Un nouveau pays occupé par Washington

Les Irakiens accepteront-ils la domination américaine ?

14 avril 2003

Une foule en liesse avait accueilli les troupes américaines marchant à travers la ville de Mogadiscio en ruines. Quelques mois plus tard, c’est avec autant de bonheur que des Somaliens paradaient en exhibant dans les rues poussiéreuses de leur capitale les cadavres ensanglantés de soldats américains.
Comme les Britanniques l’ont appris en Irlande du Nord et les Israéliens au Liban, les sourires qui peuvent quelquefois accueillir les armées d’occupation sont souvent remplacées par des grimaces et des bombes.
Tout comme il l’avait fait en Afghanistan, le gouvernement américain s’est félicitée des images montrant la foule de Bagdad saluant avec enthousiasme l’entrée des soldats de George Bush jusqu’au coeur de la capitale. Mais à Bassora, que les forces britanniques ont prises lundi, les habitants n’ont mis que deux jours à exprimer leur mécontentement envers les "libérateurs". Deux jours de pillages et d’anarchie.
La société irakienne a été durement opprimée et a connu trois guerres en vingt ans. Les peuples affamées, dépouillés de tout reçoivent à bras ouverts les armées victorieuses, expliquent Sandra Mitchell, avocate de l’organisation non gouvernementale International Rescue Committee qui a accompli des missions au Kosovo et en Bosnie.
Quand l’armée israélienne est entrée au Liban en 1982, les musulmans chiites ont jeté du riz et souhaité la bienvenue aux troupes étrangères. Quand les soldats britanniques sont intervenus en 1969 en Irlande du Nord, les catholiques leur ont offert du thé et des biscuits. « Mais quand ils ont commencé à établir des points de contrôle, à dresser des barbelés et à limiter les mouvements de la population, leur attitude a changé », rappelle Sandra Mitchell.

Le précédent de l’Afghanistan

Pour se protéger, les envahisseurs pourraient limiter les déplacements des Irakiens plus encore que ne le faisait Saddam Hussein. « La majorité de la population veut seulement continuer à vivre normalement », estime Sandra Mitchell. « Où est la libération quand vous ne pouvez plus bouger ? »
Pendant la première phase d’occupation, les "hôtes" sont jaugés, leurs faits et gestes observés et les limites de leur tolérance testées. « Votre adversaire peut apprendre les règles de votre engagement », analyse Scott Gerwher de l’institut de recherche Rand. Un autre analyste de Rand, Russell Glenn, constate que l’opinion publique se retourne souvent contre les occupants quand les promesses de paix et de prospérité ne se matérialisent pas rapidement. « Nous ne savons pas quelles sont les attentes des Irakiens », dit-il. « Inévitablement, on n’en fera pas assez ».
L’Afghanistan pourrait fournir un modèle de ce qui pourrait se passer en Irak. L’institut CARE a affirmé récemment que l’implication des militaires dans les combats en même temps que dans l’aide humanitaire en Afghanistan « brouillaient les frontières entre employés des ONG et soldats ». Il a pris pour exemple l’assassinat récent dans le sud de l’Afghanistan de Ricardo Munguia, employé du Comité international de la Croix-Rouge. « À Kandahar, Ghazni et d’autres villes en Afghanistan », poursuit l’institut CARE, « même les employés afghans des agences humanitaires internationales sont menacés par des lettres anonymes et invités à quitter leur travail, à ne pas s’associer avec les organisations occidentales ».

Et la Somalie

Comme elle l’a fait en Afghanistan, l’armée américaine supervise l’aide humanitaire et contrôle l’accès à l’Irak des agences humanitaires. Comme d’autres organisations, CARE recommande que les civils prennent en main au plus vite l’effort de reconstruction en Irak.
La Somalie est le contre-exemple type d’une tentative d’importation d’un régime défendu par Washington sous l’égide d’une armée étrangère. La mission américaine, qui s’était d’abord donnée pour but officiellement de mettre fin au banditisme et aux guerres entre factions rivales parce qu’elles contribuaient à la famine, s’est ensuite transformée officiellement en combat pour la démocratie. Mais la formation d’un gouvernement représentatif a échoué et les troupes étrangères ont battu en retraite en laissant derrière elles l’anarchie.
Depuis que les forces de l’OTAN ont débarqué en Bosnie en 1996, le pays a été préservé des affres qu’il avait connus auparavant.

Situation sanitaire très grave en Irak
Alors que les combats se poursuivent en Irak, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) lance un appel à toutes les parties au conflit pour qu’elles protègent les vies des populations civiles. Les femmes enceintes sont particulièrement en danger en raison des difficultés qu’éprouvent les hôpitaux locaux à faire face au nombre important de blessés et de l’épuisement des fournitures médicales favorisé par les pillages.

Le Comité international de la Croix-Rouge a indiqué qu’à la fin de la semaine dernière, un hôpital de Bagdad accueillait 100 blessés par heure et que le complexe hospitalier de la ville ne disposait ni d’eau, ni d’électricité et que seuls six blocs opératoires sur 27 fonctionnaient.

Depuis le début de la guerre, le nombre de naissances prématurées, de fausses-couches et d’accouchements par césarienne a fortement augmenté. Avant même le début de la guerre, les femmes enceintes irakiennes étaient exposées à un niveau de risque inacceptable. Plus d’une décennie de guerre et de sanctions avait fortement endommagé le système de santé irakien. La hausse des niveaux de pauvreté et une mauvaise alimentation ont également contribué à la détérioration de la santé des femmes comme le montre le taux de mortalités maternelles qui a plus que triplé.
Tous les jours, 2.000 femmes donnent naissance à un enfant en Irak, un cinquième des accouchements se produisant à Bagdad. Même en temps normal, quelque 300 irakiennes auraient eu besoin de soins obstétriques d’urgence. Dans les conditions actuelles, les femmes irakiennes qui ne sont pas en mesure de recevoir les soins d’urgence dont elles ont besoin pourraient devenir des victimes indirectes d’un conflit qui a déjà coûté la vie à de nombreux civils.


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