Cinéma

Une identité portoise et régionale forte

1er Festival du film d’Afrique et des îles :

30 septembre 2003

Le Festival du film d’Afrique et des îles, organisé au Port du 22 septembre au 1er octobre, "rogatons" compris, a mis fin samedi à la compétition, avec deux prix décernés à deux courts-métrages, un documentaire et une fiction. Cette première édition d’un Festival réalisant le lien entre l’Afrique et les îles nées de la Traite mérite de grandir, dans le public et dans son organisation. Il est né au Port, après vingt ans d’efforts pour faire naître une industrie et une culture de l’image. Quoi de plus naturel ?
Le prix du documentaire est allé à "Western 4.33", d’Aryan Kaganof, un film inclassable, dur tant il dérange par sa plastique étrange. C’est une co-production néerlando-sud africaine dont le propos tient du devoir de mémoire. "Western 4.33" est le nom d’une route traversant la Namibie, jusqu’à un camp de concentration construit dans le désert, où les colonialistes allemands ont parqué, entre 1904 et 1908, les survivants africains d’un massacre comme la colonisation en a tant produit. Ce film a été primé douze fois à travers le monde, avant de recevoir samedi le "Prix du documentaire" décerné par le jury que présidait Mama Keïta, cinéaste guinéen.
Le prix de la fiction est allé à "A drink in the passage" de Zola Maseko, réalisateur sud africain dont la fiction (29 minutes) est tirée d’une nouvelle d’Alan Paton (que le roman "Pleure, ô mon pays bien aimé" a fait connaître dans le monde entier). Il expose les questions posées par un artiste-sculpteur noir à la société sud-africaine de l’apartheid.

Conforter son assise régionale

La grande diversité des deux films primés témoigne d’une volonté du Festival de faire droit à des films de genres et d’esthétiques très différents, donnant une identité forte à une manifestation qui va chercher à conforter au fil des ans son assise régionale.
Samedi soir, pour clore la partie "compétition" du festival (c’est une règle du genre), les organisateurs ont projeté les deux films primés dans une des salles de l’École des Beaux-Arts. Sarah Maldoror, présidente d’honneur du festival, y a rendu hommage à David Achkar, cinéaste guinéen disparu très jeune, dont deux films ont été montrés dans la semaine : un film en compétition ("Kiti") et un hors compétition ("Allah Tantou"). La présidente d’honneur a souligné « le courage » du jeune guinéen et « sa détermination à aller jusqu’au bout de ses idées », quoi qu’il en coûte.
Le président du jury avait dû malheureusement quitter l’île en soirée avant la cérémonie de clôture. En compétition dans le festival figurait son documentaire "David Achkar, une étoile filante", sur la vie et l’œuvre de son jeune compatriote et, hors compétition, "Le 11ème Commandement" et "Le fleuve", avec Stomy Bugsy, en avant première à La Réunion, avant la sortie parisienne en 2004. Tous les autres invités étaient à l’école des Beaux-Arts, samedi : Sarah Maldoror, le Sri-Lankais Vimukthi Jayasundera, le Martiniquais Julius-Amédée Laou et le Mauricien Selven Naïdu, directeur de la MFDC (Mauritius Film Development Corporation), dont le court métrage de fiction "Le rêve de Rico", a été présenté hors compétition le 22 septembre, pour l’ouverture du Festival.

Beaucoup d’inédits

Les invités, à l’exception du jeune Sri-Lankais dont les films étaient en compétition, ont constitué une partie du jury, auquel ont également pris part l’universitaire Daniel-Roland Roche, Hubert Gonzague, enseignant et réalisateur, Dominique Blanc, le photographe Thierry Hoarau, Dominique Richard (RFO), Françoise Kersevet (DRAC), Alain Gili et Axel Gauvin.
Ils ont eu à choisir entre vingt et trente films mis en compétition, dont beaucoup étaient des inédits à La Réunion, tels les films de Jorane Castro ("Ici aussi c’est le monde"), Jean-Pierre Bekolo ("Quartier Mozart"), Yasmine Kassari ("Quand les hommes pleurent"), Joseph Bitamba ("Le métis"), Zola Maseko ("A drink in the passage"), Stéphane Oriach, ("Les ancêtres, les esprits, mes os"), Balufu Bakupa Kanyinda ("Bongo libre"), Laurence Attali ("Le déchaussé"), Jacques Sarazin ("Je chanterai pour toi"), Alain Della Negra ("Chitra-Party"), Taylan Barman et Mourad Boucif ("Au delà de Gibraltar").
La soirée de samedi a pris fin avec la projection de "Bleu, blanc, noir" de Patrick Viret, co-produit par le théâtre Vollard dont Emmanuel Genvrin (metteur en scène) a rappelé les circonstances du tournage, en 1989, année du Bicentenaire de la Révolution de 1789. C’était une première dans l’île, plus de dix ans séparant le tournage du film de son montage. On y retrouve avec émotion des extraits de la pièce "Etuves" d’Olympes de Gouge, montée par le théâtre Vollard à l’occasion du Bicentenaire, entrecoupés de nombreuses interviews, dont celles des historiens Claude Wanquet et Jean-Marie Desport.

"Portois", océanique et africain

Ce premier Festival, "portois" dans son lieu d’accueil, océanique et africain dans son projet, produit d’une culture cinématographique déjà bien ancrée dans la ville, a une forte connotation de soutien au "7ème art" dans sa dimension plastique et de recherche, son refus des carcans. La présence et le rôle que peut jouer une école des Beaux-Arts dans un tel événement, pour structurer la relation à l’image de publics très divers, mérite un soutien institutionnel et populaire plus affirmé et patiemment construit par une équipe diversifiée et consacrée à cette tâche. C’est ce qu’il faut souhaiter aux organisateurs et à leurs partenaires pour les prochaines éditions.
« Après vingt ans de Village Titan, où l’image et le 7ème art ont toujours eu leur place, plus de dix ans de Journées du film d’Afrique et des îles et d’autres thèmes (L’Art du doc/k), dix ans de ce thème africano-insulaire à Mayotte aussi, nous savons que frimer est pernicieux, et qu’approfondir l’ouverture à l’Autre et à l’expression artistique de l’autre est un sacré travail. Nous nous y attelons », écrivait Alain Gili dans un texte de présentation du festival que nous publierons prochainement. Ce premier essai est une réussite qui mérite une implication forte de la ville et de ses nombreux partenaires, des acteurs culturels et associatifs et… du public.


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