Argentine

Scrutin sur fond de taux de pauvreté record

Élection présidentielle à la fin du mois

8 avril 2003

Sur fond de rejet des dirigeants politiques, le mouvement social occupe toujours le devant de la scène, même si l’ampleur de ses manifestations s’est réduite. Mais les différents candidats ne sont pas porteurs d’une véritable alternative pour un peuple qui a besoin de réponses immédiates à une situation urgente et dramatique. 21 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Certains observateurs sont pessimistes quant à l’intérêt pour la campagne électorale.

Le 27 avril prochain, les Argentins éliront un nouveau président. Mais, en raison du choix offert aux électeurs, aucune surprise semblable à celle de la victoire de Lula au Brésil n’est à attendre de ce scrutin, qui se déroulera sur fond de la pire crise qu’ait connue le pays depuis de nombreuses années.
Plus de la moitié des Argentins (57,5%) vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui représente près de 21 millions de personnes, dont presque 10 millions se débattent dans l’indigence.
Ces chiffres plus que préoccupants, annoncés début février par l’Institut national de la statistique et du recensement, sont le résultat d’une étude menée en octobre 2002. Ils constituent un nouveau record : lors de la précédente enquête, en mai 2002, le taux de pauvreté était de 53%.
En résumé, de mai à octobre de l’année dernière, c’est-à-dire en cinq mois seulement, on a enregistré 1,6 million de nouveaux pauvres, dont presque un million entrent dans la catégorie de l’indigence.
Selon les analyses économiques, cette progression s’explique par la forte hausse du prix des denrées alimentaires essentielles, qui a atteint presque 75% au cours de l’année 2002. Sur la même période, les salaires, les retraites et les revenus n’ont pas augmenté. Si l’on compare ces chiffres à ceux d’octobre 2001, avant la grande crise politique des 19 et 20 décembre, on observe que depuis cette date, plus de 7 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté, ce qui signifie que le nombre de pauvres s’est accru au rythme de 600.000 par mois...
Pourtant, l’Argentine est un des pays qui possèdent le plus de richesses naturelles en Amérique latine - et dans le monde - et figurait il y a à peine 50 ans, au lendemain de la seconde guerre mondiale, parmi les dix premières puissances économiques du globe.

Luttes sociales

Face cette réalité, le mécontentement continue à se manifester, bien que l’intensité de l’explosion sociale ait faibli au cours des douze derniers mois.
Le large mouvement des piqueteros - chômeurs qui ont choisi comme forme d’action le barrage des routes - qui est depuis quatre ans le principal acteur social, est toujours présent et cherche à mieux définir son identité. De nombreux groupes, tout en continuant la lutte dans la rue, travaillent à consolider leur organisation et leur capacité de faire des propositions. C’est ainsi que ces derniers mois, les coopératives de biens et de consommation, les petits collectifs de production et les projets d’économie solidaire se sont multipliés.
Cependant, l’approche des élections a provoqué une prolifération des groupes qui risque d’affaiblir la capacité de pression du mouvement au plan national.
Selon une enquête du quotidien "Página 12", le mouvement piquetero connaît une véritable implosion. Rien qu’à Buenos Aires, il existe 15 organisations différentes, et il est devenu presque impossible de se reconnaître dans la profusion des sigles.
« C’est là le résultat d’une évolution divergente depuis novembre 2001, quand ils ont décidé ensemble du dernier plan (de lutte). À l’approche des élections, on observe l’apparition de clivages et d’attitudes plus ou moins en rupture, plus ou moins dures », observe le journal argentin.
En ce qui concerne les assemblées de quartier, ce nouveau phénomène qui a conduit en décembre 2001 aux manifestations insurrectionnelles à l’origine de la démission du dernier président élu Fernando De la Rúa, leur activité s’est ralentie. Bien qu’elles existent toujours dans d’importants quartiers populaires et dans certains de la classe moyenne, leur capacité de mobilisation s’est réduite.
Les usines "récupérées" sont une autre expérience, sans doute moins répandue mais tout aussi importante : il existe plus de 100 entreprises autogérées qui emploient 10.000 travailleurs. La plupart d’entre elles ont éliminé la hiérarchie. Plus de la moitié a déjà dépassé le volume de production antérieur et certaines commencent à embaucher.

Un manque d’alternatives
À quelques semaines du scrutin, les élections ne semblent malheureusement éveiller peu d’intérêt réel parmi les Argentins. À la différence du Brésil, avec le Parti des travailleurs qui a conduit Lula à la présidence, de l’Uruguay, où le Frente Amplio a de bonnes chances de gagner en 2004, ou de la Bolivie avec le Movimiento al Socialismo d’Evo Morales, il n’y a aujourd’hui en Argentine aucune véritable alternative électorale.

Pour ce qui est des formations de droite, la scène est dominée par trois candidats du Parti justicialiste (péroniste) actuellement au pouvoir, dont l’un sera presque à coup sûr le futur président, une candidature peu exaltante du Parti radical (le parti de De la Rúa), tombé à son niveau de popularité le plus bas avec moins de 5% des intentions de vote, et enfin un candidat d’extrême droite.

En face, la gauche est divisée. Elle présente trois ou quatre candidats qui, ensemble, n’atteignent pas les 10% d’intentions de vote. Au centre, c’est la députée Elisa Carrió, chef de file de la lutte contre la corruption, qui brigue la présidence.

Il est difficile de croire que de ce paysage électoral puisse surgir une réelle solution pour le pays. L’indifférence de l’électorat s’explique par le fait que la classe politique est presque complètement coupée de la dure réalité quotidienne des 57% de pauvres. Le slogan « qu’ils s’en aillent tous », qui pendant des mois a rythmé toutes les manifestations sociales, est toujours d’actualité pour les Argentins. Même si nombre de ceux qui l’avaient adopté - y compris à gauche - participent aux élections, la perte de confiance envers les partis et les dirigeants politiques est considérable.

Sauf miracle de dernière minute, les élections de la fin du mois ne seront sans doute qu’un scrutin de plus, dans un pays fatigué qui attend des solutions concrètes et immédiates.


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