Ben Laden est mort... mais pas la marque Al-Qaïda

6 mai 2011, par Geoffroy Géraud-Legros

Fluide et dispersée, Al-Qaïda évoque plus un réseau de franchisés qu’une organisation armée de type classique. Ben Laden mort, le « label » pourrait bien lui survivre.

« Barak Obama est de retour » pourrait-on dire pour paraphraser le fameux « America is Back » lancé par Ronald Reagan en amont de la campagne électorale victorieuse de 1984. Un slogan qui entendait faire écho au retour à la politique du « gros bâton » engagée sous sa première mandature : invasion de l’île de la Grenade en 1983, aide aux bandes armées « Contras » d’extrême-droite du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua contre les révoltes populaires d’inspiration marxiste, bras de fer nucléaire avec l’Union soviétique. Affaibli par la défaite des Démocrates aux élections représentatives, menacés par l’essor du mouvement Tea Party au sein des classes moyennes et populaires, contraint de gérer les tentatives françaises et britanniques de forcer la main à Washington dans l’affaire libyenne, le président des États-Unis a incontestablement repris la main le 1er mai dernier. En annonçant la mort d’Ousama Ben Laden sans aucune préparation préalable de l’opinion ni consultation des alliés des États-Unis, Barak Obama opère, à un an des présidentielles, un retour en force dans le champ médiatique, et marque des points décisifs sur le terrain du patriotisme et de la lutte contre le terrorisme, où ses adversaires républicains lui taillaient des croupières.

Un réseau sans centre

L’heure n’est pas pour autant, annonce-t-il, au retrait d’Afghanistan. Les déclarations de la Maison-Blanche et des autres chancelleries annoncent plutôt un accroissement des moyens investis dans l’intervention sur le terrain afghan et un renforcement des dispositifs policiers censés prévenir le « terrorisme ». Officiellement, cette intensification de l’activité policière, militaire et du renseignement vise à prévenir les velléités de « vengeance » des adeptes d’Ousama Ben Laden. Si ce risque est loin d’être négligeable, c’est bien plutôt de l’atomisation et de l’extrême fluidité des réseaux qui agissent sous le label « Al-Qaïda » que découle la probabilité d’une continuité de l’action terroriste. En fuite depuis un peu plus de 20 ans, Oussama Ben Laden, souvent accompagné de ses principaux lieutenants, a séjourné dans de nombreux pays, tels que la Syrie, le Soudan, l’Afghanistan. Avant le 11 septembre 2001, l’organisation pouvait accéder à des moyens de communication et de contacts lui permettant d’agir en propre : elle put alors planifier et exécuter de manière, semble-t-il, relativement centralisée les attentats contre le navire de guerre “USS Cole”, et contre les ambassades US au Kenya et en Tanzanie, ainsi qu’un certain nombre d’actions dirigées contre les intérêts américains en Somalie et dans la péninsule arabique. Après l’attaque contre les États-Unis et l’écrasement du régime Taliban par l’opération “Enduring Freedom” menée par l’OTAN en 2001, la direction de la structure fondée par Oussama Ben Laden se retrouvait éparpillée. Entrés en clandestinité, ses membres n’avaient sans doute que peu accès aux services de communication.

« Franchise » idéologique

Néanmoins, le soutien accordé par le Pakistan laisse présumer que les moyens dont ont pu disposer les membres éminents d’Al-Qaïda étaient bien plus conséquents que ne le laissaient entendre les informations qui situaient le Saoudien dans les confins tribaux afghans ou dans des grottes afghanes.
Il n’est pourtant guère rationnel d’imaginer que l’auteur de l’attaque contre les Twin Towers ait eu assez de latitude d’action et même d’influence pour avoir directement — ou même indirectement — ordonné toutes les opérations menées sous l’étiquette « Al-Qaïda » en Indonésie (attentats de 2002 et 2003, attribués à l’organisation « Jemmaah Islamiyah), aux Philippines (attaques du groupe « Abou Sayyaf » en 2010), en Inde (attentats de Mumbaï mené par le groupe « Laskhar El Teba » en 2009)… ou des prises d’otages, comme celles réalisées par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) ou celles, quotidiennes, qui ont lieu dans le Caucase. Selon l’hypothèse la plus probable, les lieutenants d’Oussama Ben Laden, ou ceux qui se font admettre comme tels, transmettaient les grandes lignes inspirées par le « chef », réduit en réalité à une figure charismatique, à des groupes armés fort dispersés. Oussama Ben Laden disposait néanmoins du pouvoir de légitimer, par des enregistrements vidéos ou des messages, l’action de tel ou tel groupe. Le groupe AQMI fut visiblement le dernier élément de la nébuleuse Al-Qaïda à recevoir ce « certificat d’affiliation ». D’autres, comme le Philippin Nouredine Top, se le virent refuser.

Pas d’autre solution que la justice

Ressemblant à une chaine plus ou moins cohérente de « franchisés », l’entité Al-Qaïda est finalement plus proche de l’organisation d’une multinationale — comparaison établie par la chaîne CNN elle-même — que d’un parti insurrectionnel ou d’un mouvement terroriste « classique ». C’est dire que la tâche de ceux qui se donnent pour but affiché ou réel de traquer les groupes labellisés Al-Qaïda, qui ne le seront désormais plus que par eux-mêmes, font face à une tâche insurmontable… du moins, tant que le jihadiste pourra trouver relais et sympathies parmi les populations du monde musulman. C’est-à-dire, tant que les nations qui le composent subiront les extorsions, les pillages, les humiliations des grandes puissances occidentales.

Geoffroy Géraud-Legros

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