Irak

« La lutte contre la guerre est notre premier devoir »

Ahmed Ben Bella craint « une guerre perpétuelle » menée par Washington

30 avril 2003

« Avec cette guerre américaine, nous vivons le début de la fin du système capitaliste », affirme Ahmed Ben Bella dans un entretien à ’Solidaire’. Un des dirigeants de la guerre de libération du peuple algérien, il a été le premier président de l’Algérie indépendante en 1962. Plus récemment, Ahmed Ben Bella est l’un des initiateurs de la ’Déclaration du Caire’, qui a incité à de nombreuses actions de lutte pour la paix.

• Vous connaissez très bien l’Irak, sa culture, sa population, puisque vous avez déjà visité le pays dix-sept fois. Que pensez-vous de cette « libération » de l’Irak ?
Ahmed Ben Bella : La guerre a engendré des milliers de morts et de blessés ainsi que des destructions massives. Des pillages ont été organisés dans plusieurs villes. À Bagdad, des bâtiments gouvernementaux ont été incendiés, des bibliothèques et des musées ont été pillés et détruits, ... C’est un acte délibéré par lequel les États-Unis veulent détruire l’identité culturelle, la mémoire historique du peuple irakien. Il est donc clair qu’il ne s’agit pas d’une victoire de la démocratie. Comment les États-Unis pourraient-ils imposer une démocratie avec des B-52 ? Cette démocratie qu’ils défendent, c’est la liberté des multinationales. C’est la démocratie des milliardaires, des quatre cents personnes qui possèdent la moitié du monde ! Bush prétend vouloir combattre le terrorisme. Mais le vrai terrorisme, ce sont les 35 millions de personnes qui meurent de faim chaque année dans le monde ! Et contre ce terrorisme-là, les États-Unis n’agissent pas.

• À votre avis, quelles sont les véritables raisons de cette agression américaine ?
C’est une guerre décidée par un groupe de pétroliers qui dirige les États-Unis aujourd’hui. Des gens comme le président Bush et le vice-président Cheney en font partie.
Mais il n’y a pas que l’Irak et son pétrole. C’est aussi une lutte pour la domination du monde. Les États-Unis voient l’Europe comme une puissance montante qu’ils veulent contrôler, mais il y a plus dangereux : la Chine, qui se développe à grands pas. D’ici quinze à trente ans, elle sera une puissance aussi importante que les États-Unis.
Cependant, la Chine a un point faible : elle n’a presque pas de pétrole, ni de gaz. Et comme ce sont toujours les hydrocarbures qui font fonctionner la machine économique, les États-Unis veulent donc mettre la main sur toutes les réserves importantes pour que leur hégémonie dure le plus longtemps possible.
Et il y a plus : ces raisons économiques et géopolitiques sont soutenues par une thèse religieuse intégriste. Des gens comme Rumsfeld, Ashcroft et Cheney font partie d’un courant religieux chrétien qui représente un intégrisme beaucoup plus dangereux que celui de Ben Laden.

• Que pensez-vous de la nouvelle situation au Proche-Orient ?
Maintenant que la première phase de la guerre est terminée, nous voyons débuter ce que j’appelle la "Karzaï-mania". Après la guerre d’octobre 2001, ils ont mis un certain Karzaï à la tête de l’Afghanistan. Et c’est ce qu’ils veulent faire dans chaque pays qu’ils recolonisent. Ils veulent que chaque pays soit dirigé par un président 100% pro-américain, un laquais complètement lié aux États-Unis. Mais ils auront de sérieux problèmes en Irak ! Tous les groupes religieux, toutes les ethnies refusent un tel gouvernement, qui se construit de l’extérieur.
Maintenant que les Américains sont en train de chercher un nouveau Karzaï pour l’Irak, ils voudraient pouvoir avancer dans le même sens en Syrie. La recette est connue : augmenter la pression pour déstabiliser le pays et ensuite, envoyer les avions et les bombes. Après sa guerre en Irak, Bush planifie de frapper la Syrie, l’Iran, la Corée. C’est donc une guerre perpétuelle qui s’annonce. Ce système n’est pas tenable. Il va falloir créer autre chose. Nous vivons le début de la fin du système capitaliste. Nous devons le changer.

• Lorsque vous parlez du Proche-Orient, vous faites systématiquement le lien entre la Palestine et l’Irak. Pourquoi ?
Le combat des Palestiniens est exceptionnel. C’est un symbole de résistance essentiel pour l’ensemble du monde arabe. Il y a des dizaines d’années que l’on exige que le problème palestinien soit résolu. Les gens savent que les Américains n’ont jamais aidé les Palestiniens qui souffrent des agressions israéliennes et qu’ils ont, au contraire, toujours donné leur appui économique, politique et militaire à Israël. Alors, ils se demandent comment les États-Unis pourraient amener la démocratie en Irak ?
En Palestine aussi, les États-Unis cherchent à imposer un nouveau Karzaï. Ils veulent une pacification sous contrôle américain. Mais les Palestiniens n’accepteront jamais cela.
En Palestine comme en Irak, on assiste à l’expression claire du colonialisme. Sharon est le petit cousin de Bush ! Les États-Unis soutiennent Israël de façon inconditionnelle parce que ce pays joue le rôle de gendarme régional pour les Américains. Les États-Unis parlent d’armes de destruction massive en Irak, ainsi qu’en Syrie. Mais ils ne disent rien sur les deux cents bombes nucléaires, et peut-être plus, qui existent en Israël. Nous ne l’acceptons pas. Outre ce lien qui unit Bush et Sharon, il y a aussi un lien entre le peuple palestinien et le peuple irakien, deux peuples victimes de cette politique coloniale et qui résistent depuis longtemps.

• Vous insistez beaucoup sur le lien entre le mouvement anti-guerre et celui contre la mondialisation. Pourquoi ?
Ces deux mouvements sont liés par leur opposition à la logique du système économique mondial. Dans le Sud, nous sommes très impressionnés par ces mouvements qui se développent dans le Nord. J’ai participé aux manifestations contre la guerre à Londres avec plus de deux millions de personnes. Et il y a eu toutes les protestations contre la mondialisation : à Davos, Gênes, Florence En novembre 2002, au Forum Social Européen de Florence, 1 million 200.000 personnes se sont mobilisées contre la guerre et pour un autre monde.
C’est un phénomène nouveau qui se développe. Un nouvel universalisme auquel les peuples et les organisations du Sud, qui forment presque 85% de la population mondiale, doivent et veulent participer. Et la lutte contre la guerre est notre premier devoir.


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