Pascal Basse (Mouvement républicain et citoyen)

Strauss-Kahn et les services publics : l’art de l’esquive

9 mai 2005

Vendredi 6 mai sur le marché de Saint-Paul, on a eu droit à du grand Strauss-Kahn. À la question que nous lui avons posée à propos des SIEG (services d’intérêt économique général, prévus par le Traité de Constitution européenne pour remplacer les services publics), il nous a répondu qu’ils allaient ’sauver le service public’. Le débat s’est d’ailleurs arrêté là, sa garde prétorienne rapprochée nous ayant vigoureusement fait comprendre que le ’dialogue’ était clos avant même d’avoir commencé.

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Le député socialiste semble craindre énormément, à l’instar de Chirac, tout débat contradictoire. La campagne présidentielle de 2007 risque d’être forte ennuyeuse si l’on retrouve ces deux-là face à face. Il nous a donc fallu consulter l’argumentaire du "oui de gauche" pour comprendre comment la mort annoncée du service public pouvait sauver le service public.
Je lis dans l’argumentaire de mes amis socialistes que le Traité constitutionnel européen consacre "une avancée décisive des services publics". Dominique Strauss-Kahn se risque même à écrire que "le Traité constitutionnel reconnaît les services publics à leur juste valeur" (“Oui, lettre ouverte aux enfants d’Europe”, page 74). "Juste valeur" ?! Le Traité de Constitution européenne ne place la notion de service public ni dans ses "valeurs" (I-2), ni dans ses "objectifs" (I-3). En fait il n’en parle même pas, ce qui, en cela, constitue un recul par rapport au Traité de Nice.
Le Traité constitutionnel européen ne reconnaît, dans son article II-96, que des "Services d’Intérêt économique général" (SIEG), et encore sous certaines conditions. L’article I-166, alinéa 2, précise que les SIEG sont soumis aux règles de la concurrence. Il ajoute, il est vrai, "dans la limite ou l’application de ses règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie". L’alinéa suivant charge la Commission européenne de prendre "les règlements ou décisions appropriés". Dans son annexe I du “Livre Blanc”, la Commission précise sa religion en matière de SIEG : les termes "service d’intérêt général" et "service d’intérêt économique général" ne doivent pas être confondus avec l’expression "service public". La messe est dite.
J’entends mes amis du "oui de gauche" tenter de dédramatiser le passage du principe de service public à la notion de SIEG : un simple "glissement sémantique" pour les Verts, une tentative de traduction pour le PS qui dans son argumentaire n’hésite pas à écrire que SIEG "signifie service public dans le langage européen" ! Et "couillon", ça se dit comment en "européen" ?!
En outre, n’est-il pas paradoxal de voir le gouvernement Raffarin défendre un Traité de Constitution européenne, qui à l’entendre conforte le service public, alors que l’essentiel de sa politique intérieure est tourné vers un démantèlement méthodique du même service public ? Les combats des TOS, des enseignants, des postiers, des électriciens et gaziers d’EDF-GDF et de tous les autres ne nous rappellent-ils pas constamment cette contradiction ?
Raoul-Marc Jennar, chercheur à l’Unité de Recherche, de Formation et d’Information sur la Globalisation (URFIG), nous éclaire sur les limites des SIEG : les pouvoirs publics ne peuvent créer des services d’intérêt économique général qu’à condition que le marché, c’est-à-dire le secteur privé, ne fournisse pas le service, et que les SIEG respectent la règle de la concurrence. Le principe d’un service public favorisant l’égal accès à tous, parce qu’échappant aux obligations de compétitivité et de profit, est bel est bien mort dans ce Traité de constitution.
Maintenant, quand on connaît l’étendue des pouvoirs et l’orientation ultra-libérale de la nouvelle Commission européenne (Neelie Kroes, la "dame de fer" des Pays-Bas et commissaire à la Concurrence, a privatisé la poste dans son pays, le commissaire au Marché intérieur - le britannique Mac Creevy - est le chantre de la défiscalisation en Europe...), on peut aisément entrevoir l’interprétation qui sera faite des dispositions concernant les SIEG : dans le meilleur des cas, les SIEG seront au service public ce que le SMIC est à un salaire décent. C’est donc à cette valeur que Dominique Strauss-Kahn place le service public : un service minimum soumis à la concurrence d’un marché qui aura tôt fait de faire disparaître les établissements publics qui, bien que rendant service à la population, seront jugés non rentables par leurs actionnaires.

Pascal Basse,
membre du Bureau national du M.R.C.


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