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par le Dr Raymond Vergès

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Les civils de Raqqa en péril

Guerre en Syrie

jeudi 19 novembre 2015


La ville de Raqqa a été la cible de bombardements de représailles à la suite des attentats de Paris revendiqués par Daech. Mais sous les ailes des bombardiers, quelle est la réalité dans cette ville de plus de 200.000 habitants avant la guerre ? IRIN a étudié cette question dans un article publié hier 18 novembre.


Enfants dans le camp d’Atme, dans le Nord de la Syrie près de la Turquie. Plus de 6 millions de Syriens ont dû fuir les combats. (Photo : Jodi Hilton/IRIN)

La ville de Raqqa, dans le nord-est de la Syrie, est l’un des fiefs du soi-disant État islamique (EI). L’agglomération est jugée suffisamment importante d’un point de vue stratégique pour que plusieurs l’appellent la « capitale » du groupe et pour que la France choisisse de la bombarder à plusieurs reprises pour répliquer aux attaques commises à Paris ce weekend.

Lundi, le lendemain des frappes aériennes menées par des avions de guerre français contre la ville, le président François Hollande a promis d’intensifier la campagne militaire contre l’EI et de « détruire » le groupe.

De nombreux civils se trouvent toujours dans la région, même s’il semble qu’aucun civil n’ait été tué dans les frappes menées pendant la nuit de dimanche à lundi. Comment s’en sortent-ils ? Les informations en provenance du territoire contrôlé par l’EI filtrent au compte-goutte, mais voici ce que nous avons pu établir :

Population civile

Avant le début de la guerre syrienne, en 2011, la population de Raqqa était estimée à 220 000 personnes. De nombreux habitants ont fui le pays ou rejoint les 6,5 millions de déplacés internes lorsque l’EI a consolidé son emprise sur la capitale provinciale début 2014.

Les experts ignorent le nombre exact d’habitants que compte aujourd’hui la ville, car une partie de la population locale a été remplacée par des loyalistes d’EI ainsi que des combattants et leur famille.

Ce n’est pas parce que l’EI a pris le contrôle de la ville que tous les habitants actuels soutiennent le groupe, a expliqué Columb Strack, analyste principal du Moyen-Orient pour l’IHS [Institute for Humanist Studies], un groupe de réflexion.

Ceux qui sont restés à Raqqa ont simplement appris à composer avec les règles strictes de l’EI et à faire profil bas. « Ils tirent le meilleur parti possible de la situation », a dit M. Strack à IRIN. « Ils ne veulent pas quitter leur foyer et font avec ce qu’ils ont. »

Ils doivent notamment assister presque quotidiennement à des exécutions, des flagellations et des défilés publics de prisonniers, a-t-il dit. « Mais, pour le reste, on peut dire, dans une certaine mesure, que la vie continue. »

Un groupe d’activistes anonymes présent sur les médias sociaux – « Raqqa is Being Slaughtered Silently » [Raqqa est massacrée en silence] – exprime très franchement son opposition à l’EI et au régime du président Bachar Al-Assad.

Séparation

Raqqa a été ciblée à maintes reprises par la coalition internationale qui combat l’EI et dont la France est soudain devenue un membre particulièrement visible. Les forces armées de la coalition se vantent que la précision de leurs frappes leur permet d’éviter de faire des victimes parmi la population civile, mais la véracité de ces affirmations a été contestée.

Selon Ghadi Sary, un chercheur du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Chatham House ayant obtenu une bourse accordée par la Fondation Asfari et Chatham House, la méfiance qui règne entre l’EI et la population locale pourrait aussi permettre d’expliquer en partie l’absence apparente de victimes civiles à la suite du raid mené dans la nuit de dimanche à lundi.

La France a dit avoir ciblé un poste de commandement de l’EI, un centre de recrutement, un dépôt d’armes et un camp d’entraînement.

« Ces bâtiments étaient des quartiers généraux du gouvernement avant que l’EI n’en prenne le contrôle… les civils ont tendance à éviter la plupart de ces lieux parce que l’EI est là et que [l’EI] ne veut pas que des civils rôdent aux alentours », a dit M. Sary.

La ville de Raqqa est en outre régulièrement la cible d’attaques de représailles pour les actions menées par l’EI à l’échelle internationale, a dit M. Sary. « C’est à se demander s’ils [l’EI] s’y attendaient. »

Il a ajouté que certaines installations de l’EI se trouvent à l’extérieur du centre de la ville, dans la campagne, ce qui contribue à réduire le nombre de victimes civiles.

Il se pourrait cependant que les frappes de la coalition finissent par faire des victimes au sein de la population civile. Selon M. Strack, il est possible que le gouvernement français se sente obligé de réagir fortement aux attaques et que cela entraîne un changement dans la politique de ciblage de la coalition.

« Les frappes menées par le passé étaient fondées sur des renseignements stratégiques extrêmement fiables et n’avaient lieu que lorsqu’il était possible de limiter le nombre de victimes civiles », a-t-il dit. « Les critères d’intervention pourraient être relâchés, ce qui pourrait entraîner une augmentation du nombre de morts dans les zones bâties comme Raqqa. »

Problèmes économiques

Outre les violations des droits de l’homme – un phénomène généralisé dans les territoires contrôlés par l’EI –, les civils de Raqqa sont confrontés à d’autres problèmes qui rendent leur vie quotidienne de plus en plus difficile, selon M. Strack.

« Les revenus de l’EI ont été affectés par les nombreuses frappes aériennes [menées par la coalition] », a-t-il dit. La population doit donc composer avec une accélération de la conscription imposée par l’EI, une augmentation des taxes et une diminution des salaires des combattants.

Par ailleurs, les agences des Nations Unies et les organisations d’aide humanitaire internationales ne parviennent pas à fournir à la population locale l’aide dont elle a besoin.

Une source des Nations Unies a cependant dit à IRIN qu’il n’y avait pas eu de déplacement majeur à la suite des récents bombardements.

M. Strack estime que les civils de Raqqa pourraient indirectement payer le prix des frappes aériennes menées dans la nuit de dimanche à lundi dans les jours à venir. Ils pourraient notamment être considérés comme des informateurs de l’Occident et être exécutés ou être utilisés comme boucliers humains.

Alors que les habitants des capitales occidentales sont de plus en plus nombreux à réclamer une intervention militaire plus musclée, d’autres acteurs exhortent les chefs d’État à éviter les réponses impulsives qui pourraient jouer en faveur des extrémistes.

« L’EI veut être bombardé par la France », a écrit Hania Mourtada, de l’organisation non gouvernementale (ONG) The Syria Campaign, basée au Royaume-Uni, dans un courriel adressé à IRIN. « Chaque victime civile inévitable pousse de nouvelles personnes à rejoindre les rangs des extrémistes. »

« Si nous voulons réellement contrarier [les plans de] l’EI, nous devons redoubler d’efforts pour ramener la paix en Syrie en chassant du pouvoir le principal meurtrier de la population civile syrienne : Bachar Al-Assad. »


Voir en ligne : http://www.irinnews.org/fr/report/1...


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