Irak

George Bush veut une guerre sans témoins

Offensive contre la liberté de la presse à Bagdad : les journalistes cibles des bombes américaines

9 avril 2003

Le développement de taille survenu en Irak, avec ces attaques qui ont fait des victimes parmi les journalistes couvrant la guerre à partir de Bagdad et non pas derrière les chars américains, soulève des interrogations chez nombre d’observateurs, qui se demandent si les Américains ne cherchent pas « une guerre sans témoins ». Comme en Afghanistan, la chaîne arabe Al-Jazeera a été bombardée. Hier également, un blindé américain a attaqué l’hôtel où sont logés les correspondants des agences de presse. En visant les médias qui ne sont pas aux ordres de Washington, les militaires américains cherchent à éviter que le monde sache qu’ils sont en train de commettre un crime contre l’humanité en écrasant le peuple irakien sous les bombes.

Selon des informations en provenance de Bagdad, les bombardiers américains ont frappé les bureaux des chaînes satellitaires arabes Al-Jazeera et Abu Dhabi qui assurent une couverture directe et permanente à partir de Bagdad. Pendant ce temps, un tank américain a visé l’hôtel Palestine, où sont logés les journalistes et où sont installés les bureaux de la presse internationale. Le bombardement américano-britannique a fait trois morts.
La chaîne du Qatar Al-Jazeera a annoncé que son bureau de Bagdad, proche du ministère du Plan, avait été touché par une bombe et que l’un de ses correspondants avait été tué. Le directeur de la rédaction Ibrahim Hilal, s’exprimant depuis le siège de la chaîne à Doha, a affirmé que « des témoins dans le secteur ont vu l’avion survoler la zone à deux reprises avant de larguer ses bombes. Nos bureaux sont dans un quartier résidentiel et même le Pentagone sait où ils se trouvent ».

Dans un de ses reportages après le bombardement, Al-Jazeera estime que le générateur utilisé par ses locaux pourrait avoir été la cible. Le personnel de la chaîne pense que le bombardement était très probablement délibéré, déclare le correspondant Madjed Abdul-Hadi. « Le meurtre de notre confrère Tarek et le bombardement des bureaux d’Al-Jazeera sont destinés à couvrir le grand crime contre le peuple irakien soumis aux mains des États-Unis », a-t-il dit.
Peu avant, la chaîne avait diffusé des images d’un cameraman, Zuhaïr al-Iraki, dont la poitrine est recouverte de sang et ajouté qu’un autre membre de son équipe est porté manquant. Al-Jazeera a montré des images d’une autre bombe tombant dans le même quartier des bord du Tigre. Plusieurs chaînes de télévision y ont leurs bureaux et la chaîne d’Abou Dhabi a également été la cible des bombardements américains.

La presse internationale visée

Un peu plus tard, un char américain a tiré sur l’hôtel Palestine dans le centre de Bagdad, où résident tous les représentants de la presse internationale. Le commandement central de l’armée d’invasion a reconnu cette attaque. Deux journalistes sont morts.
À Londres, l’agence de presse Reuters a annoncé la mort de son cameraman Taras Protsyuk, un Ukrainien de 35 ans. La pièce dans laquelle il travaillait a été touchée par un obus tiré par un char. Un cameraman de la chaîne espagnole Telecinco, José Couso, 37 ans, a succombé à ses nombreuses blessures sur la table d’opération. Il est le deuxième journaliste espagnol tué en Irak cette semaine. Un technicien britannique, un journaliste libanais et un photographe irakien de Reuters ont également été blessés, mais selon l’agence de presse britannique leur vie n’est pas menacée.
« L’incident (...) pose des questions sur les décisions des soldats américains qui savaient depuis le début que cet hôtel est la base principale de presque tous les journalistes étrangers de Bagdad », a déclaré le rédacteur en chef de Reuters Geert Linnebank.

Les journalistes sont sortis dans la cour et les soldats américains ont suggéré qu’ils agitent des draps blancs par la fenêtre de leurs chambres. Les soldats américains ont prétendu essuyer des tirs depuis l’hôtel et voir des hommes équipés de jumelles. Mais un journaliste britannique se trouvant dans l’hôtel, David Chater, de Sky News, dit avoir vu le char diriger son canon vers le bâtiment juste avant l’explosion et n’avoir auparavant « entendu aucun tir provenant du secteur de l’hôtel, et encore moins de l’hôtel lui-même ». Après qu’un incendie a éclaté, un cessez-le-feu a été décrété et l’armée américaine a accepté de ne plus tirer sur le bâtiment.
Al-Jazeera a aussi montré des journalistes effrayés courant dans les couloirs et d’autres transportant un confrère blessé vers l’ascenseur et le hall. Une journaliste tentait d’en calmer une autre apparemment en état de panique.
Juste après cet événement, le ministre irakien de l’Information Mohamed Saïd al-Sahhaf qui était sur les lieux a accusé les Américains d’avoir « bombardé le bureau d’Al-Jazeera, celui de la télévision d’Abou Dhabi » et d’être ensuite venus « frapper ici » [sur l’hôtel Palestine]. Il a estimé qu’il s’agissait « d’actes hystériques » et a déclaré que l’Irak ne se rendrait jamais.

Attaque en plein jour

Le comportement des militaires américano-britanniques ne s’explique, de l’avis de plusieurs observateurs, que par la volonté d’imposer un black-out total sur la réalité des opérations militaires sur le terrain et surtout sur les atrocités contre les civils irakiens et les quartiers résidentiels. La télévision Al-Jazeera, qui a annoncé la mort de son journaliste, a parlé de « journée noire pour la presse et pour la liberté d’expression et d’informer ». Les bombes américaines, qui ont visé à la fois les bureaux d’Al-Jazeera, de la télévision d’Abu Dhabi et l’hôtel Palestine réservé à la presse internationale, ne laissent aucun doute sur les intentions des responsables militaires américains de réduire au silence les médias qui ne sont pas sous leurs ordres. En effet, le choix de détruire ces objectifs en plein jour ne laisse aucune chance de faire passer la pilule de l’erreur que les porte-parole militaires américains et britanniques tentent de faire avaler aux gens depuis le début de cette guerre.

On note que la plupart des journalistes "intégrés" dans les forces américano-britanniques sont maintenant suspectés de rapporter aveuglément la progression de ces forces en Irak sans égard pour une information équilibrée, précise et juste, notent les observateurs. Ils en veulent pour preuve le fait que depuis le début de l’invasion de l’Irak, dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 mars, les chaînes américaines et internationales dont les correspondants travaillent sous le contrôle des Américains et des Britanniques ne montrent ni les victimes civiles irakiennes ni les quartiers résidentiels rasés par les missiles et les bombes de la coalition.
Ces mêmes chaînes ne font que reprendre, toujours sans images, la version américaine selon laquelle les forces engagées dans cette guerre avancent sur le terrain pour éliminer les troupes irakiennes et "libérer" les populations de l’Irak. « Mais les séquences diffusées sur les chaînes arabes en particulier nous laissent croire que le terrain de cette guerre, comme la présentent les Américains, n’est pas l’Irak », soutiennent les mêmes analystes.
La contrainte poussant à la démission des journalistes qui livrent des reportages conformes à la réalité, comme Phil Snucker du "Christian Science Monitor" et le célèbre correspondant de guerre de la chaîne américaine NBC, Peter Arnett, confirme les accusations selon lesquelles les reporters se contentent de la version des coalisés pour "gérer" l’opinion publique dans les pays occidentaux.

Ne pas parler des buts de la guerre

Par ailleurs, pour confirmer leurs accusations contre le Pentagone d’avoir imposé un "black-out" total sur la vérité des combats et des pertes humaines dans les rangs des civils irakiens, les observateurs s’interrogent sur l’utilité de masser un millier de journalistes à Doha (Qatar), à 1.500 kilomètres de Bagdad. Ce fait atteste, selon eux, de la volonté des Américains de vouloir coûte que coûte imposer la "vérité" officielle. Des intellectuels aux journalistes, en passant par les politiciens, les économistes, voire les simples citoyens, tout le monde sait aujourd’hui que l’Irak ne constitue pas une menace militaire ou de toute autre sorte pour les États-Unis.
Les véritables raisons de cette guerre, dont le mensonge constitue l’un des piliers de l’avis des observateurs, ne sont plus un secret : les États-Unis veulent dominer le Moyen-Orient et ses énormes ressources pétrolières. L’Irak, la clef stratégique dans la région sur la voie du nouvel empire américain, n’est qu’un début. Des pays comme l’Iran, la Syrie, le Pakistan, voire l’Arabie saoudite ne pourront plus désormais compter sur le Conseil de sécurité de l’ONU pour arrêter la machine de guerre américaine lancée pour l’édification de cet empire.


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