Réchauffement

Une espèce sur quatre risque de disparaître

Des dégâts irréparables en moins de 50 ans si rien ne change

12 janvier 2004

Dans son édition de vendredi, ’Libération’ revient sur l’étude de ’Nature’, qui explique que le changement climatique pourrait provoquer la mort du quart des espèces végétales et animales d’ici 50 ans. Un constat dramatique qui démontre une nouvelle fois l’urgence de la mise en œuvre du protocole de Kyoto.

Le message est clair. Alors que l’homme tente de créer des sanctuaires pour protéger de ses activités la diversité des espèces animales et végétales, le réchauffement climatique risque de décimer l’extraordinaire richesse de la planète, selon une étude internationale publiée dans "Nature", sous la conduite de Chris Thomas de l’Université de Leeds (Grande-Bretagne). C’est la première tentative de modéliser à l’échelle de la planète les effets du réchauffement du climat « made in homo » sur les espèces. Et c’est vertigineux.
À en croire cette prophétie - plutôt étayée -, le quart des espèces terrestres de la planète pourrait être éradiquées par le réchauffement attendu d’ici à 2050.
Après maints calculs, en modifiant les paramètres - par exemple sur l’aptitude, ou non, des espèces à se déplacer pour retrouver un habitat -, les chercheurs ont établi des fourchettes, région par région. Globalement, 18% des espèces pourraient disparaître si le réchauffement est faible (hypothèse, jugée illusoire, d’un réchauffement global compris entre seulement 0,8° et 1,7°C) ; 24% s’il est modéré (1,8° à 2°C), et 35% s’il est élevé (plus de 2°C). Les estimations du Groupe intergouvernemental d’experts de l’ONU donnent une hypothèse haute à 5,8°C.
Cette extrapolation de résultats locaux à l’ensemble des espèces de la planète ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs, notamment en France. « Il est vrai que l’on ne connaît pas toutes les données », avoue Chris Thomas, « notamment en terme d’interactions entre les espèces. Mais cela permet de donner des ordres de grandeur ». Ses résultats confirment un point sur lequel tout le monde est d’accord : le changement climatique va bouleverser la biodiversité. Reste à savoir si les espèces auront le temps de s’adapter, ce qui est peu probable compte tenu de la brutalité des évolutions mesurées et prévues, ou si la prophétie de Thomas et ses collègues devait se concrétiser.
Comme les océanographes et les climatologues dans le passé, les biologistes vont de plus en plus marteler le même cri d’alarme à l’intention des politiques. Il faut agir, vite et fort, pour éviter le pire, puisque le réchauffement est inéluctable. Alors que le très timide protocole de Kyoto n’existe toujours que sur le papier, et que personne - pas même l’Europe - n’a engagé d’efforts à la hauteur des enjeux, ce sont des centaines de milliers d’espèces qui pourraient être sauvées si les oracles du climat étaient enfin entendus. Sans oublier un nombre imprévisible - et considérable - de vies humaines.

Une sixième extinction à très grande vitesse
Cinq fois déjà, depuis 600 millions d’années, la grande faucheuse a décimé la biodiversité terrestre. Cinq périodes où des événements géologiques, climatiques ou astronomiques (la chute d’astéroïdes) ont drastiquement réduit le nombre d’espèces vivantes. Ces crises servent de points de repère dans les stratigraphies des géologues. La plus connue date de la fin du Crétacé, il y a 65 millions d’années. Elle mit fin au règne des dinosaures. La plus violente remonte au Permien, il y a 245 millions d’années. Elle élimina 90% des espèces marines connues. (…)

La sixième extinction, celle qui est en cours, n’a en revanche rien d’énigmatique : elle est due à la pression que l’homme exerce sur les milieux naturels. Le taux d’extinction actuel serait déjà plus de mille fois supérieur au "bruit de fond", celui des disparitions d’espèces - la durée de vie moyenne de chacune ne dépassant pas quelques millions d’années - en parallèle aux créations de nouvelles espèces. La pression est directe (prédation, destruction des habitats, artificialisation des sols, pollution) et indirecte : le bouleversement climatique dû aux émissions massives de gaz à effet de serre diffère des fluctuations naturelles par son extrême rapidité. Il avait fallu près de 7.000 ans pour faire disparaître les énormes calottes glaciaires de la dernière ère froide. En moins d’un siècle, l’homme pourrait provoquer un changement climatique de même ampleur. Beaucoup trop vite pour que disparition et création d’espèces s’équilibrent.

Parmi les 15.000 espèces de mammifères et d’oiseaux connus (et chez lesquels on a la meilleure qualité de données), 210 espèces se sont éteintes depuis 1600. Ce qui dépasse de 30 à 70 fois le "bruit de l’extinction", c’est-à-dire le rythme naturel. De plus, ce chiffre est forcément sous-évalué puisqu’il faut apporter la preuve qu’une espèce a bien disparu pour qu’elle soit comptabilisée. La variation climatique pourra être fatale aux populations les plus affaiblies, notamment les grandes espèces déjà réduites, et qui ont une faible variabilité génétique. Les micro-organismes risquent, eux, de s’adapter et de proliférer. « Les espèces envahissantes vont l’être encore plus », craint Didier Moreau, chargé de mission au WWF (World Wildlife Fund).
« L’ours blanc dont on avait réussi à remonter la population va voir sa stratégie de chasse modifiée avec la fonte de la banquise ». En fait, dans ce grand patchwork du monde vivant, chacun réagira avec ses moyens...


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