Irak

Le monde mobilisé pour faire échec à la guerre

Aujourd’hui, nouvelle journée internationale d’action pour la paix

15 mars 2003

Ce mois-ci, ’Le Monde diplomatique’ consacre une large place aux menaces de guerre américaine en Irak. Dans son éditorial intitulé ’De la guerre perpétuelle’, Ignacio Ramonet, le directeur du journal, estime à trois les raisons qui sont à l’origine de la politique actuelle de la Maison Blanche. Il les énumère ci-après.

Première motivation : la "guerre préventive"

Il y a, en premier lieu, la préoccupation, devenue obsessionnelle depuis le 11 septembre 2001, d’éviter toute jonction entre un "État voyou" et le "terrorisme international". (...)
Cet "État hors la loi", dans l’esprit du président des États-Unis, n’est autre que l’Irak. D’où la théorie de la "guerre préventive", définie le 20 septembre 2002, et que M. James Woolsey, ancien directeur de la CIA, a résumée de la manière suivante : « La nouvelle doctrine née de cette bataille asymétrique contre la terreur est celle de la "dissuasion avancée" ou de la "guerre préventive". Puisque les terroristes ont toujours l’avantage d’attaquer en secret n’importe quand et n’importe où, la seule défense consiste à les cueillir maintenant, où qu’ils se trouvent, avant qu’ils puissent être en mesure de monter leur coup ». Bien entendu, aucune autorisation des Nations unies ne sera demandée.
Deuxième motivation : contrôler le Golfe

La deuxième motivation, non avouée, est le contrôle du golfe Arabo-Persique et de ses ressources en hydrocarbures. Plus des deux tiers des réserves mondiales connues de pétrole se trouvent concentrés sous le sol de quelques États situés en bordure du Golfe : Iran, Irak, Koweït, Arabie saoudite, Qatar et Émirats arabes unis. Pour les pays développés, et surtout pour les États-Unis, grands dilapidateurs d’énergies, cette région joue un rôle capital et détient l’une des clés fondamentales de leur croissance et de leur mode de vie.
Toute intervention contre des pays du Golfe est donc considérée comme une menace pour les "intérêts vitaux" des États-Unis. Dès 1980, dans son discours sur l’état de l’Union, le président James Carter, Prix Nobel de la paix 2002, définissait la doctrine américaine pour cette région.
Contrôlée par les Britanniques depuis la fin de la première guerre mondiale et le démantèlement de l’Empire ottoman, la région du Golfe a vu grandir l’influence américaine depuis 1945. Deux importants pays échappent toutefois à la mainmise de Washington : l’Iran, depuis la révolution islamique de 1979, et l’Irak, depuis l’invasion du Koweït, en 1990. L’Arabie saoudite est elle-même devenue suspecte depuis les attentats du 11 septembre 2001 en raison de ses liens avec l’islamisme militant et de l’aide financière qu’auraient apportée des Saoudiens au réseau Al-Qaida. Washington considère qu’il ne peut se permettre de perdre un troisième pion sur l’échiquier du Golfe, et encore moins de l’importance de l’Arabie saoudite. D’où la tentation d’occuper, sous de faux prétextes, l’Irak, et de reprendre le contrôle de la région.
Au-delà des difficultés militaires, l’administration par des forces d’occupation américaines d’un Irak délivré de M. Saddam Hussein ne sera pas facile. Du temps où il était lucide, M. Colin Powell en mesurait l’inextricable difficulté : « Nous avions beau mépriser Saddam pour ce qu’il avait fait, les États-Unis n’avaient aucune envie de détruire son pays. Au cours des dix dernières années, c’est l’Iran, et non l’Irak, qui avait été notre grand rival dans le Moyen-Orient. Nous voulions que l’Irak continue de faire contrepoids à l’Iran. L’Arabie saoudite ne voulait pas que les chiites prennent le pouvoir dans le Sud de l’Irak. Les Turcs ne voulaient pas non plus qu’au Nord les Kurdes fassent sécession avec le reste de l’Irak. (...) Les États arabes ne voulaient pas que l’Irak soit envahi et démantelé. (...) Un Irak divisé en factions sunnite, chiite et kurde ne contribuerait pas à la stabilité que nous voulions au Moyen-Orient. Le seul moyen d’éviter cela aurait été de conquérir et d’occuper cette lointaine nation de vingt millions d’habitants. Je ne pense pas que c’est ce que les Américains souhaitaient ». C’est pourtant ce que souhaite aujourd’hui le président Bush...
Troisième motivation : imposer au monde la domination des dirigeants américains

La troisième motivation non avouée de cette guerre, c’est d’affirmer l’hégémonie des États-Unis sur le monde. L’équipe d’idéologues qui entoure M. George W. Bush (MM. Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, Perle, etc.) a théorisé depuis longtemps cette montée vers la puissance impériale des États-Unis. Ils étaient déjà là, dans les années 1980, autour du président Bush père. C’était la fin de la guerre froide et, à l’inverse de la plupart des stratèges qui prônaient un allégement de l’instrument militaire, eux encourageaient la réorganisation des forces armées et le recours à outrance aux nouvelles technologies dans le but de restituer à la guerre son caractère d’instrument de politique étrangère.
(...) Cette équipe de faucons, avec l’aide déjà du général Colin Powell, parvint à mettre sur pied, en décembre 1989, sans l’accord du Congrès ni celui des Nations unies, l’invasion du Panama (plus de mille morts) et le renversement du général Noriega.
Ces mêmes hommes ont ensuite conduit la guerre du Golfe, au cours de laquelle les forces armées des États-Unis effectuèrent une démonstration de surpuissance militaire qui stupéfia le monde.
Revenus au pouvoir en janvier 2001, ces idéologues ont considéré les attentats du 11 septembre comme l’"événement catalyseur" attendu depuis longtemps. Rien désormais ne semble les freiner. Au moyen du Patriot Act, ils ont doté les pouvoirs publics d’un instrument liberticide redoutable ; ils ont promis d’« exterminer les terroristes », proposé la théorie de la « guerre globale contre le terrorisme international », conquis l’Afghanistan, renversé le régime des Talibans et projeté des forces de combat en Colombie, Géorgie, Philippines... Ils ont ensuite défini la doctrine de la « guerre préventive » et justifié, à base de propagande et d’intox, cette guerre contre l’Irak.
Ils acceptent que Washington se concentre sur les vrais lieux de pouvoir à l’heure de la globalisation libérale : G7, FMI, OMC, Banque mondiale... Mais ils souhaitent extraire peu à peu les États-Unis du cadre politique multilatéral. C’est pourquoi ils ont poussé le président Bush à dénoncer le protocole de Kyoto sur les effets de serre, le traité ABM sur les missiles balistiques, le traité instituant une Cour pénale internationale, le traité sur les mines antipersonnel, le protocole sur les armes biologiques, l’accord sur les armes de petit calibre, le traité sur l’interdiction totale des armes nucléaires, et même les conventions de Genève sur les prisonniers de guerre pour ce qui concerne les détenus du bagne de Guantanamo. Le prochain pas serait le refus de l’arbitrage du Conseil de sécurité. Ce qui menacerait de mort le système des Nations Unies.
Pièce par pièce, ces idéologues procèdent ainsi à la transformation des États-Unis en État militaire de nouveau type. Et renouent avec l’ambition de tous les empires : redessiner le monde, retracer les frontières, policer les populations.
Les colonialistes d’antan n’agissaient pas autrement. Ils « pensaient - rappelle l’historien Douglas Porch - que la diffusion du commerce, du christianisme, de la science et de l’efficacité de l’administration de l’Occident repousserait les bornes de la civilisation et réduirait les zones de conflit. Grâce à l’impérialisme, la pauvreté se changerait en prospérité, le sauvage retrouverait le salut, la superstition deviendrait lumière, et l’ordre serait instauré là où jadis régnaient seules la confusion et la barbarie ».
Les arguments de George W. Bush balayés par l’O.N.U.

Quels en sont les arguments officiels ? Au nombre de sept, ils ont été énoncés dans le rapport « Une décennie de mensonge et de défi », présenté par le président George W. Bush devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 12 septembre 2002. Ce texte de vingt-deux pages rappelle les trois reproches principaux : Bagdad n’aurait pas respecté seize résolutions des Nations unies ; l’Irak détiendrait ou chercherait à posséder des armes de destruction massive (nucléaires, biologiques, chimiques) et des missiles balistiques ; enfin, il se serait rendu coupable de violations des droits humains (tortures, viols, exécutions sommaires).
Les quatre autres accusations concernent : le terrorisme (Bagdad abriterait des organisations palestiniennes et remettrait 25.000 dollars à la famille de chacun des auteurs d’attentats-suicides contre Israël) ; les prisonniers de guerre (dont un pilote américain) ; les biens confisqués lors de l’invasion du Koweït (des oeuvres d’art et du matériel militaire) ; le détournement du programme "Pétrole contre nourriture". (...)
Ces arguments sont-ils à tel point effrayants que tous les pays devraient considérer l’Irak comme le problème numéro un du monde ? Font-ils de l’Irak la plus terrible menace pesant sur l’humanité ? Justifient-ils en définitive une guerre de grande envergure ? À ces trois questions, les États-Unis et quelques-uns de leurs amis (Royaume-Uni, Australie, Espagne...) répondent par l’affirmative. (...)
En revanche, à ces mêmes questions, d’autres pays occidentaux (la France, l’Allemagne, la Belgique...) et une importante partie de l’opinion mondiale répondent par un triple "non". Ils reconnaissent la gravité des reproches, mais jugent que l’on pourrait exprimer ces mêmes accusations - non-respect des résolutions de l’ONU, violations des droits de la personne et possession d’armes de destruction massive - à l’égard d’autres États du monde, à commencer par le Pakistan et Israël, proches alliés des États-Unis, contre lesquels nul ne songe à déclarer une guerre. Ils observent aussi que, sur bien d’autres dictatures amies des États-Unis - Arabie saoudite, Egypte, Tunisie, Pakistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Guinée équatoriale, etc. - qui piétinent les droits humains, Washington garde le silence.
D’autre part, ils estiment que, soumis depuis douze ans à un embargo dévastateur, à une limitation de sa souveraineté aérienne et à une surveillance permanente, le régime irakien ne semble pas constituer une menace imminente pour ses voisins.
Enfin, à propos de l’interminable recherche d’armes introuvables, beaucoup sont tentés de penser, comme Confucius, qu’« on ne peut pas attraper un chat noir dans une pièce obscure, surtout s’il n’y a pas de chat ». Ils considèrent que les inspecteurs de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations unies, conduite par le diplomate suédois Hans Blix, et ceux de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dirigée par l’expert égyptien Mohamed ElBaradei, font des progrès constants dont attestent les rapports présentés devant le Conseil de sécurité, et que cela devrait permettre d’atteindre le but recherché - le désarmement de l’Irak - sans avoir recours à la guerre.

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