Les solutions souhaitables au différend franco-comorien sur l’île de Mayotte - 4 -

Une ’confédération bilatérale’ pour rapprocher les quatre îles de l’archipel des Comores

14 janvier 2009

Dans la dernière partie de sa libre-opinion, le professeur André Oraison propose des solutions institutionnelles qui pourraient au bout d’un temps assez long arriver à résoudre le différend franco-comorien, à condition que toutes les parties concernées arrivent à aller dans le même sens.

Les responsables politiques comoriens sont eux-mêmes conscients qu’ils doivent aller beaucoup plus loin dans la voie des réformes. C’est le cas d’Ahmed Abdallah Mohamed Sambi qui, à l’occasion des nouvelles élections présidentielles du 14 mai 2006, a réussi l’alternance politique en remplaçant démocratiquement le colonel Azali Assoumali. Dès sa toute première déclaration à la presse, le nouveau chef de l’État, originaire d’Anjouan, a, certes, tenu à rappeler - comme tous ses prédécesseurs depuis le 6 juillet 1975 - le postulat immarcescible selon lequel « Mayotte est et restera toujours comorienne ». Cependant, il a innové en précisant, avec lucidité, qu’il faudra que les choses changent de manière substantielle dans le cadre du nouveau régime « pour que les habitants de Mayotte soient tentés d’intégrer l’Union des Comores » (1). Mais que faire exactement pour que cet objectif puisse un jour être atteint ?

Pour renverser la tendance, le Gouvernement de Moroni devrait prendre une série de mesures destinées à rassurer les Mahorais. On peut ici en citer quelques-unes. Il devrait en premier lieu coopérer avec les différentes composantes de la Communauté internationale et d’abord avec le Gouvernement de Paris - en bénéficiant au besoin d’une assistance financière et technique de la France - pour lutter contre l’immigration clandestine et massive à Mayotte de nationaux comoriens. Il est certain que ce phénomène - grandissant depuis 1976 - donne une très mauvaise image de marque de l’État comorien et révèle le délabrement de son organisation économique, sociale et sanitaire (2). L’afflux continu et de plus en plus important d’immigrés comoriens en situation irrégulière - on évalue leur nombre à près de 50.000 en 2008, soit environ le quart de la population locale - est aussi et surtout un facteur de déstabilisation non négligeable de la société mahoraise traditionnelle confrontée à de graves problèmes économiques, sanitaires, scolaires et sociaux. Cet afflux de clandestins se traduit par des risques de plus en plus réels de "dérive xénophobe", la multiplication des violences urbaines dans les banlieues du chef-lieu de Mamoudzou et la montée en puissance d’une délinquance juvénile de survie de plus en plus préoccupante, dans un pays où plus de 56% de la population a moins de vingt ans. Dénoncée par des élus locaux de plus en plus impuissants, cette immigration massive est également responsable de l’augmentation du taux de chômage qui dépasse déjà 40% de la population active dans une île caractérisée par une impressionnante explosion démographique depuis une trentaine d’années et où la densité de population (534 habitants au km2) est déjà près de cinq fois supérieure à celle de la France métropolitaine (111 habitants au km2).

Dès à présent, une conclusion partielle s’impose : si elle veut assurer plus de stabilité dans la zone Sud-Ouest de l’océan Indien et lutter contre les filières de l’émigration clandestine dans son intérêt bien compris et d’abord de celui de ses nationaux résidents à Mayotte et à La Réunion, la voie de la France apparaît toute tracée. Dans le cadre de ce qui pourrait être l’équivalent d’un "Plan Marshall", l’ancienne Puissance coloniale a intérêt à aider un nouvel État comorien, démocratique et décentralisé sur le plan institutionnel, économique, social et sanitaire. Dans cette optique et après leur premier entretien officiel à l’Élysée, le 28 septembre 2007, les présidents Abdallah Mohamed Sambi et Nicolas Sarkozy ont annoncé la mis en place d’un "Groupe de travail de haut niveau" (G.T.H.N.) franco-comorien avec la participation d’élus mahorais afin de faire des propositions constructives. Les travaux de ce groupe devraient aboutir au cours de la présente année 2009 à un accord bilatéral portant sur le développement conjoint de Mayotte française et des Comores indépendantes et sur la circulation des personnes et des biens entre les différentes composantes de l’archipel (3). Que dire alors en guise de réflexions terminales ?

Réflexions terminales

L’actuel Gouvernement de Moroni devrait tout mettre en œuvre pour pérenniser le plus rapidement possible la "transition démocratique" aux Comores et pour favoriser l’instauration d’un véritable fédéralisme dans "l’Archipel aux parfums" impliquant un Parlement bicaméral afin d’assurer de manière distincte la représentation de l’ensemble des populations locales et celle des différents États membres de la fédération. Si Mayotte devait un jour réintégrer le giron comorien, sous une forme ou sous une autre (dans l’hypothèse évidemment la plus optimiste et corrélativement la plus lointaine), ce ne pourrait être qu’après l’instauration d’un État de droit durable aux Comores et d’un authentique État fédéral impliquant un bicaméralisme qui n’existe pas aujourd’hui et laissant une très large autonomie aux entités fédérées - Anjouan, Grande Comores et Mohéli - sur le plan constitutionnel, économique, social, sanitaire et financier.
Ce n’est qu’une fois ces objectifs atteints ou sur le point d’être atteints par la négociation que pourrait alors être envisagée, pour une période indéterminée, une "confédération bilatérale" entre les Comores et Mayotte. Une telle structure devrait permettre aux Mahorais - tout en demeurant dans la République française - de discuter sur un pied d’égalité avec leurs cousins comoriens sur un certain nombre de sujets communs : art et traditions, culture et éducation, pêche, santé, sport, tourisme. Il est clair qu’une telle liste n’est pas exhaustive. En vue de parvenir à l’objectif d’un rapprochement entre Mayotte et les autres îles Comores, les autorités de Moroni devraient à l’occasion faire prévaloir la modération afin de dialoguer sur un pied d’égalité et sans a priori avec les représentants de Mayotte par le biais de commissions mixtes paritaires permanentes comoro-mahoraises avec le soutien politique et financier de la France et les encouragements de la Communauté internationale (4). Pour aboutir à une solution durable, consensuelle et pacifique, cette stratégie de la persuasion risque d’être longue et les résultats ne sont pas d’avance garantis. Il faut d’emblée le savoir. Mais la patience n’est-elle pas l’art d’espérer ? Que dire, en dernière analyse, si l’on veut faire preuve de réalisme ? Quelle réponse peut-on donner à la sempiternelle question : quand prendra fin le combat du pot de terre contre le pot de fer, le combat de "David contre Goliath" ?

Voici notre ultime réflexion : penser que le vieux différend franco-comorien sur Mayotte - une petite terre postée en sentinelle à l’entrée nord du canal de Mozambique - puisse être résolu rapidement, c’est faire preuve d’un optimisme incommensurable. C’est croire au matin des magiciens. Imaginer que "l’île au parfum envoûtant d’ylang-ylang", ancrée sur la route des cyclones et des grands pétroliers, puisse dans un proche avenir réintégrer le giron comorien dans le cadre d’un État fédéral authentique et pérenne, c’est - pour reprendre la formule d’un délégué soviétique à une conférence sur le désarmement à Genève dans les années "60" - "passer de l’autre côté du miroir et suivre Alice au pays des merveilles".

(Fin)

André Oraison,
Professeur de droit public à l’Université de La Réunion

(1) Voir l’interview de l’actuel Président de l’Union des Comores, Ahmed Abdallah Sambi, in "Élection présidentielle aux Comores. Sambi rafle 58% des suffrages", “Le Quotidien“ de La Réunion, mercredi 17 mai 2006, p. 20.

(2) Le phénomène de l’immigration clandestine est d’autant plus important que Mayotte est distante de 70 kilomètres à peine de l’île la plus proche de l’archipel des Comores qui est celle d’Anjouan. Outre la proximité géographique et la recherche d’un avenir meilleur, des liens familiaux, religieux et culturels entre les ressortissants des quatre îles comoriennes peuvent expliquer ces flux migratoires importants. Voir Nauleau (B.), "Situation alarmante des mineurs à Mayotte", “Le Journal de l’Ile”, samedi 29 novembre 2008, p. 21.

(3) Voir ISSA (I.), "Bilan de la visite de Yves Jégo aux Comores. La « nouvelle entente » Paris-Moroni", Le Quotidien de La Réunion, samedi 17 mai 2008, p. 9.

(4) Voir Carayol (R.), "Nouvelle priorité des élus locaux. Mayotte, du département à la coopération régionale", “Le Quotidien” de La Réunion, mardi 20 mai 2008, p. 21.


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