Slovénie : rejet massif de la réforme des retraites

7 juin 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Sous forte pression du FMI et de l’Union européenne, le gouvernement slovène souhaitait allonger l’âge du départ en retraite. Le refus sans ambiguïté exprimé par le référendum tenu avant-hier dans l’ancienne République fédérale yougoslave confirme l’attachement de la population à un modèle propre, performant sur le plan économique comme dans le domaine social.

Il y a deux ans, le ministre du Travail, Ivan Svetlik (centre gauche) proposait de reculer de 5 années l’âge de départ en retraite, que la loi slovène fixe aujourd’hui à 62 ans pour les hommes et les femmes. Face à la levée de boucliers du côté du puissant syndicat slovène, le gouvernement opérait un léger recul, limitant à deux ans l’allongement du temps de travail envisagé par la réforme. Soumise à référendum, celle-ci a enregistré une fin de non-recevoir sans appel, le « non » l’emportant avec un peu plus de 72% des voix, contre 28% au « oui ».

Ligne syndicale…

Malgré une faible participation, phénomène par ailleurs fréquent dans la vie politique slovène, l’issue de la consultation constitue indubitablement une victoire de la ligne défendue par les forces syndicales rassemblées autour du ZSSS (Zveza Slobodni Sindikatov Slovenije : Union des syndicats libres de Slovénie). Pour l’incontournable centrale, qui rassemble près d’un demi-million de travailleurs sur une population globale d’environ 2 millions d’habitants, et son charismatique dirigeant Dušan Semolič, la réponse au vieillissement de la population se trouve dans « la création de nouveaux emplois », et non dans l’allongement de la durée du temps de travail.

…contre pressions tous azimuts

La pression du gouvernement et des institutions ont pourtant pesé de tout leur poids dans le scrutin : au cours d’interventions à l’accent pathétique, le premier ministre Borut Pahor a exhorté les Slovènes à « demeurer maîtres de leur destin ». Pour le chef du gouvernement, privé de majorité parlementaire, en perte de vitesse dans les sondages et défait lors de précédentes consultations, la Slovénie pourrait bien, demain, se retrouver « dans la même position que la Grèce ou le Portugal ». D’ordinaire fort réservé, le Gouverneur de la banque centrale, Marko Kranjec avait lancé un appel en faveur du « oui », mettant en garde la population contre les « graves conséquences à long terme » d’un refus de la réforme impulsée par l’UE et le FMI. Même son de cloche du côté de cette institution, qui en mars dernier, avertissait le gouvernement slovène du caractère « déterminant » (…) « de la réforme votée par le Parlement en décembre pour le rétablissement de l’économie slovène ».

Fort attachement au pacte social

État industriel, sous-traitant de l’économie allemande et bénéficiaire de délocalisations partielles (la Renault "Twingo" est construite sur les chaînes de Novo Mesto, au sud du pays), la Slovénie subit les contrecoups de la crise économique mondiale. Le déficit y a presque doublé en deux ans, alors que le chômage, autrefois quasiment inexistant, atteint aujourd’hui près de 7% de la population active. Dans ce contexte, les organisations financières internationales et l’Union européenne accroissent la pression sur un système socio-économique envers lequel, elles n’ont jamais été avares de critiques, malgré d’indéniables succès au cours des deux dernières décennies. Des reproches qui portent avant tout sur la forte intervention « sociale » de l’État au sein de la société slovène, qui prend à revers le dogme néolibéral adopté par les grandes institutions économiques et les gouvernements occidentaux depuis les années 1980. Malgré la menace à peine voilée d’une mise au « régime grec », la fin de non-recevoir imposée par les électeurs montre une nouvelle fois l’attachement d’une grande partie des Slovènes au pacte de société fixé entre les organisations sociales et les gouvernants au commencement des années 1990, qui a garanti une certaine continuité des acquis sociaux tout en assurant la croissance de l’activité économique du pays.

Geoffroy Géraud-Legros


Parcours d’exception

Considérée comme le « bon élève » de la transition post-communiste, la Slovénie doit son itinéraire particulier tant à l’héritage du socialisme autogestionnaire qu’à l’invention d’un modèle propre lors de l’effondrement de la Yougoslavie. Sous le régime autogestionnaire appliqué par la Yougoslavie après la rupture entre le dirigeant yougoslave Tito et le régime de Staline (1948), la Slovénie, État fédéral de la RFSY (République fédérative socialiste de Yougoslavie) a connu une forte croissance, particulièrement concentrée dans les secteurs de l’industrie et des technologies. Bénéficiaire de la forte croissance yougoslave (plus de 10% par an) pendant les années 1960, l’économie de la République socialiste de Slovénie fut bien moins affectée par le tassement du milieu des années 1970. Elle parvint, grâce au marché intérieur yougoslave et à son fort tissu industriel, à éviter les pires aspects de la récession engagée par le lancement en 1982 du programme d’austérité inspiré par le FMI après la mort du Maréchal Tito par sa successeure, la Croate Milka Planinc. Après la déclaration d’indépendance, le pays fut bien près de servir de cobaye à la « thérapie de choc », politique économique dictée par les institutions internationales combinant rigueur et privatisations à marche forcée. Pourtant, l’économiste américain Jeffrey Sachs, professeur à Harvard et conseiller international des gouvernements de transition se rendit personnellement dans le jeune État, où il élabora avec les autorités du pays un plan visant à la privatisation de la presque totalité des biens, services et industries du pays. Soutenu par le FMI et le gouvernement de droite dirigé par Lojze Peterle, le plan « Sachs » rencontra l’opposition frontale des syndicats, appuyés par le ministre de l’Économie démissionnaire Joze Mencinger, aujourd’hui critique de l’adhésion slovène à l’OTAN et à la zone euro. Largement partagé par la population, ce refus de la vente en gros de l’appareil de production slovène contraignit le pouvoir à une marche arrière : le compromis slovène était né, sur la base de concessions mutuelles. Celles-ci consistent, en résumé, en une compensation de la relative faiblesse des salaires, nécessaire à la compétitivité de cette économie émergente, par la permanence des gains sociaux du socialisme et la forte intervention de l’État dans le domaine social. L’histoire a donné raison au mouvement social slovène et à ces économistes progressistes : appliqué en Russie sous la houlette de Boris Yeltsin, le programme défini par J. Sachs fut à l’origine d’un effondrement généralisé de l’économie et de la société russe, dont le nombre de pauvres passa en trois ans de 1 à 76 millions. La Slovénie, pour sa part, est considérée comme le seul État ayant réussi sa « transition »…


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?

Messages

  • Bravo, voici un article de qualité, c’est bien rare dans la presse française ! Surtout concernant cet Etat méconnu, ce "petit paradis" où l’environnement est encore intact et où les gens ont encore les valeurs d’entraide, de générosité, de simplicité.

    Donc tout simplement merci, c’est tellement rare de voir un article sur ce pays qui soit sans faute absurde (les Français sont décidément ignares à tout ce qui se trouve à plus de 100km de chez eux...) et qui rende bien compte de la volonté populaire de conserver un Etat social fort !


Témoignages - 80e année


+ Lus