Sénégal : la rue contre la réforme électorale

27 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, les tensions politiques gagnent en intensité au Sénégal.

Pierres contre gaz lacrymogènes : les affrontements entre les opposants au président de la République et les forces de l’ordre ont tourné à l’émeute jeudi dernier. En cause : deux mesures envisagées par la réforme constitutionnelle voulue par le parti présidentiel (PDS). La première prévoit le remplacement du président par son vice-président « en cas de démission, d’empêchement définitif ou de décès en cours de mandat ». La seconde insérait un seuil « bloquant » de 25% dans les opérations électorales désignant le chef de l’État. Une disposition qui aurait permis l’élection au premier tour du candidat arrivé en tête avec plus du quart des suffrages exprimés. À la suite des évènements de jeudi, le président Abdoulaye Wade a annoncé le retrait sans condition du projet.

Élection et succession

Arrivé au pouvoir en 2000 à la suite de l’éviction de M. Abdou Diouf, successeur du père de l’indépendance, Léopold Sedhar Senghor, M. Wade souhaite-t-il concourir pour un troisième mandat ? C’est ce qu’affirment des rumeurs persistantes. Pour de nombreux observateurs, le président sénégalais prépare le terrain pour une succession « dynastique » en faveur de son fils Karim. Économiste et banquier formé à Paris et à Londres, ce dernier a subi un revers lors des élections municipales de 2009 au cours desquelles il briguait le siège de maire de la capitale, Dakar. Il dirige un « superministère », chargé de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Aménagement du territoire. Perçu comme un « technocrate » et portant le poids d’une vie presque entièrement passée en Europe, le jeune ministre (42 ans), qui s’exprime difficilement en Wolof, souffrirait d’un déficit de crédibilité dans les classes populaires.

Diplomatie changeante

Une dégradation d’image publique que subit aussi son père, mis en cause par l’opposition dans de multiples scandales politico-financiers et très critiqué pour sa politique d’urbanisme et ses positions changeantes en matière internationale. Si l’on en croit une communication interne des services américains dévoilée par WikiLeaks en novembre 2010, le dirigeant sénégalais aurait été pris en grippe par la diplomatie américaine. Avec la France, ancienne puissance coloniale, M. Wade souffle le chaud et le froid, passant des déclarations anti-colonialistes et à l’annonce de la « reprise » des casernes françaises dans le pays à un rapprochement ostensible avec Paris. Sans y avoir été formellement conviés, lors du G8 au début du mois, Abdoulaye Wade et son fils Karim avaient été reçus au titre d’invités personnels de Nicolas Sarkozy. À cette occasion, le président français avait lui-même présenté le fils du chef d’État africain à Barack Obama. Une rencontre arrangée dont les images ont circulé en boucle dans les médias sénégalais, où elles furent perçues comme un nouveau pas vers la « succession ».

Futur incertain

Échange de bons procédés ? Le 8 juin, Abdoulaye Wade se rendait auprès des rebelles du CNT dans la ville libyenne de Benghazi, groupe dont Nicolas Sarkozy assure vigoureusement la promotion internationale. Un nouveau retournement pour le président sénégalais, autrefois allié déclaré du Guide de la Révolution libyenne, qui peut aussi s’analyser comme une volonté de prendre sa place à la tête du mouvement panafricain, incarné jusque-là par l’homme fort de Tripoli. Au Sénégal même, la position du président Wade et de son fils semble plus affaiblie que jamais, à un an des élections présidentielles.

Geoffroy Géraud-Legros


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