Deux voix pour entendre...

10 août 2006

Hier, nous avons publié la première partie du point de vue d’une Libanaise, Dominique Eddé, écrivaine, parue dans le “Nouvel Observateur”, dans son numéro du 3 août dernier. Aujourd’hui, nous publions la fin de sa missive.
Et, sans que cela représente une réponse à cette lettre, nous présentons le point de vue du cinéaste israélien Amos Gitai, paru dans “Le Monde” du 8 août dernier. C’est aussi une lettre d’un militant de gauche qui livre ici ses doutes et ses inquiétudes.

Lettre à des Israéliens - 2 -

À présent, faisons les comptes. Mettons provisoirement de côté la souffrance endurée, une décennie après l’autre, par les Palestiniens, oublions un instant le droit du Liban, à n’être pas qu’un champ de ruines, qu’avez-vous gagné, vous, peuple israélien, à ne renoncer à rien ? Ou alors, si, soyons juste, vous avez renoncé au Grand Israël, mais en échange de quoi ? De quel territoire morcelé, de quelle invivable prison pour les Palestiniens ? Et pour finir, que vous a rapporté votre inflexibilité ? Quoi d’autre que la terreur aux portes de vos maisons ? Quoi de plus qu’un univers enfermé, hostile à toute différence : le contraire de la pensée juive universelle qui nous a tant donné ?

Vos ennemis de la veille - les Arabes - sont défaits, totalement défaits. Ce monde qu’on appelait “le monde arabe” et que vous perceviez, de loin, comme la pire des menaces, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Son peu d’existence, il ne la doit plus désormais qu’à sa langue, qui, soit dit en passant, n’est pas sans rapport avec la vôtre. Ses autres liens et ressorts n’ont plus d’existence. Ils sont politiquement morts. Ni les guerres du Golfe, ni les guerres du Liban et de l’Algérie, ni celles de la Palestine et de l’Irak, ni, aujourd’hui, votre ré-invasion de ce pays harcelé qui est le mien, n’ont provoqué le moindre mouvement de solidarité arabe.

Certains d’entre vous y voient peut-être le signe d’une première victoire. Ils auraient tort. Car ce monde vaincu, fini, décomposé, a donné à Israël, ainsi qu’aux grandes puissances, la mauvaise habitude de marcher au rythme et à la cadence que ceux-ci leur imposaient. Bon gré mal gré, il a, depuis la fin de l’Empire ottoman, réglé sa montre à l’heure occidentale, adopté un calendrier qui n’était pas le sien. Cette marche forcée ne fut pas, loin de là, le seul motif de ses naufrages, mais elle y a contribué. Quoi qu’il en soit, le religieux, revenu en force sur la scène politique, a pris désormais le relais de l’arabisme. Et ce nouvel Orient déboussolé est, encore une fois, bien trop compliqué pour se laisser forger comme du métal par la seule volonté du couple israélo-américain et par le feu des bombes.

La plupart des régimes arabes, que n’épuise aucun adjectif - répressifs, mensongers, traîtres et corrompus -, sont en état de survie artificielle. C’est l’islamisme qui prend désormais un peu partout, sous des formes diverses, le relais de l’arabisme. Ce fait vous déplaît ? À bien d’entre nous aussi, figurez-vous. Quand je dis "nous", je pense à tous ceux qui, dans les pays arabes, se sont battus en faveur d’une citoyenneté qui transcende les appartenances communautaires. Pour des millions d’hommes, ce raz-de-marée signe une énorme défaite. Il n’empêche : le principe de réalité n’est pas une image que l’on efface en appuyant sur la gâchette.

Les équilibres ou les déséquilibres au sein de l’Islam, est-ce à vous ou est-ce aux musulmans eux-mêmes d’en décider ? Car le temps des islamistes, je me répète, n’est plus à la merci du vôtre. Vous aurez beau poursuivre leurs hommes de ville en ville, de pays en pays, les heures et les années qui sont les leurs n’ont plus de comptes à vous rendre. Tendez l’oreille, et comparez les discours arabes du siècle dernier avec ceux des actuels chefs religieux. Le débit des premiers est pressé, survolté, branché sur l’Occident, le second est lent, calme, indifférent à vos sommations, à vos ultimatums. Les islamistes ont donné un énorme coup de frein à la marche de l’histoire. Contre cette nouvelle horloge, vos bombes ne peuvent rien.
Votre compréhension, en revanche, votre juste appréciation du court et du long terme peut initier un mouvement qui protège vos droits sans détruire les nôtres ; mieux : qui fasse de votre pays un pôle autour duquel se rallier, une démocratie ouverte et non pas un vase clos fondé sur la conscience abusive d’une supériorité intrinsèque. Le pari est risqué ? Certes. Il est déjà trop tard ? Peut-être. Mais y a-t-il une autre voie qui ne soit suicidaire ?

Née à Beyrouth, Dominique Eddé, qui vit aujourd’hui à Paris, a publié en 1989 “Lettre posthume” chez Gallimard, puis, en 1992, “Beyrouth centre-ville” (Cyprès) et, en 1999, “Pourquoi il fait si sombre ?” (Seuil). Son dernier roman, “Cerf-volant”, a été publié en 2003 dans la collection l’Arpenteur chez Gallimard.


Espoirs en ruine dans le camp des modérés

Être à Haïfa, ma ville natale, ces jours-ci, entendre les sirènes d’alarme, et les missiles qui tombent, est une expérience qui n’a rien d’intellectuel. C’est, au contraire, ressentir physiquement combien être un citoyen du Moyen-Orient signifie faire partie du grand rituel de cette région, qui consiste à verser le sang de son peuple à intervalles réguliers.

La seule question qui se pose est : pourquoi ? Combien de victimes encore, et de destructions, faudra-t-il pour que l’on comprenne ici que cette danse de mort ne rime à rien ?

Le conflit actuel démontre au moins une chose : c’est que le Moyen-Orient était ces derniers temps sur le chemin de l’apaisement et de la réconciliation. De façon tragiquement répétitive et prévisible, les extrémistes interviennent à chaque fois qu’un progrès est fait vers la paix et l’anéantissent par la force.
Il suffit de remonter quelques années en arrière pour s’en rendre compte : du moment où Itzhak Rabin a donné l’ordre à Tsahal de se retirer de Jénine et Naplouse, il y a eu une vague d’attentats dans les bus de Tel Aviv. Du côté des terroristes, chaque avancée vers la paix est interprétée comme un signe de faiblesse, l’occasion de démontrer leur puissance en frappant Israël.
C’est ainsi qu’ils minent le camp des modérés israéliens. Pendant ce temps, ni les Israéliens ni les Palestiniens n’ont le temps de régler les questions quotidiennes, humaines, qui se posent ici comme partout ailleurs dans le monde, les problèmes de la retraite ou du salaire minimum. Le conflit empêche absolument toute avancée sociale. Attention à l’amalgame entre le conflit principal entre Israéliens et Palestiniens et les affrontements entre Israël et les pays arabes. Le premier est le conflit essentiel, parce que la terre appartient aux deux peuples, et qu’il faut trouver un moyen de vivre ensemble.

Pour nous Israéliens de gauche, la guerre que nous vivons en ce moment est particulièrement complexe sur le plan politique. Depuis des années, par des articles, des livres ou des films, nous cherchons à démontrer que la solution est le retrait des territoires occupés. Or Israël s’est retiré de Gaza et du Liban, et c’est exactement là où le Hezbollah a frappé. Dans la partie du Golan qui est toujours occupée, en revanche, tout est calme.
On sait ce que la droite israélienne va dire : se retirer n’était pas la solution. Pour ma part, je crois toujours qu’Israël devrait continuer les retraits, et même que la coexistence pacifique n’est pas seulement un espoir lointain : elle finira par se produire. Mais en attendant, la lutte contre le Hezbollah n’a pas de solution "politiquement correcte".
Peut-on vraiment apaiser une organisation religieuse féroce, qui s’appuie sur une idéologie parfaitement irrationnelle, par la modération, la diplomatie ?
La particularité du conflit du Moyen-Orient est qu’il est intégralement filmé. C’est le conflit le plus médiatisé de la planète, et le feuilleton préféré du monde entier. Un feuilleton sans fin, où les bons et les méchants s’échangent régulièrement les rôles.
Faire du cinéma dans ce contexte est un véritable défi : il faut constamment prendre de la perspective, rester rationnel, malgré la tourmente, malgré les inquiétudes individuelles.
Être à la fois citoyen et cinéaste dans ce contexte relève de la schizophrénie, mais je crois profondément que le cinéma ne doit pas être le journal du soir, qu’il a pour fonction de démanteler la simplification des médias.
Au bout du compte, il ne doit pas nourrir la haine mais la compréhension.

Amos Gitai, cinéaste israélien.


30ème jour de guerre

L’espoir d’une fin de conflit semble s’éloigner.
Cédant à la volonté des généraux, le gouvernement israélien a autorisé une extension terrestre des opérations militaires à l’intérieur du Sud-Liban, avec pour but de neutraliser la menace du Hezbollah. C’est un degré de plus dans cette guerre.
Les raids aériens sur le pays, les routes et les ponts continuent. La liste des victimes s’allonge. Plus d’un millier depuis le début du conflit.

Et les négociations autour d’une résolution à l’ONU tenant compte des objections libanaises sur la première mouture franco-américaine, semble aussi dans l’impasse. Chacun se méfiant de l’autre. Les Libanais réclamant le retrait de Tsahal et l’installation de 15 000 soldats libanais dans le Sud Liban. Les Israéliens doutant de la capacité des Libanais à empêcher le Hezbollah de lancer ses roquettes sur la Galilée.

"Même si Siniora a de bonnes intentions, (le chef du Hezbollah Hassan) Nasrallah en a d’autres. Voilà pourquoi la communauté internationale doit oeuvrer en vue d’un accord durable qui ne s’effondrera pas peu après son entrée en vigueur", a dit le ministre de la Défense israélien Amir Peretz.

Si l’ambassadeur français auprès de l’ONU veut espérer un vote "bientôt, certainement cette semaine", la délégation arabe, elle, a rappelé que toute résolution doit appeler à "un cessez-le-feu immédiat et complet et à un retrait des forces israéliennes derrière la ligne bleue", marquant la frontière entre les deux pays.

A. W.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus