Yasser Arafat à Camp David

’La méthode israélienne, c’est le pur rapport de forces’

13 novembre 2004

Le moindre pas vers une solution négociée, comme l’auraient souhaitée les Israéliens, aurait eu pour corollaire le renoncement des Palestiniens à leur propre existence, estime Bruno Guigue. Les intertitres sont de “Témoignages”.

Yasser Arafat responsable de l’échec du processus de paix ? Les mensonges ont la vie dure, et en voici un bel exemple. Tout a commencé lorsqu’au lendemain de l’échec des négociations de Camp David, le 25 juillet 2000, Bill Clinton a lâché la petite phrase qui dicterait l’interprétation officielle de l’événement : "Le Premier ministre Barak a fait plus de chemin que le président Arafat".
Pour Bill Clinton, il ne faisait aucun doute qu’Ehoud Barak avait consenti à cet effort, même s’il lui en coûtait. Quant à Yasser Arafat, c’est une autre affaire : muré dans son intransigeance, il s’y serait refusé jusqu’au dernier moment.

Le mythe de la prétendue neutralité américaine

À défaut d’une description fidèle de la réalité historique, voilà le récit qu’on nous pria aussitôt d’agréer. Les médias occidentaux s’empressèrent de le diffuser, comme s’il détenait la clé de l’événement. Il présentait, il est vrai, un double avantage. Il confortait, tout à la fois, l’image d’une Amérique animée de la meilleure volonté et celle d’un État d’Israël manifestement prêt à des concessions substantielles.

S’agissant de la médiation américaine, le récit accréditait le mythe de sa prétendue neutralité : Bill Clinton dressait le constat attristé d’un échec imputable à la délégation palestinienne, sans donner l’impression d’avoir pris parti dans une négociation bilatérale dont il se prétendait l’organisateur impartial.
Du côté israélien, la conclusion apportée par le président américain attribuait à l’État hébreu une disposition au compromis qui tranchait avec l’obstination supposée de Yasser Arafat. En refusant d’accomplir sa part du chemin, ce dernier s’était mis hors jeu. En se cantonnant dans un immobilisme stérile, il avait rendu vains, à la fois, les efforts diplomatiques de l’arbitre américain et les offres généreuses du partenaire israélien.

De quel processus de négociation s’agit-il ?

Ce qu’on n’a cessé de reprocher, depuis, au président palestinien, c’est donc sa prétendue manie du surplace : par crainte de quitter la position qu’il occupe, il répugnerait à franchir la distance qui le sépare de son interlocuteur, frappant de paralysie un processus qui ne peut guère progresser si personne ne consent à bouger.
Ce qui horripile ses interlocuteurs, chez Arafat, c’est indubitablement son côté “sphinx”, l’impression qu’on ne peut l’atteindre ni même le comprendre ; le sentiment qu’il se mure dans la défense intransigeante de principes surannés.
Mais s’il est entendu que Yasser Arafat calcule ses moindres mouvements, encore faut-il se demander quelle est la signification politique de cette parcimonie. Car de quel processus de négociation s’agissait-il au juste ? S’il y a négociation, les principes dont se prévaut le mouvement national palestinien sont-ils pour autant négociables ? Et s’il faut accomplir la moitié du chemin, sait-on seulement dans quelle direction on veut aller ?

Colonisation sans répit

Le sommet raté de Camp David, Yasser Arafat n’en voulait pas. Il l’avait confié à Bill Clinton : c’est une initiative prématurée qui risque d’échouer faute d’une préparation suffisante. À ces négociations forcées, les Palestiniens finirent cependant par se résoudre sous la pression américaine.
Mais s’ils s’y résignèrent, c’est aussi parce qu’Israël faisait obstruction à l’application des accords intérimaires et poursuivait sans répit la colonisation des territoires. Convaincus qu’ils n’obtiendraient pas un pouce de terrain supplémentaire dans le cadre défini à Oslo, ils se plièrent à ce qu’exigeait le gouvernement israélien, puissamment relayé par Washington.

Relever un tel défi imposait évidemment d’aborder la totalité des questions demeurées en suspens depuis les accords d’Oslo : les frontières du futur État palestinien, le sort des implantations juives, le problème des réfugiés, l’épineuse question de Jérusalem.
Cela supposait de traiter clairement chacune de ces questions dans la perspective d’une solution définitive, et non d’un nouvel arrangement intérimaire. C’est pourquoi la partie palestinienne, au grand dam des Israéliens, fit précéder l’examen de chaque question d’un rappel des principes qui devaient guider les négociations.

La primauté du droit international

Puisqu’il s’agissait d’un accord historique, les Palestiniens suggéraient ainsi de commencer par le commencement. Car que souhaitaient-ils au juste ? En rappelant d’emblée les principes fondamentaux de la négociation, ils voulaient souligner une fois encore la primauté du droit international.
La base même de toute solution au conflit, à leurs yeux, ne pouvait résider que dans les résolutions 242 et 338 de l’ONU. Pour la délégation palestinienne, tout était négociable, sauf l’application de la légalité internationale.
Mais les Israéliens savaient qu’en acceptant la méthode palestinienne, ils seraient contraints de céder la totalité des territoires, ce qui équivalait, à leurs yeux, à une capitulation en rase campagne. Aussi préféraient-ils une autre méthode : ils optèrent, comme base de discussion, pour le rapport de forces plutôt que pour le droit international.

Donnant-donnant entre des partenaires qui ont un intérêt mutuel à la paix, voilà la méthode israélienne : il s’agit de trouver un compromis entre deux adversaires, et non d’accomplir les promesses du droit international.
Pour les Israéliens, la négociation a pour finalité de trouver le point d’équilibre entre des positions apparemment inconciliables, et rien d’autre. Un accord est à portée de main si chacune des parties en présence fait des concessions.
De leur côté, les Palestiniens n’ont pas rechigné à explorer les voies d’une transaction honorable avec la partie adverse. Mais la légalité internationale exigeait la restitution intégrale des territoires, Jérusalem-Est compris. Elle dictait le démantèlement de la totalité des colonies bâties par Israël dans les territoires. Elle imposait une solution équitable au douloureux problème des réfugiés.

Trois bantoustans pour les Palestiniens

Or, l’État hébreu n’a formulé aucune proposition de nature à satisfaire de telles exigences. En ce qui concerne les frontières du futur État, il a proposé la restitution d’une grande partie de la Cisjordanie, mais cette offre était assortie du maintien des trois principaux blocs de colonies et d’une rupture de la continuité territoriale.
Paradoxalement, c’est cette formule qui allait passer, aux yeux de l’opinion occidentale, pour l’illustration de la “générosité israélienne” à Camp David : en tronçonnant la Cisjordanie, elle consistait pourtant à offrir trois bantoustans aux Palestiniens.

La méthode israélienne, en clair, c’est le pur rapport de forces. Israël jouit d’une supériorité militaire écrasante et bénéficie du soutien indéfectible des États-Unis. Pourquoi devrait-il faire des concessions à un adversaire que sa faiblesse devrait contraindre à la modestie ?
Le moindre pas vers une solution négociée, dans ces conditions, aurait eu pour corollaire le renoncement des Palestiniens à leur propre existence. Faut-il reprocher à ces derniers de l’avoir compris, et d’en avoir tiré les conclusions qui s’imposaient ? Elle est là, à coup sûr, l’explication du prétendu “immobilisme” de Yasser Arafat : dans ce refus de brader une revendication nationale d’autant plus légitime qu’elle est entérinée par la légalité internationale, celle-là même que violent impunément les autorités israéliennes et leurs puissants protecteurs.

Bruno Guigue


Messages de condoléances

Artsenik : "Le symbole d’un combat pour la liberté"

"C’est avec beaucoup d’émotion que nous vous présentons toutes nos condoléances pour l’épreuve douloureuse que le peuple palestinien traverse avec la mort de Yasser Arafat.
Fidèle à ses convictions, il a pendant 4O ans incarné le symbole d’un combat pour la liberté, pour la résistance, pour sa terre et celle de son peuple ! Espérons que tout cela ne soit pas vain et que bientôt “il n’y aura ni héros , ni victime”, comme l’écrit si bien Mahmoud Darwich et que Israéliens et Palestiniens pourront vivre en frères sur cette terre-espace
de tant de douleurs..."

(Message envoyé au Centre artistique de Ramallah)


CGTR : "Yasser Arafat ne meurt jamais"

"Un grand s’en est allé.
Dirigeant exemplaire de la cause palestinienne, il a su maintenir l’unité et l’indépendance de la résistance palestinienne.
Acteur principal d’une guerre coloniale, son courage et sa détermination n’ont jamais failli face à l’agresseur sioniste.
Avec les progressistes et démocrates israéliens, il s’est inlassablement battu pour la paix... entre les deux peuples, remise systématiquement en cause par les faucons israéliens.
À l’image de Nelson Mandela, Yasser Arafat mérite respect et admiration.
Son engagement infaillible de toute une vie pour ses idéaux est exemplaire et sert la cause de tous les peuples qui aspirent à vivre libres et dignes.
Un très grand homme ne meurt jamais. Sa mémoire restera à jamais gravée dans le cœur des Palestiniens et au-delà de tous ceux qui se battent pour que la liberté ne soit pas un vain mot.
Arafat est mort, vive Arafat."


Fédération socialiste : "Un symbole de la résistance"

"Les Socialistes rendent hommage au président Yasser Arafat, symbole de la résistance et expriment leur solidarité envers le peuple palestinien meurtri par cette disparition.
Les Socialistes réaffirment leur volonté d’œuvrer au plan international pour une paix juste dans cette région du monde."


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Témoignages - 80e année


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