Un révolutionnaire élu démocratiquement

28 août 2006

En fin d’après-midi, Tempo diffusera un "C dans l’air" spécial, consacré à Hugo Chavez et aux futures élections vénézuéliennes. Dernièrement, je vous ai parlé dans un papier intitulé "La ronde des élections sud-américaines de novembre 2005 à décembre 2006" du profond changement que ces différentes consultations vont imposer au continent sud-américain. Il est vrai que le folklore des révolutions sud-américaines est dans les mémoires de chacun. Tous nous connaissons des noms comme Pancho Villa ou Emilliano Zapata, des noms qui nous renvoient à des films d’aventures, alors que ces personnages ont réellement existé. Depuis quelque temps, sur la scène internationale et surtout depuis la poussée du phénomène alter-mondialiste, de nouveaux noms apparaissent, et s’il en est un qui fait couler beaucoup d’encre, c’est celui d’Hugo Chavez qui, avec sa révolution dite "bolivarienne", fait trembler l’Amérique de George Bush.

Contrairement aux révolutionnaires qui ont maintes et maintes fois été caricaturés, ceux-ci, d’un nouveau genre, sont élus démocratiquement, et aussi populistes que soient leurs promesses, ils les tiennent. Et c’est bien ce qui fait peur aux puissants de ce monde, au cercle qui dirige l’OMC et autres FMI. Hugo Chavez a changé la politique au Venezuela, et quoi que l’on dise de cet homme, les pauvres se partagent un peu mieux les fruits de la croissance due au pétrole, quoi que l’on dise de cet homme, il met en application une réelle politique de gauche et jusqu’à présent, ça marche. Pour la première fois en Amérique du Sud, un peuple élit régulièrement un révolutionnaire. Alors, pour poursuivre ce papier sur un pays que je connais assez bien, que j’ai parcouru, un pays où l’on préfère entendre parler Français, Allemand ou Italien plutôt qu’Américain, j’écris cette lettre ouverte à Hugo Chavez, afin que le nom de Bolivar ne soit pas seulement un prétexte, mais bien la pensée de l’homme qui a réussi à unir pratiquement tout un continent sur son nom.


Lettre ouverte à Hugo Chavez

Chil... Chil... Chil...

Chil... Chil... Chil... C’est le cri du condor qui s’envole des versants abrupts de la Cordillère des Andes, le rapace est à la recherche de vents ascendants qui le feront planer sur les courants chauds venus de Maracaibo. Toi, Hugo Chavez, tu as ramassé le Condor blessé, n’oublies pas qu’il n’est que blessé et qu’une fois sa blessure cicatrisée, il reprendra son envol, pour battre à nouveau ses ailes en toute liberté.

"Celui qui a servi une révolution a labouré la mer"
, avait coutume de dire El Libertador Simon Bolivar. C’est sans aucun doute une maxime que tu as dû longuement méditer Hugo Chavez ! Te voilà à la tête d’un pays grand comme une fois et demie la France, agonisant par des décennies de corruption et de racket mord-américain. Le monde te regarde comme un épouvantail et ton peuple comme un libérateur, tu veux relever le défi d’une révolution bolivarienne, mais tout en douceur. Tu as pris soin d’orner ton bureau des portraits de Simon Bolivar El Libertador et de son plus fidèle ami le Général Antonio José Sucre, mais il faut savoir qu’il y a loin de la pensée à l’accomplissement, et la longue marche que Bolivar fit pour donner l’indépendance à toute la grande Bolivie lui a valu beaucoup d’embûches et de trahisons.

Pour ma part, depuis que tu as reçu du peuple vénézuélien et des plus pauvres d’entre les plus pauvres la destinée de ce pays, j’entends à nouveau le condor crier Chil... Chil... Chil... Dans mes souvenirs, il vient de s’envoler de Pueblo Nuevo et survole la Panamérica, route mythique qui se déroule comme un long ruban d’asphalte, de l’Alaska à la Terre de Feu. Sur le bord de la route, un Niño de las calles joue du “cuatro” (petite guitare vénézuélienne à 4 cordes) et le condor décrit des cercles au dessus de la charogne.

Et si tu réussissais Chavez ?

Tu as voulu reprendre à ton compte la révolution bolivarienne, mais de manière démocratique, et te voilà de nouveau face aux électeurs. Pour la troisième fois, tu vas tenter de convaincre que Simon Bolivar avait raison en voulant unifier la Colombie. En même temps que le condor blessé, c’est le serment fait sur la montagne romaine par El Libertador que tu as ramassé, tu veux en être le gardien, mais n’est pas Bolivar qui veut ! Souviens-toi de la déclaration que fit le 26 mars 1812 Simon Bolivar alors qu’un tremblement de terre causait d’énormes dégâts et de nombreuses pertes humaines à Caracas et aux environs. Sur la Place de San Jacinto, juché sur un tas de ruines, il lança cette fameuse déclaration : "Si la nature s’oppose à nos desseins, nous lutterons contre elle et ferons en sorte qu’elle nous obéisse". C’est avec de telles attitudes que naissent des légendes, l’attitude d’hommes qui ne cèdent pas, quelles que soient les difficultés qu’ils peuvent rencontrer sur leurs chemins. Alors, bien d’autres catastrophes se mettront en travers de ta route et il ne te suffira pas de crier "Bolivar !" pour les surmonter. Comme aucun pays ne peut se diriger sans le concours du peuple, il ne peut non plus se couper du reste du monde.

Je ne suis pas conseiller en politique, mais je regarde cette révolution démocratique se dérouler, et en observateur attentif, je regarderai comment tu traiteras le condor blessé. Les peuples d’Amérique latine sont, depuis bien trop longtemps, secoués par des dictatures. À chaque tentative de révolutions populaires, le grand voisin américain a tôt fait de les déstabiliser. Souviens-toi du rêve brisé de l’unité populaire au Chili qui se termina par le suicide de Salvador Allende et la naissance de la sinistre dictature de Pinochet. L’Amérique latine, mais aussi le monde est tourné vers l’expérience vénézuélienne. Tous regardent le condor qui est là et tourbillonne pour débarrasser la charogne qui a pour noms "convoitise", "égoïsme", "ultra-libéralisme", "FMI", "OMC".

Le but de cette lettre n’est pas de montrer une admiration béate devant ton expérience, Hugo Chavez, ce ne sont que quelques mots pour dire qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, et que si j’entends à nouveau le condor crier "Chil... Chil... Chil...", fais en sorte que le grand oiseau ne retombe pas dans les affres d’où tu l’as ramassé.

Philippe Tesseron
http://www.espaceblog.fr/teletesseron/


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