De beaux principes vidés de leur substance

Un exemple : la peine de mort et le droit à la vie

18 mai 2005

On l’a dit et redit, le texte du projet de Constitution européenne est d’une lecture ardue. Le moins que l’on puisse dire c’est que ses rédacteurs n’ont rien fait pour rendre leur copie clairement intelligible. Quand on entend d’ailleurs le principal responsable de cette rédaction, Giscard d’Estaing lui-même, s’auto-féliciter de son style, on peut se demander si l’“illisibilité” du document n’a pas été souhaitée !

(page 4)

Cependant n’exagérons pas... Il arrive qu’on comprenne. Mais la compréhension de certains passages peut être fort trompeuse. Se fier à tel ou tel article, apparemment d’une clarté d’eau de roche, conduit souvent à de cruelles désillusions. Celles-ci surviennent à la lecture d’un autre article, situé à des dizaines de pages de distance, ou plus “vicieusement” dans les annexes.
L’exemple d’aujourd’hui concerne la peine de mort. L’article II-62 du texte qui est soumis à notre vote fait partie de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Il s’intitule “Droit à la vie”. Il établit que "nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté". La formulation est claire et nette, et ne souffre d’aucune ambiguïté.
Seulement voilà, on va s’apercevoir, en lisant les annexes, que ce n’est hélas pas si simple. La déclaration annexée 12 indique : "La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection". On y lit également qu’"un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre" (1)

La belle déclaration de principe (...) vidée de sa substance

Or, ces phrases qui sont tirées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), auraient pu être modifiées (2) . Elles auraient pu prendre acte des avancées accomplies ces dernières années dans le cadre européen. Ainsi le 3 mai 2002, un protocole à la CEDH établi à Vilnius, relatif à "l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances", dispose dans son article 1 que "la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté" et dans son article 2 qu’"aucune dérogation n’est autorisée aux dispositions du présent protocole (...)" (y compris en temps de guerre).
Ce protocole peut aujourd’hui entrer en vigueur. Il fallait pour cela qu’il recueille l’accord de 10 États-membres du Conseil de l’Europe. Or 15 parmi les États de l’Union européenne l’ont d’ores et déjà ratifié (la France quant à elle l’a signé mais pas encore ratifié !). Tous les éléments étaient par conséquent réunis pour que l’Union européenne se dote d’une Constitution digne de la grande démocratie qu’elle se proclame être, en abolissant solennellement la peine de mort en toutes circonstances. Giscard et ses pairs - non mandatés, rappelons-le, par les peuples européens pour bâtir une Constitution - se sont refusés à franchir le pas. Ils ont privé l’Europe d’une avancée décisive en matière de respect de la "dignité humaine" (article II-61).
Ainsi, on le voit, la belle déclaration de principe affichée dans la “vitrine” du texte constitutionnel (la Charte de l’Union) s’avère vidée de sa substance dans l’opacité des textes, beaucoup moins glorieux, de l’arrière-boutique européenne.

Alain Dreneau

(1) Les phrases sont soulignées par nous.
(2) Voir l’édition du 29 avril 2005 du journal "l’Humanité".


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