Les Forces démocratiques syriennes n’ont pas fait de prisonniers, elles ont organisé la retraite de Daesh

Des milliers de soldats de Daesh et leurs armes évacués de Raqqa avec la bénédiction des États-Unis

18 novembre 2017, par Manuel Marchal

La BBC a révélé les détails d’un accord secret permettant aux soldats du groupe Etat islamique et à leur famille d’être évacués de la ville de Raqqa assiégée par la coalition américano-britannique. Le convoi incluait des dirigeants de Daesh ainsi que des mercenaires étrangers. Ils ont pu continuer leurs actions en Syrie.

Les soldats de Daesh ont été évacués dans des camions de ce type. Photo BBC

Abu Fawzi, chauffeur de camion, avait été contacté par les Forces démocratiques syriennes, une alliance entre des combattants kurdes et arabes combattant le groupe Etat islamique. Il devait participer à un convoi visant à organiser l’évacuation de centaines de familles des combats de la ville de Tabqa sur le fleuve Euphrate à un camp plus au Nord. Ils lui avaient dit que le travail allait durer six heures tout au plus. Mais quand le routier a rejoint le convoi le 12 octobre, tous ont réalisé qu’ont leur avait menti.

Au lieu de cela, ils ont conduit pendant trois jours avec à bord des camions des centaines de soldats du groupe Etat islamique, leurs familles et des tonnes d’armes et de munitions.

Les alliés des États-Unis ont promis aux chauffeurs des milliers de dollars pour accomplir cette tâche et garder le silence.

L’accord visait à évacuer les soldats de Daesh de Raqqa, la capitale de facto de l’autoproclamé Califat. Il a été conclu par des dirigeants locaux. Il est arrivé au bout de 4 mois de combats qui ont ravagé la ville. L’objectif était d’épargner des vies et de mettre fin aux combats.

Mais il signifie également que des milliers de soldats de l’armée de Daesh sont maintenant dans la nature avec armes et bagages.

Abu Fawzi est revenu en détail sur ce qui s’est passé ce jour-là dans un reportage de la BBC. « Nous fumes effrayés au moment où nous sommes entrés à Raqqa », dit-il, « nous devions être accompagnés par les Forces démocratiques syriennes mais nous étions seuls. Dès que nous sommes entrés, nous avons vu des soldats de Daesh avec leurs armes et leurs ceintures d’explosif. Plusieurs sont montés à bord des camions. Si quelque chose se passait mal dans l’accord, ils auraient alors fait sauter le convoi. Des femmes et des enfants avaient aussi des ceintures d’explosif. »

Les Forces démocratiques syriennes ont interdit aux médias l’accès à Raqqa. La fuite de Daesh de sa base s’est donc passée loin des caméras. Officiellement, les alliés des États-Unis ont dit que seulement quelques dizaines de soldats de Daesh ont pu échapper au siège.

Un convoi de plus de 6 kilomètres

D’autres chauffeurs précisent que le convoi était long de 6 à 7 kilomètres. Il comprenait environ 50 camions, 13 bus, plus de 100 véhicules du groupe Etat islamique. Des images tournées clandestinement montrent des soldats armés dans les remorques des camions. Alors que l’accord prévoyait d’autoriser seulement d’amener les armes personnelles, les soldats de l’EI ont ramené tout ce qu’ils pouvaient prendre. 10 camions étaient ainsi chargés d’armes et de munitions.

Les Forces démocratiques syriennes ne voulaient pas que cette opération ait l’air d’une retraite victorieuse de l’EI. Aussi aucun drapeau n’était sorti. Il était également prévu qu’aucun combattant étranger ne devait sortir de Raqqa. Ce point n’a pas été respecté.

La BBC rappelle qu’en mai dernier, le ministre des Armées des États-Unis, James Mattis, avait décrit le combat contre Daesh comme une guerre d’anéantissement. « Nous intention est que les combattants étrangers ne survivent pas au combat afin qu’ils ne puissent retourner en Afrique du Nord, en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique. Nous ne pouvons pas nous permettre d’autoriser cela ».

Mais des combattants étrangers étaient présent en masse dans le convoi : Français, Turcs, Azéris, Pakistanais, Saoudiens, Chinois, Tunisiens, Egyptiens…

Les États-Unis au courant

À la suite de l’enquête de la BBC, la coalition menée par les États-Unis a dû admettre sa part de responsabilité dans cet accord. Initialement, 250 soldats de Daesh étaient autorisé à fuir, accompagné de 3.500 membres de leur famille.

« Nous ne voulions que personne ne s’échappe », a déclaré le colonel Ryan Dillon, porte-parole de l’opération Inherent Resolve, la coalition occidentale contre Daesh. Mais les Syriens combattent et meurent, ils prennent des décisions en fonction de la situation, a-t-il dit en substance. Un officier occidental était présent pendant les négociations, officiellement il n’aurait pas pris une « part active » dans la décision. Le colonel Dillon soutient que seulement 4 combattants étrangers se sont enfuis, et qu’ils sont maintenant prisonniers.

Selon Abu Fawzi, il y avait trois ou quatre étrangers avec chaque chauffeur. Ils auraient voulu le frapper et le traitait d’ « infidèle » ou de « porc ». Les conducteurs ont été maltraités pendant tout le trajet, et menacés. « Ils nous disaient : « sachez que nous allons reconstruire Raqqa, nous reviendrons » », dit Abu Fawzi qui a constamment été menacé par une combattante étrangère qui pointait sur lui sa kalachnikov.

Bombes humaines dans la nature

Pendant plusieurs jours, le convoi a roulé en plein désert, loin des grands axes. Il n’était pas livré à lui-même car Abu Fawzi a également vu un avion de la coalition survoler le convoi, puis lancer des fusées éclairantes en direction de la route à suivre. La coalition a confirmé qu’elle surveillait le convoi depuis les airs.

Puis arrivés à destination, les soldats de Daesh ont pu repartir librement avec armes et munitions. Ils pourront donc continuer à combattre le gouvernement syrien. Cet accord vient montrer comment il a été possible pour les forces sous direction US de s’emparer de Raqqa. Cette prise médiatique s’est faite au prix d’un marchandage qui souligne les rapports qui existent entre les alliés des États-Unis et les terroristes. Si des membres de cette armée échappée de Raqqa viennent commettre des attentats en Europe, la responsabilité des États-Unis et de ses alliés sera pleinement engagée.

M.M.

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