Liban

Au bord de la guerre civile ?

19 mai 2008

La violence a éclaté à nouveau au Liban la semaine dernière. Alors qu’après Beyrouth, c’était Tripoli (ville côtière au Nord du pays) qui avait retrouvé le calme, de violents combats ont éclaté au Sud-Est de Beyrouth. Partisans de la majorité et de l’opposition libanaises dans plusieurs zones à majorité druze se sont affrontés au Sud-Est de Beyrouth. Des tirs de mitrailleuses et de fortes explosions ont retenti dans plusieurs localités du district d’Aley, et d’intenses combats ont également eu lieu à Choueifat, au Sud-Est de la capitale.

Le dirigeant druze Walid Joumblatt, l’un des chefs de la majorité anti-syrienne, comme son rival druze Talal Arslan, allié de l’opposition soutenue par Damas et Téhéran, ont appelé leurs partisans à déposer les armes. Tout comme les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe, qui ont lancé un appel à la fin immédiate des violences, lors d’une réunion au Caire organisée à la demande de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, alliés du gouvernement libanais.

Des combats à l’arme lourde avaient opposé partisans du gouvernement et de l’opposition dans le Nord du Liban. Une femme a été tuée lors de ces combats à Tripoli, la grande ville côtière du Nord, et plusieurs personnes ont été blessées. Quelque 7.000 personnes ont fui les accrochages, qui se produisent dans le Nord de la ville. Les combats à la mitrailleuse et au lance-roquette opposent des partisans sunnites de la majorité au pouvoir à Beyrouth et des Alaouites, branche dissidente des chiites, loyale au Hezbollah, soutenu par la Syrie et l’Iran.
En revanche, l’aviation israélienne a survolé le Sud du Liban à basse altitude. Le Hezbollah et ses alliés de l’opposition avaient pourtant donné un signal de conciliation en commençant à retirer leurs combattants des quartiers Ouest de Beyrouth, conquis à l’appel de l’armée, à qui le gouvernement s’en est remis pour rétablir « la paix civile ». L’armée avait annoncé qu’elle gelait les récentes décisions du gouvernement contre le Hezbollah, à l’origine de violences entre partisans de la majorité et de l’opposition qui ont fait 37 morts, les pires depuis la fin de la guerre civile (1975-90).

La vie avait timidement repris dans l’Ouest de Beyrouth, les commerces avaient rouvert et les habitants s’aventuraient dans la rue. La route menant à l’aéroport international de Beyrouth, où aucun vol n’était prévu, était toujours bloquée par le Hezbollah. Un responsable de l’opposition a déclaré que cet axe, ainsi que d’autres routes, resteraient bloquées. Les étrangers ont continué de quitter le pays par la route, via la Syrie, alors que la Turquie et le Koweït évacuaient leurs ressortissants.


Est-ce une guerre civile ?

Cela peut en prendre le chemin. Les miliciens chiites du Hezbollah et du Mouvement Amal de Nabih Berri (le président du Parlement) ont coupé Beyrouth en deux, comme aux plus belles heures de la guerre dite « civile » de 1975-1990. En quatre jours, les symboles de la puissance sunnite ont tous été visés : la résidence de Saad Hariri (le chef de file de la majorité) a été attaquée à la roquette, les bâtiments de la télévision Future et du quotidien “Al-Mustaqbal” (propriété des Hariri) ont été brûlés. Pour l’instant, les combats n’ont eu lieu que dans des zones mixtes sunnites-chiites (à Beyrouth mais aussi dans le Nord du pays et dans la plaine de la Bekaa), mais commencent à se déplacer vers le Chouf, la montagne dominée par des druzes (l’une des composantes de la majorité). Les zones chrétiennes restent jusqu’à présent à l’écart des combats. Si toutes ces zones et composantes religieuses, très distinctes, basculent dans un conflit armé, le Liban sera « officiellement » en guerre civile.

Que veut le Hezbollah ?

Officiellement, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, a déclaré que son parti « ne fait pas de coup d’Etat au Liban ». Le parti de Dieu réclame le retrait des deux décisions prises par le gouvernement : l’enquête sur son réseau téléphonique parallèle et le limogeage du responsable de la sécurité de l’aéroport international, un proche du Hezbollah. Politiquement, le Hezbollah est appuyé par le général Michel Aoun. Mais ce tandem ne peut pas gouverner seul.

Que fait la majorité parlementaire ?

Pour l’instant, elle fait le dos rond. En réalité, elle n’a pas beaucoup d’atouts entre les mains, et les déclarations de soutien venues de Washington et d’autres capitales étrangères restent théoriques. Cette majorité réunit une grande partie des sunnites libanais (la cible prioritaire des miliciens de l’opposition), une partie des chrétiens et une partie des druzes. Si cette coalition formée au lendemain du retrait syrien de 2005 tient encore politiquement, la population chrétienne ne semble pas solidaire de son alliée sunnite. A Beyrouth-Est, en effet, la vie continue comme si de rien n’était. Lors de son allocution, le Premier ministre Fouad Siniora s’est voulu fédérateur, appelant le Hezbollah au dialogue et réitérant que le seul ennemi du gouvernement libanais reste Israël.

Quelle est la position de l’armée ?

L’armée libanaise - dont la cohésion interne est très fragile - a révoqué les décisions du gouvernement contre le Hezbollah, et appelé les miliciens à libérer les rues. Son chef, le général Michel Sleimane, était en bonne position pour devenir président de la République, alors que le pays est sans chef d’Etat depuis le 24 novembre.

L’armée s’était contentée de ceinturer les zones prises par les miliciens, et de protéger les bâtiments officiels. L’avenir de Sleimane, à la fois à la tête de l’armée et à la présidence, est en train de se jouer.

Quels sont les pays étrangers impliqués dans la crise ?

Depuis 18 mois, l’Iran et l’Arabie saoudite s’affrontent par camps politiques interposés : l’Iran par le biais du Hezbollah et de Amal, l’Arabie à travers le Courant du Futur de Hariri. Depuis mardi, cette confrontation idéologico-religieuse a laissé la place aux armes. Aujourd’hui, certains ténors de la majorité considèrent qu’il s’agit « d’un coup d’Etat milicien, l’Iran rééditant le coup de Gaza par l’intermédiaire du Hamas ». Les pays arabes (à dominante sunnite) ont aussi accusé l’Iran ce vendredi de tirer les ficelles de la crise. Idem pour Israël. Tandis que Téhéran considère, tout comme le Hezbollah, que le pouvoir en place à Beyrouth n’est pas légitime, ne constituant qu’une marionnette aux mains des Etats-Unis et de Tel-Aviv.

Que fait la France sur place ?

Plusieurs pays étrangers ont évoqué la possibilité d’évacuer leurs ressortissants, comme l’Italie, la Norvège ou le Koweït. Dès mercredi, l’Ambassade de France a conseillé à ses ressortissants de ne pas circuler dans Beyrouth, puis, en dehors de la capitale. Pour les vacanciers de passage, l’ambassade tente d’apporter des réponses au cas par cas, mais les points de sortie du territoire par la route sont impraticables (par le Nord comme par la Syrie). Aucune évacuation de masse, comme en juillet 2006 lors de la guerre entre le Hezbollah et Israël, n’est prévue pour les Français. Par ailleurs, à Beyrouth, les écoles comme le Grand-Lycée franco-libanais sont fermées « jusqu’à nouvel ordre ».


Ultimes négociations

Les chefs de la majorité et de l’opposition libanaises, réunis à Doha pour tenter de sortir leur pays de la crise politique, ont décidé samedi de confier au Qatar le soin de proposer une solution à l’épineuse question de l’armement du Hezbollah chiite. Cette décision a été prise lors de la première séance à huis clos en matinée de la conférence interlibanaise de Doha. La reprise des débats se faisait attendre en soirée, les délégations étant engagées dans des rencontres bilatérales et des tractations de coulisses.
Le président américain George W. Bush, en visite en Egypte, est intervenu dans le débat en qualifiant la situation actuelle au Liban de « moment déterminant » qui réclame un « ferme » soutien au gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora face au Hezbollah soutenu par l’Iran. « Ceci est un moment déterminant qui réclame que nous nous tenions fermement au côté du gouvernement Siniora », a déclaré M. Bush à Charm el-Cheikh. « Il est clair que le Hezbollah, financé par l’Iran, ne peut plus défendre sa position selon laquelle il est le défenseur contre Israël à partir du moment où il se retourne contre sa propre population », a-t-il dit.
En matinée, les chefs de la majorité anti-syrienne ont exigé d’inscrire la question de l’armement du Hezbollah à l’ordre du jour. Des responsables qataris sont intervenus pour proposer de reporter son examen et de se concentrer sur les autres points de contentieux. L’ensemble des dirigeants libanais présents ont fini par accepter de laisser au Qatar le soin d’élaborer une solution de compromis sur la question.
« Le Premier ministre qatari (cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al-Thani) nous a proposé de revenir avec une proposition sur la question des armes et de la présenter aux deux parties », a déclaré à l’AFP un délégué de la majorité libanaise. « Les deux parties ont accepté », a-t-il ajouté sous le couvert de l’anonymat. « La question de l’armement du Hezbollah doit être traitée dans un second temps après l’élection d’un président de la République », a ajouté ce délégué.
Le Hezbollah est la seule milice libanaise à n’avoir pas désarmé après l’accord de réconciliation de Taëf (Arabie saoudite) en 1989, en disant vouloir poursuivre la lutte contre l’occupation israélienne du Liban Sud. Il ne l’a pas fait en dépit de deux résolutions du Conseil de sécurité en date de 2004 et de 2006, appelant au désarmement de toutes les milices.
A la suite de violences qui ont fait en une semaine 65 morts et 200 blessés, la majorité anti-syrienne et l’opposition, conduite par le Hezbollah, ont accepté de renouer le dialogue pour régler une crise qui sévit depuis novembre 2006.


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