Irak

L’urgence humanitaire grandit chaque jour pour le peuple irakien

Après un embargo meurtrier, l’occupation favorise la désorganisation du système de santé

15 avril 2003

Les combats et le manque d’eau provoquent des ravages au sein de la population civile alors que l’aide internationale n’arrive qu’au compte-gouttes. Certaines ONG refusent de se placer sous la coupe américaine. Un article de ’l’Humanité’ datée du 11 avril dernier que nous reproduisons ci-après décrit la situation. Les inter-titres sont de ’Témoignages’.

C’est le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui tire la sonnette d’alarme : « À Bagdad, les hôpitaux ont atteint les limites de leurs capacités ». Les stocks de produits d’urgence, notamment les anesthésiants, s’amenuisent et ne pourront pas être renouvelés avant l’arrêt des affrontements. Quant aux équipes médicales, toujours selon le CICR, elles « œuvrent vingt-quatre par jour et sont totalement épuisées ».
L’afflux par centaines des civils blessés ne se tarit pas. Au plus fort des combats, les hôpitaux de la capitale ont accueilli jusqu’à cent blessés par heure - chiffre communiqué par une autre agence de l’ONU, le Bureau de coordination des affaires humanitaires.
Les agences onusiennes s’inquiètent aussi des coupures d’électricité qui rendent très difficiles les soins et empêchent les stations d’épuration de fonctionner. L’eau potable vient à manquer dans de nombreux quartiers de Bagdad. « De plus en plus d’enfants souffrent de diarrhée car ils boivent de l’eau contaminée », indique l’UNICEF.
À Bassora aussi, le manque d’eau potable met en danger la santé des plus jeunes : 200.000 enfants de moins de cinq ans sont en danger dans cette cité de près de deux millions d’habitants. Des camions chargés d’eau et de sels de réhydratation sont arrivés dans la grande ville chiite du Sud, mais la distribution de cette aide indispensable se fait au compte-gouttes. En cause : les difficultés que rencontre la "coalition" pour maintenir l’ordre dans Bassora livrée au pillage.

Refus de servir la propagande de Washington

Soucieuses de ne pas se mettre à dos la population, les troupes britanniques ne veulent pas renouveler ces scènes chaotiques où les habitants se lançaient littéralement à l’assaut des camions remplis de vivres et d’eau. Elles entendent donc le plus vite possible se défausser de cette tâche pour laisser aux agences humanitaires de l’ONU et aux organisations non gouvernementales (ONG) le soin de la gérer.
Le problème, c’est que ces organisations humanitaires sont encore très peu présentes sur le territoire irakien. Seules deux d’entre elles sont déjà sur place - Médecins sans frontières (MSF) et le CICR - et elles ont mis un terme provisoire à leurs activités pour des raisons de sécurité. La prise de Bagdad par les troupes américaines et la "sécurisation" de Bassora devraient permettre de débloquer la situation. Mais déjà, les organisations humanitaires s’inquiètent : les troupes de la "coalition" les laisseront-elles accéder librement à la population ?
Devant le Conseil de sécurité, les ONG ont exigé d’« avoir accès partout », sans « aucune restriction ». Elles semblent avoir été entendues. Mais sur le terrain, seules les organisations - pour la plupart anglo-saxonnes - qui ont accepté d’être incorporées dans les fourgons de l’armée américaine peuvent espérer intervenir rapidement. Les autres - notamment Médecins du monde et Action contre la faim - refusent d’être « enregistrées auprès de l’état-major américain pour mieux être contrôlées ». Ces organisations indépendantes ne veulent pas servir la propagande de Washington. Comme le souligne le responsable de MSF en Irak à nos confrères du "Point" : « Les Américains ne font pas de l’humanitaire, ils ne font qu’appliquer les conventions de Genève, qui précisent que la puissance occupante doit assurer la survie de la population sous son contrôle ».

Conséquences de l’embargo

De son côté, l’administration Bush se glorifie de son rôle auprès des populations civiles. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, rappelle d’ailleurs que « le problème humanitaire est apparu sous le régime de Saddam Hussein depuis une décennie. Les gens ont vécu dans des conditions terrible ». Ce que ne dit pas Donald Rumsfeld, c’est que ces « conditions terribles » où vivent les Irakiens s’expliquent avant tout par l’embargo dont est victime le pays depuis 1991. L’UNICEF chiffre à 500 000 le nombre d’enfants morts faute de soins et de nourriture dans cette période.

« Depuis la "libération", l’approvisionnement en médicaments ne se fait plus »
Deux médecins du Medical Team de Médecine pour le Tiers Monde, Claire Geraets et Geert Van Moorter, sont en poste à Bagdad. Dans une chronique quotidienne publiée sur le site "Solidaire", ils décrivent les conséquences de l’occupation américaine de Bagdad pour le peuple irakien. Nous reproduisons ci-après de larges extraits de leur dernier témoignage.

Les docteurs Claire Geraets et Geert Van Moorter ont visité divers hôpitaux de Bagdad. Désormais, l’hôpital al-Kindi est protégé par des habitants du voisinage qui, outrés par les pillages, ne comprennent pas pourquoi on dépouille de la sorte les infrastructures sociales. « Tout ça, pierre par pierre, c’est notre population qui l’a bâti », s’indignent-ils. Les énormes bâtiments et entrepôts du ministère de la Santé publique se trouvent sans aucune protection, à proximité de l’ambassade de France qui, elle aussi, a été complètement mise à sac. Les générateurs frigorifiques ont déjà disparu, de sorte que la température idéale de conservation des médicaments et vaccins n’est plus assurée. « Les Américains se soucient uniquement de protéger le ministère du Pétrole », vitupère Geert.

Plus d’approvisionnement

À l’hôpital al-Anour, où Geert est allé offrir ses services après le déplorable bombardement d’un marché, le Dr Hakim Razzuqi faisait savoir, non sans fierté, que son hôpital était resté ouvert tout le temps, même si, à certains moments, il ne disposait que de 30% de ses effectifs. En effet, nombre de membres du personnel ne pouvaient franchir les check-points de l’armée américaine. Le Dr Razzuqi se plaint surtout du manque d’eau, d’électricité et d’oxygène. Jusqu’au 8 avril, l’hôpital recevait encore très régulièrement des médicaments du ministère de la Santé publique, très efficace jusque-là. « Depuis la "libération", tous les approvisionnements ont cessé », soupire le médecin. Aujourd’hui, une nouvelle fournée de blessés sont arrivés, une grosse trentaine, la plupart avec de vilaines blessures datant de plusieurs jours. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils ont osé venir à l’hôpital. Certains d’entre eux, les jours précédents, se sont également vu interdire le passage par les militaires américains.

Les enfants victimes de guerre

Le Dr Ahmed Sudad habite dans le quartier et vient lui aussi donner un coup de main à l’hôpital. « Il me racontait que les gosses, un peu partout, découvrent des espèces de triangles en fer », dit Geert, « entourés de quelque chose de blanc. Une sorte de ballon, parfois, ça ressemble à une fleur. Quand on les touche, ça explose et ça provoque de vilaines blessures. Ce pourrait être de mini-bombes provenant de bombes à fragmentation. Le petit Mohammed, 4 ans, a été blessé de la sorte. À plusieurs gosses venus à l’hôpital, j’ai donné des dessins pour la paix des enfants de Belgique. Ca leur faisait manifestement plaisir. Pour le petit Ali, 7 ans, on n’a rien pu faire. Pendant que nous étions en train de le soigner, il est mort suite aux blessures qu’il avait reçues en marchant sur ce genre d’explosif. C’était vraiment déchirant d’entendre la mère se lamenter dans le couloir. Qu’on vienne encore me parler de "guerre propre" !!! »

De retour à l’hôtel, le Dr Van Moorter trouvait un pli sous sa porte, émanant du Dr Al-Rahmani, dont il avait déjà rencontré la fille malade quelque temps plus tôt. La fillette soufre d’hémophilie, une maladie du sang, et elle a un besoin urgent d’un médicament, le Factor VIII. « Les Américains et les organisations humanitaires peuvent débarquer tout ce qu’ils veulent, ici », dit le Dr Van Moorter. « Je vais aller réclamer pour qu’ils fassent parvenir ce Factor VIII aussi, sinon la gamine va mourir ».

L’UNESCO réclame des mesures immédiates pour préserver le patrimoine irakien
Le patrimoine de l’humanité disparaît dans l’indifférence des agresseurs américains

Le directeur général de l’UNESCO Koïchiro Matsuura a demandé aux autorités américaines et britanniques de « prendre immédiatement » des mesures pour préserver le patrimoine culturel irakien, après les pillages dans le musée archéologique de Bagdad, a annoncé l’UNESCO samedi dans un communiqué.

Koïchiro Matsuura « a aussitôt saisi les autorités américaines et britanniques et leur a demandé de prendre immédiatement les mesures de surveillance et de gardiennage des sites archéologiques et institutions culturelles irakiens », a déclaré l’UNESCO, dont le siège est à Paris. Dans un courrier adressé vendredi aux autorités américaines, le directeur de l’organisation internationale « a souligné l’urgence qu’il y avait à préserver des collections et un patrimoine considérés comme l’un des plus riches du monde ».
Il a insisté sur « la nécessité d’assurer la protection militaire du musée archéologique de Bagdad et du musée de Mossoul ». La même demande a été faite auprès des autorités britanniques concernant la région de Bassora, a précisé le communiqué.

L’UNESCO a également pris contact avec les pays limitrophes de l’Irak pour éviter « l’exportation illicite de biens culturels irakiens », selon le communiqué. La Bibliothèque nationale de Bagdad, qui renfermait des documents originaux exceptionnels, a été incendié par des pillards après avoir été volée, a constaté un journaliste de l’AFP. Situé face au ministère de la Défense, qui, lui, n’a pas été touché par les flammes, le "Palais de la Sagesse", bâti en 1961, abrite également le Centre national des Archives.
Cet incendie intervient après le pillage vendredi du musée archéologique de Bagdad, qui renferme la plus importante collection d’oeuvres du riche patrimoine irakien.


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