Irak

La résistance à la propagande des médias aux ordres de Washington

La guerre racontée à travers les yeux de ceux qui subissent l’agression

5 avril 2003

Grâce à l’avènement d’Al-Jazeera ou d’autres chaînes « non fidèles », les dirigeants des États-Unis n’ont plus le monopole de l’information sur la guerre. Comment faire taire les médias que Washington considère comme « ennemis » parce qu’ils s’efforcent de montrer ce qui est réellement en train de se passer en Irak ? En les bombardant. Une analyse publiée dans un article du journal italien ’Il Manifesto’ dont nous reproduisons ci-après de larges extraits.

La tempête de bêtises médiatiques qui s’abat dans le monde ne cesse de faire des ravages à travers des ouragans d’incongruités, de contradictions, de mensonges, s’accompagnant immanquablement de son lot de propagande impérialiste.
L’Irak et son "dictateur sanguinaire" ne sont qu’un prétexte. Cette guerre a été déclenchée avec un autre objectif : la "domination globale". Mais pour dominer le monde, il faut conquérir les esprits et les cœurs, et si l’on n’a pas d’arguments forts pour le faire, il ne reste qu’une méthode : empêcher que des "messages différents" de ceux que les conquérants veulent nous inculquer parviennent à nos consciences et que d’autres "émotions" atteignent nos cœurs.
Or ce projet est en train de tomber à l’eau. Pour la première fois, dans le cadre des trois dernières guerres conduites par l’empire (la guerre "humanitaire" au Kosovo, le conflit pour une "justice infinie" en Afghanistan et la vengeance "préventive" en Irak), le monopole américano-occidental de l’information a été cassé. Il demeure toujours dominant, cela va de soi. Mais il n’est plus exclusif. Pour la première fois, la guerre est racontée et montrée à travers les yeux de ceux qui savent déjà qu’ils vont à l’encontre d’une défaite certaine.
C’est une perspective inédite, qui a été rendue possible par les mêmes technologies modernes qui permettent de gagner des guerres. Pour cette raison, la première préoccupation de l’empereur a été de bombarder les centres de diffusion télévisuelle de l’adversaire et d’aveugler ainsi ceux qui cherchent à montrer la guerre en la regardant avec la perspective de ceux qui se trouvent de l’autre côté. Souvenez-vous. Lors de la guerre au Kosovo, la télévision de Belgrade a ouvert la série. Le bombardement de la rédaction de la chaîne Al-Jazeera, à Kaboul, a été le deuxième épisode. Les missiles qui sont tombés sur la télévision de Bagdad confirment la visée de cette "nouvelle norme planétaire". Car les "anomalies" doivent être éliminées.
Loin de la région où se déroule le conflit, en Italie, la RAI (le groupe télévisuel public italien - NDLR) ne sera certainement pas bombardée car elle reproduit (hormis de louables exceptions) la philosophie de l’empire. Une correspondante à Bagdad a dit, par exemple, que la population n’a pas peur des missiles américains, car elle a « confiance dans la technologie américaine ». N’est-ce pas fantastique ?
Il a fallu une résistance active d’une minorité courageuse (qui existe toujours, heureusement pour nous, mais pour eux aussi) pour décerner un Oscar au film de Michael Moore, "Bowling for Columbine", qui montre de terribles vérités sur son pays, les États-Unis. Mais l’invective du cinéaste ne parviendra cependant jamais dans les maisons du Nebraska ou dans les fermes du Texas, c’est-à-dire dans l’Amérique profonde.
Pour revenir à nos considérations initiales, certains ont affirmé, souvenez-vous, que les Irakiens, ceux qui haïssent bien entendu Saddam Hussein, auraient immédiatement rendu leurs armes, sans combattre, à la vue des soldats de la coalition anglo-américaine. D’autres ont même prétendu que bientôt nous verrons une population irakienne en liesse, enthousiaste, embrassant les "libérateurs" et lançant des fleurs aux "exportateurs de la démocratie". Mais le "travail" a pris du retard. Car les Irakiens se battent. Ils résistent. D’accord, il s’agit de la Garde républicaine, disent-ils. Tout paraît à nouveau clair, alors. Sauf une chose.
Comment se fait-il que la coalition anglo-américaine n’ait pas prévu cette résistance ? Pour ne pas prendre de risques, mais surtout pour tuer toute velléité d’opposition, les marines ont lancé la fameuse campagne "choc et stupeur", dont le but était de terroriser l’ennemi. Le secrétaire d’État à la défense a dit exactement cela : terroriser. A-t-il pensé au fait que celui qui terrorise est un terroriste ? Il a dû commettre un lapsus.
Mais il y a autre chose qui "frappe" les esprits : l’absence, jusqu’ici, de ces fameuses armes de destruction massive que les inspecteurs de l’ONU n’ont pas réussi à trouver. Soyez tranquilles. Ils les trouveront un jour et ils nous les montreront avec tous les détails que la découverte impose. Pour l’heure, cependant, tout ce qu’on a découvert, c’est que les documents de la CIA "prouvant" l’avancement du projet de construction irakienne de la bombe atomique, ont été reconnus comme étant des faux.

Récit d’atrocités provoquées par George W. Bush

Gert Van Moorter est un médecin belge parti à Bagdad aider les Irakiens à soulager leurs souffrances. Il tient une chronique quotidienne qui paraît dans les colonnes de "Solidaire". Selon lui, les armées américaines multiplient les massacres en testant de nouvelles armes de destruction massive. Nous reproduisons ci-après de larges extraits de sa chronique d’avant hier.

« Aujourd’hui, nous nous sommes rendus à Hilal, la petite ville près de Babylone qui a subi de lourds bombardements hier. Dans les quartiers pauvres, entre 20 et 25 bombes sont tombées. En une demi-heure, l’hôpital de Hilal a dû accueillir quelque 150 patients gravement blessés. Le Dr Mahmoud Al-Mukhtar nous a dit que les blessures avaient été provoquées par des bombes à fragmentation. Ce sont des bombes qui explosent en de très nombreux petits projectiles qui, ensuite, explosent à leur tour et provoquent des ravages horribles. Les bombes à fragmentation sont interdites par la législation internationale en matière de guerre, mais Bush s’en moque comme de sa première chemise ! À l’hôpital, j’ai vu des tas de situations vraiment poignantes. Une famille de onze personnes, dont six ont été tuées... Un père qui reste tout seul, désemparé, avec un seul gosse, alors que sa femme et ses deux autres gosses ont été tués... Des petits enfants qu’on a dû amputer...

Ma seconde histoire est encore plus horrible. C’est à propos d’un bus de civils qui a été pris pour cible. Pas celui de Najaf, dont toutes les infos ont parlé partout, mais une histoire qui, à ma connaissance, n’a encore été mentionnée nulle part par les médias occidentaux. Il y a trois jours, à al-Sqifal, près de Hilal, un car de voyageurs a été pris pour cible à un poste de contrôle américain, et les conséquences sont atroces. Selon des témoins, le car s’était arrêté à temps et, sur ordre des militaires américains, il avait directement fait demi-tour. Ce qui s’est passé précisément, ensuite, n’est pas clair, mais un projectile d’une énorme capacité destructrice a frappé le car de plein fouet. Le Dr Saad El-Fadoui, un chirurgien de 52 ans qui, il n’y a pas si longtemps, étudiait encore en Ecosse, a quitté l’hôpital de Hilal pour se rendre sur place le plus vite possible. Lorsqu’il m’a raconté ce qu’il avait vu, trois jours après les faits, pourtant, il en était encore tout retourné. « Les corps étaient tout noirs, carbonisés, atrocement mutilés, carrément démembrés, déchiquetés », soupirait-il. « Dans le car et tout autour, des têtes arrachées, des fragments de cervelle, des paquets d’entrailles... » On devine le genre d’arme criminelle de destruction massive qui est capable de provoquer une telle horreur. Personne n’a entendu de déflagration, sur les corps, on n’a retrouvé aucune trace de shrapnel ou d’éclat. Un journaliste m’a parlé d’une arme à dégagement de chaleur, avec du cuivre liquide ou quelque chose du genre... Les Américains peuvent-ils être aussi sadiques ? Le Dr Saad El-Fadoui nous a demandé avec insistance de mettre tout en œuvre afin de faire cesser cette guerre d’agression atroce ».

La presse sud-africaine met en doute les reportages sur l’Irak
Le journal sud-africain "Sowetan" a accusé, mercredi, la plupart des journalistes intégrés dans les forces de la "coalition" américano-britannique de rapporter aveuglément la progression de ces forces en Irak, sans égard pour une information « équilibrée, précise et juste ».

Le journal souligne que la plupart des chaînes de télévision internationales ne montraient pas le sang des victimes civiles irakiennes innocentes, mais se concentraient plutôt sur le côté « sans effusion de sang » du conflit, donnant ainsi au public une image totalement erronée de cette guerre. « Ces chaînes de télévision d’information présentent la guerre en Irak comme un divertissement et limitent la possibilité d’un débat public sérieux - dans les pays de la "coalition" - sur le conflit », soutient ce journal. « On fait de la guerre un spectacle. Une frange importante du public regarde les images sans réaliser que c’est une guerre. Ceci est dangereux pour toutes les démocraties, et si ça se poursuit, cela va permettre dans une démocratie la possibilité de déclarer une guerre sans qu’il y ait de débat public sur les avantages et les inconvénients de cette dernière ».

« Après cette guerre, le quatrième pouvoir va devoir se pencher sans complaisance sur sa conduite », avertit "Sowetan". Le journal déplore le fait que des journalistes comme le reporter de "Christian Science Monitor", Phil Smucker, et le célèbre correspondant de guerre de la chaîne américaine NBC, Peter Arnett, aient été expulsés d’Irak en raison de leurs reportages conformes à la réalité.

De son côté, le journal privé "Star" rappelle que les Américains avaient soutenu avoir l’intention d’éliminer des armes de destruction massive et de débarrasser le monde de Saddam Hussein, de sa famille et certains de ses proches. Mais jusqu’à présent, souligne ce journal, cette guerre n’a atteint que deux objectifs n’ayant rien à voir les intentions précitées : « Elle a détruit des infrastructures à grande échelle et a terrorisé la population irakienne ». Le "Star" qui note l’appel de Saddam Hussein aux musulmans à lancer la guerre sainte contre les armées d’invasion, souligne que la guerre américaine dégénère actuellement en ce qu’elle était censée éradiquer. « La guerre en Irak est une sale guerre : c’est un moyen pour les États-Unis de tester sa force militaire ; c’est une affaire d’hégémonie américaine. Les Britanniques les suivent dans cette lancée, à demi séduits par la capacité de Tony Blair à leur vendre le principe du chauvinisme. Cette justification discréditée de longue date de la violation des droits et des territoires des autres. Une guerre comme celle-ci, à ce moment de l’Histoire, est totalement indécente », conclut le "Star".


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