« Les Irakiennes contre la guerre »

13 mars 2003

Inaam Kachachi est historienne, journaliste et écrivaine irakienne. Elle vient de publier ’Paroles d’Irakiennes’. Le drame irakien écrit par des femmes, aux Éditions Le Serpent à plumes. Elle a signé une tribune libre dans ’l’Humanité’, dont nous reproduisons ci-après de larges extraits.

« J’aimerais (...) rappeler que la première femme ministre arabe était une irakienne : Nahiza Abduleimi, membre du Parti communiste irakien et titulaire d’un doctorat d’État. C’était en 1959. Les Irakiennes ont en effet été parmi les seules, dans le monde arabe, à avoir exercé des activités politiques. En outre, Abduleimi Nahiza ne fut pas nommée ministre de la Condition des femmes. Elle a été nommée ministre des Travaux publics irakiens. Dans les années soixante-soixante-dix, les femmes en Irak vivaient ce que veut dire "égalité d’accès" aux professions. Et l’Irak promettait un avenir social ouvert. Ce pays avait même été primé par l’UNESCO pour ses campagnes contre l’analphabétisme. Je me souviens qu’alors, les vieilles femmes, les grands-mères, partaient pour l’école vers 18 heures. Elles voulaient apprendre à lire et à écrire. J’avais vingt ans. Trente années et deux guerres plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, tout cela semble être un monde perdu.
Actuellement, les femmes ingénieurs, les femmes fonctionnaires ne vont plus travailler. Le prix du transport, qui pourrait les mener sur le lieu de leur travail, est plus élevé que ce qu’elles pourront de toute manière gagner à travailler. De nos jours, la classe moyenne, réduite à la survie, décimée, perdue, refuse d’envoyer ses filles à l’école. Les garçons lui coûtent assez cher comme cela. Les petites, elles, se marieront : elles n’ont pas besoin d’apprendre un métier, et le reste encore moins.
Les femmes ont perdu, peu à peu, tout ce qu’elles avaient acquis. Les guerres leur ont tout enlevé : leurs pères, leurs frères, leurs maris, leurs enfants, leur avenir même. Oui, les femmes sont les premières victimes des guerres. À l’heure actuelle, les femmes irakiennes tremblent. Elles ont peur. Combien ai-je d’amies qui ne peuvent plus se passer de calmants. Personne ne peut imaginer le trafic de calmants dans les rues de Bagdad.
Je ne crois pas que la population irakienne puisse supporter encore une guerre. Je ne crois pas que les femmes aient les nerfs suffisamment solides pour supporter de perdre le reste de leur famille. Pour autant, le régime de Saddam est devenu tout aussi insupportable. Comment faire ? J’ai si peur. Si seulement le changement pouvait venir de l’intérieur du pays. Si seulement les pays arabes et amis, l’ONU incitaient et secondaient la tenue d’élections libres... Les femmes seraient là. Elles l’ont toujours été. Elles n’ont jamais démissionné de leurs devoirs familiaux et politiques. Mais elles sont tellement fatiguées. C’est d’un bras dont elles ont besoin, pas d’un fusil ».


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