Le Hezbollah - 4 -

Entre “culture de l’espace” et “culture du territoire”

29 août 2006

Voici la suite de l’article écrit par Michel Hajji Georgiou et Michel Touma, deux journalistes du quotidien “L’Orient Le Jour”.

Le Hezbollah accorde-t-il la priorité dans son action à la “culture du territoire” (par essence nationale) ou plutôt à la “culture de l’espace” (par essence communautaire et régionale, dépassant le cadre national, donc du Liban) ? Dans ce contexte, la doctrine du Hezbollah lui impose de se soumettre pour toutes les décisions à caractère stratégique au ’waly el fakih’, qui n’est autre que le guide suprême de la Révolution islamique iranienne (présentement l’Imam Khamenei). Dans cet article, Michel Hajji Georgiou et Michel Touma analysent ces deux aspects qui dictent la stratégie et la ligne de conduite du parti chiite. Dans les précédents articles, ils avaient évoqué le processus historique et socio-politique qui a pavé la voie à l’émergence du Hezbollah au Liban (L’Orient-Le Jour du 29 juillet) ainsi que les circonstances de la naissance de la formation intégriste et les racines de son action politique (L’Orient-Le Jour du 1er août).

La reconnaissance de l’autorité politique et religieuse absolue et supranationale du Guide suprême, le “waly el fakih” (actuellement Khamenei et avant lui Khomeiny) représente l’une des principales caractéristiques (sinon la principale) de la doctrine du Hezbollah. Une compréhension profonde du système de la “ wilayat el fakih” constitue un éclairage indispensable pour une bonne perception de la ligne de conduite du Hezbollah à l’égard de dossiers ayant une portée stratégique.
Pour les chiites, le successeur du Prophète dans la gestion des affaires de la nation islamique doit être un Imam descendant de l’Imam Ali, gendre du Prophète. Les chiites Jaafarites - ceux qui habitent le Liban, l’Iran, l’Irak, Bahrein, l’Arabie Saoudite, le Pakistan et l’Afghanistan (donc l’écrasante majorité des chiites) - considèrent que douze Imams ont existé dans l’Histoire, le douzième ayant disparu et étant toujours attendu pour sauver les chiites de l’oppression et la misère. Pour les chiites du Yemen, il n’a existé dans l’Histoire que sept Imams.
Les chiites Jaafarites estiment que dans l’attente du retour du douzième Imam disparu (l’Imam el-Mahdi), la haute main dans la gestion des affaires de la nation islamique et dans la défense de ses intérêts politiques et économiques doit revenir à un guide suprême, au “ walih el-fakih”.
Pratiquement, avant l’avènement de Khomeiny, cette notion de “walih el-fakih” n’a jamais pris la portée et l’importance politiques qu’elle a acquises avec la Révolution islamique en Iran en raison du fait qu’à travers l’Histoire, les autorités religieuses chiites de la région n’ont jamais véritablement détenu le pouvoir en tant que communauté religieuse. Depuis l’oppression subie du temps des Omeyyades, au 8ème siècle, la plupart des chefs religieux, établis à Najaf (en Irak), prônaient en effet la non immixtion des autorités religieuses dans les affaires politiques. Mais au début du 20ème siècle, certains chefs religieux de Najaf se sont prononcés pour une participation active des ulémas à la vie politique. La première école a été essentiellement représentée, de nos jours, par des autorités telles que les ayatollahs Sistani et Khoï, tandis que la seconde école a été représentée principalement par des ulémas des familles Sadr et Hakim.

"aucune contradiction entre l’autorité religieuse et l’autorité politique"

Avant la venue de l’ayatollah Khomeiny, aucune autorité religieuse n’était donc reconnue par la majorité des chiites comme le guide suprême, le “walih el-fakih”. La Révolution islamique iranienne a représenté sur ce plan un tournant historique, dans toute l’acception du terme. En définissant les bases constitutionnelles de la République islamique, dans son ouvrage “l’orientation de la révolution islamique”, l’ayatollah Khomeiny a posé comme principe de pouvoir la fusion entre le religieux et le politique. "En comprenant la conception de la religion dans notre culture islamique, souligne-t-il dans cet ouvrage, il apparaît clairement qu’il n’existe aucune contradiction entre l’autorité religieuse et l’autorité politique. La lutte politique fait partie intégrante de la mission et des devoirs religieux. Le commandement et l’orientation de la lutte politique font partie des responsabilités et de la mission de l’autorité religieuse". La Constitution de la République islamique a donc été basée sur l’allégeance au “walih el-fakih”.
Cette fusion entre le religieux et le politique comme principe de pouvoir et la mise en place de la République islamique en Iran ont ainsi eu pour effet de donner, pour la première fois dans l’Histoire, et sous l’impulsion de Khomeiny, toute son ampleur à la notion de “walih el-fakih”.
De ce fait, après la victoire de la Révolution islamique iranienne et l’adoption du principe de l’exportation de la révolution, de nombreux ulémas et dignitaires religieux dans la région ont prôné la reconnaissance du commandant suprême de la Révolution islamique comme le “walih el-fakih”. Quelques rares ulémas ont contesté cette allégeance, mais ce n’est qu’avec la disparition de Khomeiny que cette contestation a éclaté au grand jour, certains dignitaires de haut rang refusant de reconnaître dans le successeur de Khomeiny, en l’occurrence Khamenei, le “walih el-fakih”. Cette contestation a été principalement menée par Mountaziri en Iran, Sistani en Irak et Mohammed Hussein Fadlallah au Liban. Le Hezbollah libanais, par contre, reconnaît le Guide suprême de la Révolution islamique iranienne, actuellement Khamenei, comme le “walih el-fakih” (une telle option de la part du Hezbollah a été facilitée par les relations ancestrales d’ordre religieux qui ont constamment existé entre les chiites libanais, iraniens et irakiens, sans compter les liens familiaux qui ont été tissés avec le temps au niveau des familles Sadr et Hakim, notamment).

Un recours obligatoire

Le “walih el-fakih” est élu par un corps électoral de 72 membres iraniens, eux-mêmes élus au suffrage universel par la population iranienne. Sur le plan du principe, le “walih el-fakih” ne doit pas être obligatoirement iranien, mais dans la pratique, c’est le guide suprême de la République islamique qui est reconnu par la majorité des chiites comme le “walih” depuis la révolution de février 1979.
Les décisions du “walih el-fakih” sont contraignantes. Son recours et son aval sont obligatoires non seulement pour les questions doctrinaires et religieuses, mais également pour les problèmes politiques fondamentaux ayant une portée stratégique. Dans son livre sur le Hezbollah, cheikh Naïm Kassem souligne que "“walih el-fakih” a comme prérogatives de veiller à la bonne application des lois islamiques, de prendre les grandes décisions politiques concernant les intérêts de la nation (la Umma), de décider des options de guerre ou de paix, de même qu’il a la responsabilité de veiller à la sécurité de la population et à ses intérêts financiers, et d’assurer la répartition de l’argent récolté par l’autorité religieuse, et il a aussi pour tâche de définir le contour de l’État islamique".
Dans son ouvrage sur “le gouvernement islamique”, l’ayatollah Khomeiny souligne qu’il est erroné de penser que les prérogatives du Prophète sont supérieures à celles du “walih el-fakih”. "Les prérogatives que le Tout Puissant a données au Prophète et aux Imams au niveau de la mobilisation des armées, de la désignation des gouverneurs, de la collecte des impôts et de leur redistribution au service des musulmans, il les a accordées aussi au gouvernement" islamique. Ce qui implique que le “walih el-fakih” a pratiquement la même autorité que celle du Prophète en termes de gestion et d’orientation des affaires de la nation. Et sur ce plan, son autorité dépasse les frontières et s’étend à l’ensemble des croyants chiites. Cheikh Naïm Kassem relève à cet égard que dans le cadre de l’exercice de son pouvoir, le “walih el-fakih” tient constamment compte des réalités et des spécificités de chaque pays ou groupement qui relève de son autorité.
En ce qui concerne le cas précis du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem souligne dans son ouvrage précité que le Hezbollah est "un parti libanais dont tous les cadres, les responsables et les membres sont libanais". Le parti reconnaît l’autorité du “ walih” pour les grandes questions doctrinales et stratégiques, mais "le suivi des détails, la gestion des problèmes ainsi que l’action quotidienne sur les plans politique, social et culturel, de même que les détails de la lutte contre l’occupation israélienne relèvent de la responsabilité du commandement du parti élu par la base, conformément aux statuts internes, lesquels sont basés sur le conseil de la choura présidé par le secrétaire général et qui tire sa légitimité du fakih".

Les grandes décisions politiques : seul ressort du “walih el-fakih”

Concrètement, et à titre d’exemple, lorsqu’il s’est agit pour le Hezbollah de prendre la décision de principe de participer ou non aux élections législatives de 1992, le parti a formé un comité de douze membres qui ont longuement débattu de cette option. La question était de savoir si la participation du Hezbollah au pouvoir était conforme à la doctrine de la foi chiite. L’actuel responsable des Relations internationales du Hezbollah, Nawaf Moussaoui, a développé à ce propos une argumentation dont il ressort que si le parti présente des candidats aux élections, cela ne signifie pas qu’il participe à “un” pouvoir bien déterminé qui exerce son autorité à laquelle le parti doit se soumettre, mais qu’il s’associe, plutôt, à une structure consensuelle de pouvoir à laquelle il contribue au même titre que les autres fractions et composantes nationales.
Par une majorité de dix voix contre deux, le comité en question a fini par adopter une "résolution" recommandant la participation au scrutin. Mais cette résolution a due être soumise au préalable à l’aval du “walih el-fakih” en l’occurrence, l’Imam Khamenei, qui a donné son accord. Sur ce plan, Nawaf Moussaoui affirme que cette démarche auprès du “walih” ne revêt pas un caractère politique, mais a pour but de s’assurer que la décision politique est conforme à la doctrine de la foi. Il reste que la frontière est particulièrement floue entre la nature essentiellement politique de la décision prise par le “walih el-fakih” au sujet d’un problème libanais et son avis sur la conformité avec la doctrine de la foi d’une recommandation adoptée à Beyrouth par le Hezbollah.
En tout état de cause, les écrits du Hezbollah, notamment l’ouvrage de cheikh Kassem, précisent sans aucune équivoque possible que les grandes décisions politiques, notamment les options de guerre ou de paix, sont du seul ressort du “walih el-fakih”.

(à suivre...)


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