Afghanistan

Après la mort de Johan Naguin, des questions demeurent

15 septembre 2009, par Geoffroy Géraud-Legros

Le décès tragique d’un jeune Réunionnais en Afghanistan amène une série de questions.

La disparition d’un soldat réunionnais sur le champ de bataille afghan porte tout naturellement à un premier mouvement de compassion, à l’unisson de la famille de ce jeune soldat de 24 ans, tombé à des milliers de kilomètres des siens et de son île.
A l’émotion populaire s’est ajoutée l’expression de la solidarité nationale, au travers de cérémonies d’hommage et de recueillement. On a aussi pu entendre plusieurs déclarations exaltant les vertus guerrières des jeunes Réunionnais et leur engouement pour le métier des armes. Ces propos ne doivent, ne peuvent néanmoins faire écran aux questions de fond que pose la mort des soldats sur le théâtre des opérations.

Tout est-il mis en œuvre pour préserver la vie des soldats ?

Dans quelles conditions de sécurité les militaires opèrent-ils en Afghanistan ?
C’est à la suite de l’explosion d’une bombe artisanale que le jeune homme a perdu la vie. Comment comprendre qu’un tel dommage puisse être causé par un instrument de fortune, à des soldats équipé d’un matériel de haute technologie, censé garantir une sécurité maximale ?
Le caporal Naguin a trouvé la mort dans un véhicule de l’avant blindé (V.A.B), doté d’un appareillage sophistiqué destiné à prévenir la mise à feu des engins explosifs. Inséré dans un convoi comportant 9 véhicules semblables, le VAB de Johan Naguin était, de plus, précédé par un engin de type S.O.U.V.I.M, destiné spécialement au repérage et à la neutralisation des matériaux explosifs.
On peut dès lors se demander si toutes les précautions nécessaires à la sécurité des soldats ont été prises en l’espèce, dans un conflit où s’accumulent les dysfonctionnements et les "bavures" : l’armée française a d’ailleurs elle-même ouvert une enquête, en vue de déterminer la nature et la puissance exactes de la bombe qui a emporté Johan Naguin.

Vocation patriotique ou contrainte sociale ?

Au-delà de ces interrogations, certains des commentaires qui ont accompagné les cérémonies à la mémoire du jeune caporal nécessiteraient d’interroger en profondeur tout un discours de la guerre, qui met en avant l’attrait supposé du métier des armes auprès de notre jeunesse…discours qui, lorsqu’il est mis en perspective, s’applique d’abord aux plus défavorisés et aux catégories marginalisées par des systèmes sociaux générateurs d’injustices.
Dans l’Hexagone, plusieurs reportages ont exalté « l’intégration » des jeunes « issus de l’immigration » —c’est le terme dont sont affublés des jeunes gens dont les grands-parents étaient déjà français— par l’Armée. Ainsi le département de Seine-Saint-Denis (93) s’enorgueillit d’avoir deux bureaux de recrutement alors que d’autres départements n’en comptent qu’un seul. Plus que la ferveur patriotique, c’est avant tout la destruction des emplois industriels, occupés par les parents des jeunes « issus de »…, et l’impossibilité croissante pour ces derniers de trouver un emploi qui caractérise ce département. A ces facteurs d’exclusion s’ajoutent les discriminations à l’embauche fondées sur des préjugés religieux et —ou ethniques. Ainsi, pour toute une fraction de la jeunesse populaire, l’Armée peut apparaître comme un lieu de classement de dernier recours ou, en outre, l’uniformisation peut effacer les différences d’origine sociale et de couleur.

Une conscription économique silencieuse

De même, aux USA, des études font apparaître la surreprésentation des Noirs, des Portoricains et des Américains blancs d’origine rurale —catégories sociales les plus touchées par la crise— au sein des troupes d’occupation.
C’est à la lumière de cette tendance lourde des armées de métier à se composer en fonction d’une conscription économique silencieuse, qu’il faudrait interroger l’itinéraire qui mène les jeunes Réunionnais vers l’Armée. Dans une île dont 52% de la population vit en deçà du seuil de pauvreté, qui compte près de 100.000 analphabètes, et où le chômage frappe près de 30% des actifs, l’engagement demeure l’un des rares échappatoires à la pression des inégalités sociales, alors que se ferment inexorablement d’autres voies d’accès à la fonction publique.
Il est donc infiniment plus pratique et moins coûteux politiquement de brandir la "vocation" guerrière supposée des Réunionnais, que de mener une réflexion sur les déterminants sociaux qui pèsent sur les choix des jeunes qui se retrouvent à batailler en Afrique, dans les montagnes Afghanes ou encore à la frontière qui sépare le Kosovo de la Serbie.
D’autant qu’on peut se demander dans quelle mesure le patriotisme est en cause ici : car si la jeunesse réunionnaise n’a pas hésité, après la Libération de notre île, à verser volontairement son sang auprès du peuple de France pour combattre les fascismes, les guerres dans lesquelles elle est aujourd’hui engagée semblent plus inspirées par de très prosaïques intérêts économiques que par l’esprit des luttes de libération d’hier.

Geoffroy Géraud


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