Traité constitutionnel européen : ’Les fondements du droit constitutionnel sont bafoués’ - 4 -

Un texte qui n’assure pas la séparation et le contrôle des pouvoirs

14 avril 2005

Dans le 4ème volet de son exposé sur le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe sur lequel les électeurs devront se prononcer le 29 mai prochain, le juriste Étienne Chouard met en évidence une carence grave de ce texte : l’absence de séparation et de contrôle des pouvoirs. Pour le juriste, cela signifie la porte ouverte à l’arbitraire.

(page 4)

Quatrième principe de droit constitutionnel :
Une Constitution démocratique garantit contre l’arbitraire en assurant à la fois la séparation des pouvoirs et le contrôle des pouvoirs.

L’esprit des lois décrit par Montesquieu est sans doute la meilleure idée de toute l’histoire de l’Humanité : tous les pouvoirs tendent naturellement, mécaniquement, à l’abus de pouvoir. Il est donc essentiel, pour protéger les humains contre la tyrannie, d’abord de séparer les pouvoirs, et ensuite d’organiser le contrôle des pouvoirs : pas de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.
Ainsi le peuple dit : "Toi, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même." Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens de devenir un tyran.
"D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs."
C’est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude quotidienne.

Un vice rédhibitoire

Foulant aux pieds ces principes fondateurs de la démocratie, le "traité constitutionnel" entérine au contraire l’attribution de tous les pouvoirs au couple exécutif Conseil des ministres + Commission : c’est ainsi que le pouvoir législatif (l’exécutif européen a l’exclusivité de l’initiative des lois !(1)), le pouvoir exécutif, et le pouvoir judiciaire (c’est l’exécutif qui intente, ou pas, les actions en justice aux fins de respect de la Constitution (2)) sont dans les mêmes mains !
Avec la confusion des pouvoirs, c’est un premier rempart essentiel contre la tyrannie qui nous échappe !
Avec une certaine cohérence, ce texte prive aussi le Parlement européen des pouvoirs élémentaires et essentiels que lui confère pourtant traditionnellement son élection au suffrage universel direct : le parlement européen n’a pas l’initiative des lois.
Ceci est un vice rédhibitoire, absolument pas négociable. Si on laisse passer ça, on est fous.

(à suivre)

Étienne Chouard

(1) Exclusivité de l’initiative des lois pour l’exécutif : article I-26 :
"(...) §2. Un acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où la Constitution en dispose autrement. Les autres actes sont adoptés sur proposition de la Commission lorsque la Constitution le prévoit."

(2) Pouvoir de lancer les procédures judiciaires ou pas :
Article I-26 :
"La Commission européenne : §1. La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin.
Elle veille à l’application de la Constitution ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de celle-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle exécute le budget et gère les programmes. Elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par la Constitution. À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par la Constitution, elle assure la représentation extérieure de l’Union. Elle prend les initiatives de la programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union pour parvenir à des accords inter institutionnels."


5 principes bafoués

Dans cette affaire d’État, les fondements du droit constitutionnel sont bafoués, ce qui rappelle au premier plan cinq principes transmis par nos aïeux. Les principes 4 et 5 sont les plus importants.

1. Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote populaire : ce texte-là est illisible.

2. Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là est partisan.

3. Une Constitution est révisable : ce texte-là est verrouillé par une exigence de double unanimité.

4. Une Constitution protège de la tyrannie par la séparation des pouvoirs et par le contrôle des pouvoirs : ce texte-là organise un Parlement sans pouvoir face à un exécutif tout puissant et largement irresponsable.

5. Une Constitution n’est pas octroyée par les puissants, elle est établie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants, à travers une assemblée constituante, indépendante, élue pour ça et révoquée après : ce texte-là entérine des institutions européennes qui ont été écrites depuis cinquante ans par les hommes au pouvoir, à la fois juges et parties.


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