Vers une pensée autonome réunionnaise ?

15 janvier 2009, par Roger Orlu

Chaque jour, du matin au soir, on fait l’expérience que 63 ans après l’abolition du statut de colonie de La Réunion, la société réunionnaise est encore dominée par les survivances de ce régime. La majorité des détenteurs des pouvoirs économiques, politiques, médiatiques, culturels, judiciaires, etc... ont fréquemment des paroles, des écrits et des actes méprisants envers les Réunionnais et visant à perpétuer un “modèle de développement” inégalitaire, destructeur de notre environnement, contraire à l’intérêt général de la population et très lourd de menaces pour les générations futures.
D’ailleurs, ce n’est pas le peuple réunionnais qui est détenteur des principaux pouvoirs de décision dans son île. Quant aux décideurs réunionnais en charge de certaines responsabilités, ils sont soit complices de ce système injuste et soutenus pour cette raison par leurs “maîtres”, soit ils s’y opposent, se battent pour un développement durable, solidaire et responsable de La Réunion et alors ils sont traînés dans la boue et systématiquement attaqués par les “grands” et “petits chefs” du pays ainsi que par les “faiseurs d’opinion”.

Une des dernières illustrations de cette réalité à analyser et à changer est un récent édito de la presse “bourgeoise et bien-pensante”, qui s’en prend aux dirigeants et joueurs de la Jeanne d’Arc pour avoir remis, entre autres cadeaux à leurs hôtes tourangeaux, le dernier livre du président de la Région intitulé “Du rêve à l’action” (notre photo). Cet ouvrage est en outre qualifié de « livre à la gloire de Paul Vergès », ce qui est entièrement faux.
Si le journaliste avait lu le livre ou voulu dire la vérité, il aurait expliqué qu’il contient de nombreux discours de l’élu réunionnais sur des sujets très importants et variés comme l’histoire de La Réunion, son peuplement, sa culture, son environnement, le développement durable..., avec des informations et des commentaires fort intéressants pour qui veut découvrir notre île en profondeur. On y apprend notamment comment il est possible de penser en Réunionnais et de se libérer de l’aliénation intellectuelle et politique qui pollue notre société. Aliénation à l’image de ce même journal qui consacre trois jours après sa “Une” et quatre autres pages à « 2009 : ce que disent les astres ». C’est vraiment prendre les Réunionnais pour des demeurés.

Cela fait penser à la naissance de la philosophie dans la Grèce antique, décrite par Théodore Oïzerman (1). Cette pratique nommée “amour de la sagesse” apparaît dans une société où « la mythologie reste encore la forme dominante de conscience sociale. Les premiers philosophes entrent en conflit avec les conceptions mythologiques traditionnelles, et c’est en cela qu’ils sont philosophes ». Il poursuit : « Aussi longtemps que sa conscience est investie par la mythologie, l’être humain ne se demande pas ce qu’est la sagesse ». Et quand la philosophie apparaît, elle « remplace les mythes et les divinations par la réflexion de l’être humain, ne se référant pas à une autorité extérieure s’exerçant sur le monde où il vit et sur son destin ». Il conclut : « Toutes ces prises de position sont autant d’actes révolutionnaires par quoi s’affirme une pensée autonome, critique, indépendante de la tradition mythologique et religieuse ».
Au moment où l’on parle de plus en plus d’aller vers l’autonomie énergétique à La Réunion et de bâtir une autosuffisance alimentaire régionale, une de nos priorités n’est-elle pas aussi d’aller vers une pensée autonome réunionnaise, qui reste bien sûr en même temps ouverte au monde ?

Roger Orlu

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(1) Voir “Problèmes d’histoire de la philosophie”, Éditions du Progrès, 1973, pages 18-19.


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