Le conflit vu du Liban

29 juillet 2006

o Un journaliste de “L’Orient-Le Jour”

"Merci de nous aider à garder intacte cette flamme"

Ces retrouvailles, émouvantes à plus d’un titre, autour du cèdre qu’ensemble nous avions planté, il y a un peu plus de quatre mois, nous voulons y voir plus qu’un acte de solidarité et une manifestation de sympathie. Pour nous, Libanais, pour notre pays, une fois de plus placé malgré lui au cœur de la tourmente, il s’agit d’un acte de foi, d’une réponse combien éloquente à l’appel que nous lançons alors que la désolation et la mort déploient sur nous leurs ailes.
Bien vite nous vous l’assurons : ce n’est pas un cri de détresse que nous poussons, car il n’y a pas, il n’y aura jamais place dans nos cœurs pour le désespoir. Quoi d’étonnant à cela, quand nous comptons des amis comme vous, attentifs à nos peines et constamment soucieux de nous manifester leur sollicitude ? Par le passé, nous avons souvent eu à donner la preuve que la mort ne saurait être la plus forte tant qu’existe la résurrection, que souvent le beau surgit des décombres. D’ailleurs, n’est-ce point Paul Valéry qui disait : "Regardez comment se roule une cigarette. C’est en la défaisant qu’elle se fait". Sauf que ce n’est point nous qui défaisons...
Tout au long des 81 ans passés, notre journal, “L’Orient-Le Jour”, n’a cessé d’être témoin attentif, souvent aussi acteur, de la vie du Liban. À l’image de cette terre qui l’a vu naître, il continuera de l’être, tant que soufflera sur nos rives une certaine idée de cette liberté que nous chérissons tant ; une certaine idée aussi de cette francophonie et de cette amitié pérenne entre nos deux peuples dont, à notre modeste mesure, nous continuerons d’être les fidèles gardiens.
Ce sont des heures douloureuses que nous vivons en ces instants où tout autour de nous vacille, où les doutes les plus terribles nous assaillent. Soyez assurés cependant que nous vaincrons. Oh ! non pas que nous soyons les plus forts militairement ou même économiquement ; notre force, nous la puisons dans notre amour pour la vie et dans le réseau d’amis tels que vous. Et puis, on ne peut tuer un peuple jeune de ses 6.000 ans d’histoire.
Aujourd’hui, simplement, laissez-nous vous dire : merci de nous aider à garder intacte cette flamme.

o Extraits d’un article deZiyad Makhoul paru dans “L’Orient-Le Jour”

Étoiles jaunes

Réfugiée de Yaroun, le chiite, à Rmeich, le maronite, elle dit : "Et pendant qu’on meurt ici, Samir Kantar boit son thé en Israël". Des phrases comme celles-là, des phrases de (sur)vivants, des phrases suppliques, des phrases de rage, des phrases glacées, des phrases martyres, il y en a beaucoup dans l’admirable reportage de Béatrice Khadige, diffusé par l’AFP. D’une force inouïe, le papier a dû être écrit du cœur de ce village maudit, sinistré, collé à la ligne bleue, un village qui condense(ra) et résume(ra) à lui seul ce que l’aventurisme de Nasrallah et la folie d’Olmert ont réussi, ensemble, à réaliser : des cratères lunaires, des champs de ruines, des terres brûlées, mais sur lesquels réussissent tout de même à pousser, mieux que sur le plus fertile, le plus pacifié des terreaux, d’inestimables trèfles à quatre feuilles : la solidarité entre Libanais, la solidarité entre ceux que le gouvernement israélien entend arracher à leur terre, la solidarité des damnés, chiites, maronites, sunnites, druzes, etc. Rmeich, isolé de tout, de tous ; Rmeich, ce camp concentré de malheurs et de mains chiito-maronites serrées à en être blanchies ; ce Rmeich-là, c’est, à l’échelle, le Liban de l’après-12 juillet. Et à Rmeich, aujourd’hui, il y a près de 25.000 personnes, entassées les unes sur les autres, proscrites, galeuses, oubliées, que le Hezbollah, en allant kidnapper les deux soldats israéliens par cette douce nuit de juillet, a livré aux fureurs et aux plans du gouvernement Olmert. À Rmeich, aujourd’hui, les habitants et les réfugiés maudissent Israël et le Hezbollah.
Vouer le gouvernement de l’État hébreu aux gémonies n’a rien de surprenant : la guerre de juillet aura eu au moins le bon sens de convaincre les derniers irréductibles que les équipes dirigeantes d’Israël, toutes jusqu’à nouvel ordre, ne veulent du Liban que s’il agonise, que s’il se déchire, ou que s’il s’écrase sous la tutelle syrienne. Mais en arriver à maudire le Hezbollah, voilà qui est inquiétant, certes, mais aussi, éminemment malheureux.
Passé du statut de contributeur infatigable et flamboyant à la libération du Liban Sud, respecté, loué ou vénéré, le parti de Hassan Nasrallah, après le 12 juillet 2006, est désormais la formation politico-militaire la plus controversée au Liban. Pas (seulement) parce qu’elle a gardé son arsenal, une fois que les Nations-unies ont annoncé l’application par Israël de la résolution 425 du Conseil de sécurité, et alors que toutes les autres factions avaient abandonné les leurs. Pas parce qu’elle étale, depuis, cette arrogance que seules les armes peuvent autoriser. Pas parce qu’elle s’est résolument postée aux côtés de Damas après l’assassinat de Rafic Hariri et la fin de l’occupation syrienne - elle n’a pas été la seule... Pas parce qu’elle a le cœur à Téhéran - d’autres l’ont à Ryad, Paris, Washington, Damas ou Berne... Pas parce qu’elle n’a pas confiance en un État fort - elle pourrait, un jour... Pas, enfin, parce que, en prenant une initiative insensée et inconsciente, à l’aube d’une saison touristique hallucinante, dans un contexte qu’elle savait poudrière, en occultant absolument un gouvernement issu d’une majorité ultraréelle, elle a offert le Liban en pâture aux boulimies meurtrières des généraux-bouchers israéliens...
Si le Hezbollah est aujourd’hui critiqué, de dedans, conspué, si un jour des comptes à l’échelle de la nation lui seront demandés, c’est surtout parce qu’il a donné à Israël ce qu’il a toujours voulu avoir sans jamais réussir à l’obtenir ; c’est parce qu’il lui a permis de se doter de l’arme ultime, que d’aucuns pensent souvent pouvoir bafouer mais qui finit toujours par prévaloir, un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre : le droit international. Hassan Nasrallah s’est piégé dans son explication, en annonçant qu’il avait fait kidnapper les deux soldats pour anticiper une attaque israélienne d’envergure contre sa formation. Eût-il attendu qu’Israël démarre cette attaque pour riposter (même, à la limite, sans prendre l’aval de la seule autorité à même de décider de déclencher la guerre : le gouvernement) qu’il se serait blindé, et le Liban avec lui, dans ce droit international, celui-là même avec lequel Israël tente de compenser ce qui lui fait, selon Ze’ev Maoz, Professeur de sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv, absolument défaut : la morale.
Cette morale qui aurait empêché les dirigeants issus d’un des peuples les plus marqués par l’histoire de faire subir à d’autres ce qui leur a été infligé. Et spontanée ou pas, une déportation reste une déportation. Et ce n’est pas comme cela que l’on repeuplerait l’Irak.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus