arrêté en 2001 à Doha était de faire du commerce l’instrument privilégié du développement. Il est apparu très vite que cette ambition affichée n’était qu’un appât pour amener les pays du Sud - pays les plus pauvres, pays en développement, pays émergents - à souscrire aux attentes des pays industrialisés. À la veille de la conférence de Cancun, aucune avancée n’avait été enregistrée dans les matières où les pays du Sud étaient particulièrement demandeurs. C’est dans les domaines où les pays industrialisés escomptaient tirer le plus de profit que le secrétariat de l’OMC, relayant fidèlement les attentes des milieux d’affaires, concentrait l’essentiel des négociations : investissement, ouverture des marchés des pays du Sud aux produits agricoles, aux produits manufacturés et aux services du Nord. Le rejet de l’investissement par une coalition de 90 pays à Cancun provoqua l’échec de la conférence.

La conférence de Hong Kong de décembre 2005 fut essentiellement (sauf sur l’AGCS où on est allé plus loin), l’expression d’une volonté commune de continuer les négociations en dépit des blocages.

Les trois points qui ont provoqué l’échec de juillet dernier concernent les produits agricoles et les produits manufacturés (AMNA) :

- la réduction des subventions américaines à la production agricole ;

- la réduction des tarifs douaniers européens appliqués aux produits agricoles importés ;

- la diminution des tarifs douaniers appliqués par les pays émergents à l’entrée des produits industriels occidentaux.

Une polémique s’était progressivement installée entre USA et UE sur le niveau réel des efforts qu’ils étaient les uns et les autres disposés à consentir, chacun trouvant que l’autre ne fournissait pas un effort substantiel. Ce qui a eu pour conséquence que UE et USA n’ont pas été en mesure de présenter ensemble une proposition globale susceptible d’entraîner l’adhésion des pays émergents et leur agrément sur la question de l’ouverture des marchés aux produits manufacturés. Il ne fait aucun doute qu’un accord au G6 sur ces trois points aurait placé le reste des États membres de l’OMC dans l’impossibilité de refuser cet accord ; ce qui aurait automatiquement entraîné l’adhésion aux dispositions convenues à Hong Kong pour la mise en œuvre de l’AGCS.

L’échec de fin juillet a particulièrement déçu les pays du Sud dans la mesure où il a démontré la volonté obstinée des pays riches de faire prévaloir ce qui leur est profitable. Il a illustré une fois de plus que la rhétorique sur le commerce au service du développement n’était qu’un leurre et que UE comme USA privilégient les intérêts des firmes transnationales.

(à suivre)

Raoul Marc JENNAR
Chercheur URFIG / Fondation Copernic consultant de la GUE/NGL au Parlement européen


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