Irak

Croient-ils encore ce que dit George Bush ?

La guerre vue par des soldats américains

12 janvier 2004

Le 27 décembre dernier, l’hebdomadaire ’Time’ nommait le soldat américain ’homme de l’année’. Au-delà du vernis consensuel des pouvoirs politiques, des généraux et des chaînes de télévision américaines propagandistes, l’auteur et réalisateur controversé Michael Moore a recueilli les témoignages de plusieurs de ces soldats embrigadés dans l’opération ’Liberté pour l’Irak’. Qui sont-ils, que pensent plusieurs d’entre eux ? L’auteur de ’Bowling for Columbine’ et de ’Stupid White Men’ raconte.

Durant la période des Fêtes, j’ai beaucoup pensé aux jeunes qui servent dans les forces armées américaines en Irak. Car à titre d’objecteur à cette guerre, j’ai reçu des lettres de centaines de soldats. Et beaucoup racontent une histoire bien différente de ce que l’Amérique peut voir aux journaux télévisés du soir.
Elles racontent, de manière souvent éloquente et dans des mots qui viennent du fond du cœur, qu’on nous a menti, aussi bien à nous qu’à eux. Que ce conflit n’a rien à voir avec la sécurité des États-Unis d’Amérique et de leurs alliés. Quoiqu’ils courent le risque de représailles disciplinaires, j’ai demandé à certains de mes correspondants s’ils seraient d’accord pour que leurs lettres soient publiées. Merci à ceux qui ont eu le courage d’exercer leur droit de parole.

Dissidences

De retour d’Irak depuis septembre, le caporal du corps des marines, George Batton, qui a servi dans la compagnie Alpha, m’écrit ceci : « Vous seriez surpris du nombre de types auxquels j’ai parlé dans mon unité, qui considèrent que les arguments de G.W. Bush à propos des armes de destruction massive sont de la merde et que le véritable objectif de cette guerre est le profit... On nous avait promis le retour à la maison pour le 8 juin ; c’était faux, il a fallu accomplir des missions durant trois mois de plus. Certains des esprits les plus conservateurs et radicaux de notre groupe, comme notre sergent d’armes, gardent un goût amer du corps des marines et même peut-être du président... »
Le soldat spécialiste de l’armée de terre Mike Prysner, de l’armée américaine, m’écrit ceci :
« Cher Michael, je vous écris des tranchées de la guerre, ne sachant pas ce que je fous ici, ni quand ça finira. J’ai déboulonné des statues et vandalisé les portraits d’un dictateur en essayant de comprendre le sens de mes gestes. Je me suis joint à l’armée dès que je fus en âge, abandonnant même la possibilité d’études littéraires universitaires pour servir mon pays, prêt à mourir pour des idéaux passionnants. Deux ans plus tard, je me suis retrouvé prêt à monter à l’assaut d’un pays qui, je crois, ne souhaite pas ma présence... Tout au long de mon séjour ici, j’ai cherché des signes qui auraient pu me convaincre de la pertinence de mes actes... que je faisais partie d’une entreprise juste. Mais j’ai beau réfléchir à tous les arguments pouvant justifier cette guerre, c’est la vision de notre commandant suprême, ricanant, bien content de nous avoir manipulés, qui me revient toujours finalement à l’esprit ! »

Difficile de vivre en Amérique

Un soldat toujours en devoir en Irak et qui demande l’anonymat écrit : « Difficile de servir un commandant en chef qui n’a jamais été élu, pourrais-je dire... mais difficile aussi d’émettre ce genre de critique car dans mon métier, le droit de parole est restreint. C’est d’ailleurs une situation qui me préoccupe beaucoup. Limiter le droit de parole des troupes, c’est limiter exactement ce pourquoi l’Amérique combat... et la plupart d’entre nous sentent leurs opinions complètement négligées. Ça place mes collègues et ma famille dans une situation de risque qui m’effraie au-delà de ce qu’on pourrait imaginer... »
Jerry Oliver des forces armées terrestres américaines, de retour de Bagdad, écrit : « J’ai passé cinq mois à Bagdad. Et trois ans dans l’armée. Je suis horrifié de ce que mon pays est devenu depuis... J’ai 22 ans, et il me semble qu’il est devenu très compliqué de vivre en Amérique. Pourtant, la population est inconsciente de ce qui s’y passe... comme dans le livre "1984". En nous poussant à nous espionner les uns les autres, les responsables de la sécurité intérieure nous poussent à devenir antisociaux. Les Américains ont accepté de sacrifier leur liberté au profit de la sécurité. Et c’est pourtant au nom de cette même liberté que j’ai mis ma vie en jeu. Comme l’a dit le général Tommy Franks (mis précipitamment à la retraite... évidemment) »

Ordre de tirer dans le tas

Un autre soldat spécialiste de l’armée de terre m’écrit à propos de la capture de Saddam Hussein : « Wow ! Avec 130.000 soldats sur le terrain, 500 morts parmi nous et un milliard de dollars de dépenses par jour, on a retrouvé un type qui se cachait dans un trou. Et je devrais en être épaté ? »
Une mère m’écrit au nom de son fils : « Mon fils m’a raconté que c’était pire que jamais. Il vit présentement les pires moments depuis la FIN de la guerre. Il dit que les troupes ont reçu de nouvelles règles d’engagement. Il s’agit d’éliminer toute personne qui agresse les Américains, même si cela provoque des dommages collatéraux. Il a malheureusement dû tuer quelqu’un dans un geste spontané d’autodéfense. Son officier dirigeant n’a trouvé qu’à le féliciter : "Bon tir !" »
Un vétéran de 40 ans appartenant au corps des marines s’interroge : « Pourquoi brandissons-nous partout dans le monde l’étendard de la souveraineté, sauf lorsque nos intérêts sont menacés dans certains États souverains ? Qu’est-ce qui nous donne le droit de montrer à quelque peuple que ce soit comment s’administrer et mener son existence ? Pourquoi ne prêche-t-on pas, à la face du monde, simplement par l’exemple ? Ne vous demandez pas pourquoi l’humanité nous méprise, à quel exemple les Irakiens sont-ils confrontés ? De jeunes trous du cul en uniforme et de vieux touristes blancs riches. Ne pourrions-nous pas faire meilleure impression ? »

Risquer sa vie et tuer en Irak pour échapper au chômage
Pendant que le prétexte des armes de destruction massives pour envahir l’Irak apparaît de plus en plus comme un mensonge, le départ de plusieurs milliers d’enquêteurs américains charger de trouver des preuves le démontre. Michael Moore explique que l’armée est la seule solution pour avoir le droit de faire des études pour des millions d’Américains issus des milieux pauvres.

Qui sont ces soldats ? La plupart d’entre eux sont pauvres et proviennent de la classe ouvrière. La plupart d’entre eux se sont embrigadés parce que, pour eux, l’armée reste le seul endroit où obtenir un travail et se voir offrir la garantie d’une éducation collégiale gratuite. C’est M. Bush et sa bande de riches croulants, dont les fils et les filles ne passeront jamais une journée en uniforme, qui ne soutiennent pas les militaires. Les Américains qui se sont joints à l’armée et qui risquent leur vie évitent aux enfants de riches d’avoir à le faire. Ils ont 18, 19 ou 20 ans, la plupart d’entre eux ont dû subir les injustices d’un système économique qui ne favorise pas leur éducation. Ce sont souvent des jeunes qui ont dû vivre longtemps dans les pires quartiers de nos villes, qui ont fréquenté des écoles misérables. Ils ont vu leurs parents essayer de s’en sortir. Ils ont été confrontés à un système qui leur a compliqué l’accès à l’éducation, aux livres, aux fonctions libérales, à l’avenir.
Étonnamment, ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, au lieu d’exiger une société plus juste, ont choisi de se joindre aux forces armées pour protéger notre mode de vie. Ils ne méritent pas simplement nos remerciements, ils mériteraient de s’asseoir à la table de ceux qui n’ont jamais couru le risque, par besoin ou nécessité, de prendre une balle perdue.

En fait, je crois que tous ces jeunes enrôlés étaient au moins en droit d’espérer de nous la promesse que l’Amérique ne les enverrait jamais au combat, si ce n’était pour une véritable défense de nos nations. Cette promesse a été trahie, elle a été brisée de la pire manière que l’on puisse imaginer.

Les États-Unis d’Amérique ne les ont pas envoyés au combat pour nous défendre ou nous protéger, ni pour éviter des victimes innocentes parmi nos alliés. Ils sont partis au front pour que Bush et Cie puissent contrôler la deuxième plus grande production pétrolière du monde. Ils ont été envoyés au combat pour que Dick Cheney, ex-vice-président d’une compagnie pétrolière, puisse extorquer au gouvernement des milliards de dollars. Ils les ont envoyés au front grâce à un mensonge : que Saddam avait planifié le 11 septembre avec Ben Laden.

En utilisant de faux arguments, Bush a prouvé que, bien plus que les pacifistes, c’est lui et sa clique qui ne soutenaient pas les forces de la coalition. C’est lui qui a mis leur vie en danger et qui est maintenant responsable de la mort des 500 Américains décédés sans aucune raison décente ou honnête.

Un marché juteux réservé aux complices de la Maison Blanche
Après Halliburton qui se taille la part du lion pétrolière, Bechtel, proche des faucons US, obtient un contrat de 1,8 milliard de dollars.

C’est sans surprise que le géant américain du bâtiment et des travaux publics, Bechtel, proche de l’équipe au pouvoir à Washington, a remporté mardi un nouveau contrat de 1,8 milliard de dollars pour la réparation des centrales électriques, la remise en état des réseaux de distribution d’électricité, la réhabilitation des aéroports, écoles, modernisation du port d’Oum Kasr. Bechtel s’est vu donc adjuger un second contrat après celui qui lui a été attribué, sans appel d’offres, en avril dernier. USAID (Agence américaine pour le développement international), qui gère les appels d’offres, a annoncé également qu’une procédure d’appel est en cours pour l’attribution de dix-sept contrats financés à hauteur de 5 milliards de dollars. Bien évidemment, Bechtel est bien placé pour rafler une partie du gâteau, comme il l’est pour remporter d’autres contrats parmi les vingt-six annoncés en décembre dernier par le Pentagone, qui seront financés grâce à l’enveloppe de 18,6 milliards de dollars votée le 29 octobre dernier par le Congrès américain.

Le recours à la procédure d’appel d’offres fait suite aux révélations, en octobre dernier, de deux députés californiens qui ont enquêté sur la manière dont Halliburton, autre géant lié aux faucons de Washington, s’est vu concéder des contrats juteux, n’hésitant pas au besoin à procéder à des surfacturations. Plus accablant, l’enquête menée par les deux élus californiens avait conclu au fait qu’une filiale d’Halliburton, Kellog Brown and Root, spécialisée dans la réparation des puits pétroliers, s’est fait payer ses services par de l’argent prélevé sur le fonds des Nations unies "Pétrole contre nourriture", que les dirigeants américains ont vite débaptisé "fonds de développement de l’Irak".

Comme le montre le nouveau contrat raflé par Bechtel, ces grandes firmes proches des dirigeants de la Maison Blanche trustent les marchés de la reconstruction du pays. En plus des 18,6 milliards de dollars débloqués par le Congrès, Washington a récolté, à l’issue de la conférence de Madrid des pays donateurs en octobre dernier, près de 60 milliards de dollars.

Du coup, de l’aveu même de l’Autorité provisoire irakienne dirigée par l’inamovible Paul Bremer, sur les 115 projets répertoriés, seulement 25 seraient attribués à des entreprises irakiennes !

La guerre était prévue de longue date
L’ancien secrétaire américain au Trésor, Paul O’Neill, affirme que les États-Unis ont commencé à planifier l’invasion de l’Irak quelques jours avant l’entrée en fonction du président George W. Bush en janvier 2001, soit plus de deux ans avant le début de la guerre qui a conduit à la chute du régime de Saddam Hussein.

« Dès le début, il y avait la conviction que Saddam Hussein était mauvais et qu’il devait partir », affirme Paul O’Neill dans un entretien devant être diffusé hier sur CBS dans l’émission "60 Minutes".

La position officielle américaine sur l’Irak, depuis l’administration Clinton, est que les États-Unis cherchaient à renverser Saddam Hussein. Mais Paul O’Neill, limogé par George W. Bush en décembre 2002, affirme avoir des doutes sur la nature, décrite comme préventive par Washington, de la guerre. « Pour moi, la notion de prévention, selon laquelle les États-Unis ont le droit unilatéral de faire tout ce qu’ils veulent, représente une nouveauté énorme », explique-t-il, selon des extraits de l’entretien.

Une manifestation de chômeurs dégénère : six morts
Six Irakiens ont été tués par balles samedi, lorsque la police irakienne et l’armée britannique ont ouvert le feu sur une manifestation contre le chômage qui dégénérait dans la ville chiite d’Amara.

Selon le chef de service de sécurité de l’hôpital général d’Amara, Jassem al-Moussaoui, la manifestation de centaines de chômeurs, rassemblés devant le siège du gouvernorat d’Amara, chef-lieu de la province méridionale de Missane, a commencé à dégénérer lorsque des participants ont lancé des grenades assourdissantes en direction des forces de l’ordre.

« La foule s’est énervée. Des coups de feu ont éclaté et les policiers irakiens, pensant avoir été attaqués, ont ouvert le feu. Des informations concordantes ont fait état d’explosion dans la foule », a indiqué de son côté l’adjudant britannique, Paul Wightman. Selon lui, les heurts se sont poursuivis jusqu’à la fin de l’après-midi, quand l’armée britannique est parvenue à rétablir le calme.

Mais les heurts se sont soldés par la mort de six manifestants, dont un a été touché par des soldats britanniques après avoir tenté de lancer une grenade sur eux.


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