Laissez-le-feu

8 août 2006

Voici une voix libanaise, celle de l’éditorialiste du quotidien de Beyrouth “L’Orient Le Jour”... Une voix qui tente, malgré l’état de guerre dans lequel est plongé le Liban, de décrypter les enjeux des différents protagonistes de ce conflit. Gouvernement libanais, Hezbollah, Israélien, pays arabes, États-Unis...

Que le projet de résolution franco-américain actuellement examiné à l’ONU soit loin de répondre aux attentes du Liban n’est pas trop surprenant, hélas. Après la terrible disproportion entre les moyens militaires observée sur le champ de bataille, ce texte ne fait que confirmer - au plan diplomatique cette fois - le caractère totalement asymétrique, on y revient, de cette guerre que se livrent un État surarmé, pathologiquement porté à l’agression, et une guérilla se comportant d’autorité comme si elle était un État.

Pas de cessez-le-feu immédiat, mais une simple et bien précaire cessation des hostilités ; libération inconditionnelle des soldats israéliens capturés le 12 juillet ; pas de retrait des troupes israéliennes jusqu’au-delà de la frontière - et donc pas de retour des déplacés dans leurs foyers - en attendant un accord politique durable impliquant la création d’une zone tampon, le désarmement de la Résistance islamique et l’envoi d’une force internationale : sans confusion possible, les puissances ont désigné de la sorte les fauteurs de guerre, réaffirmant leur détermination à en finir une fois pour toutes avec l’arsenal du Hezbollah. Il y a doublement problème, cependant.

D’abord, en effet, ce projet n’offre à la Résistance aucun espoir de compensation politique ou morale en échange de son adieu aux armes, notamment un mécanisme sérieux visant à placer sous juridiction de l’ONU les fermes de Chebaa ; or, sans de tels acquis qu’il pourrait brandir devant ses partisans comme ses détracteurs locaux, on peut parier que le Hezbollah ne fléchira pas. Mais surtout, ce texte ne facilite guère la tâche de l’État libanais, supposé être le principal concerné et l’objet premier de la sollicitude internationale. L’État lui aussi a désespérément besoin d’acquis et de garanties pour se résoudre à prendre le taureau par les cornes, à rompre avec les anomalies et aberrations du passé, à assumer pleinement et sans partage ses responsabilités sur tout son territoire. Par-dessus tout, l’État a besoin, et le pays tout entier avec lui, d’un arrêt total, immédiat et définitif du processus de destruction méthodique en cours.

Vouloir sauver le Liban, c’est fort bien ; mais face à tant de hargne dévastatrice déversée sur ce pays, encore faut-il qu’il reste au bout du compte quelque chose à sauver. Or Ehud Olmert et ses ministres ne se gênent guère pour faire part de leur entêtement à poursuivre les opérations jusqu’à la réalisation de leurs objectifs ou l’arrivée sur place d’une force internationale. De son côté, le Hezbollah se dit déterminé à combattre jusqu’au départ du dernier soldat israélien. Et faussement navrée, Condoleezza Rice se résigne à l’idée que pendant un certain temps il faut s’attendre à des escarmouches. Merci du peu !

L’exigence d’amendements au projet franco-américain a-t-elle quelque chance d’être entendue ? Le Liban, qui n’a jamais eu son mot à dire dans le déclenchement de cette guerre, aura-t-il quand même voix au chapitre dans la construction de la paix ? A-t-il vraiment les moyens de faire opposition et ne risque-t-il pas, dans ce cas, de réclamer à tue-tête un jour ce qu’il rejette aujourd’hui ? De là où le Sud était libéré (à l’exception du brûlot de Chebaa soigneusement entretenu par Damas), comment a-t-on pu se retrouver avec une réoccupation sur les bras ?

Hallucinant en tout cas est le spectacle des deux protagonistes de ce conflit rivalisant d’ardeur pour revendiquer la victoire des armes alors que le grand perdant est indiscutablement le Liban saccagé, le Liban avec son millier de morts, son million de déplacés, ses infrastructures saccagées, l’avenir de ses fils une fois de plus remis en question.
Hallucinantes, encore, ces assises arabes qui, près d’un mois trop tard, se tiendront aujourd’hui à Beyrouth pour une toute verbale et verbeuse manifestation de solidarité avec notre pays. Hallucinants, de même, ces propos du Ministre syrien des AE n’appuyant que du bout des lèvres - et sous réserve d’un consensus libanais - un plan Siniora unanimement approuvé pourtant par le gouvernement.

Le mot de la fin, c’est cette séduisante alternative - la poursuite de la guerre, ou alors la guerre civile - qui semble épouvanter nos bons, nos secourables voisins syriens. Lesquels, poussant l’abnégation jusqu’à délaisser leur Golan captif, se sont dépensés sans compter - et continuent - pour que dure et perdure la glorieuse épopée du Sud libanais.

Issa Goraieb


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