Irak

Où nous mène la politique du fait accompli ?

Concentration de soldats dans le Golfe, offensive médiatique de la Maison-Blanche

11 février 2003

En accélération ces dernières semaines, la gigantesque concentration de troupes et de matériel militaire américains et britanniques dans la région du Golfe persique est facilitée par la collaboration de certains pays alliés. Car même si sur le plan diplomatique la Belgique s’oppose aux préparatifs de guerre (voir encadré), les quais du port d’Anvers voient une animation inhabituelle : l’embarquement de véhicules militaires vers une destination qui est probablement le Golfe. Ces préparatifs soi-disant dissuasifs ne leurrent pas un parlementaire belge, Vincent Decroly, qui y reconnaît la preuve qu’« il va y avoir une guerre en Irak. Et cette intervention unilatérale a commencé depuis longtemps ». (1)

Dans une récente intervention à la Chambre des représentants, le 17 janvier dernier, le député explique en effet de manière convaincante que cette intervention « avait déjà commencé avant le revirement du régime irakien sur la question des inspections onusiennes en désarmement, qui est quand même un fait politique incontestable et important. Elle a continué, cette intervention unilatérale que vous persistez à ne pas voir, depuis ce revirement et elle se poursuit et s’amplifie en dépit du fait que ces fameuses armes de destruction massive dont on disait qu’elles étaient détenues par le dictateur de Bagdad, on n’en a toujours pas trouvé de traces probantes jusqu’ici » (2).

Et ce ne sont certainement pas les trop vite mentionnés « incidents quasi quotidiens [qui] opposent l’Irak aux avions de combat américains et britanniques survolant les zones d’exclusion aérienne imposées par Washington et Londres [ - c’est-à-dire unilatéralement, sans reconnaissance par l’ONU - ] au Nord et au Sud de l’Irak après la guerre du Golfe » qui viendront démentir la thèse assurant que la guerre d’Irak a déjà commencé, à moins qu’elle n’ait peut-être jamais vraiment cessé depuis l’opération "Tempête du désert" en 1998.

Deux tactiques

Intervenant simultanément sur plusieurs fronts, la politique des gouvernements américain et britannique complique, il est vrai, la lecture critique des événements de l’actualité internationale de tous les jours et peut même donner l’impression au citoyen inattentif qu’en ce qui concerne la guerre en Irak, rien n’a encore été définitivement décidé.
D’un côté, George W. Bush et Anthony Blair avancent unilatéralement leurs pions sur l’échiquier de la guerre, en concentrant sans entrave notable un maximum de forces militaires autour du peuple irakien. Des préparatifs qui font penser à une inéluctable invasion. Les agresseurs cherchent également à créer une large coalition internationale.
Et de l’autre côté, sans doute influencé par les discours pacifiques des frêles colombes survivant encore dans son entourage, le président Bush a peut-être mis à contrecœur le pied dans l’engrenage administratif des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce possible faux pas tactique - on le voit bien ces tout derniers temps - embarrasse le gouvernement américain qui a tendance à s’énerver et à élever le ton. Il réduit en tous cas un peu la marge de manœuvre américaine sur la voie multilatérale étant donné que, par les hasards du calendrier, la France, qui dispose déjà d’un droit de veto au Conseil de sécurité, et l’Allemagne, unies plus que jamais dans leur souci de promouvoir l’action décidée par consensus, viennent toutes les deux de présider cette instance internationale.

Qui défendra les Irakiens ?

Le président des États-Unis réussira-t-il à accorder les agendas des deux voies bellicistes diamétralement opposées qu’il a ouvertes de concert, peut-être à son corps défendant ? On peut en douter, car la lecture du texte de la fragile résolution 1441 donne évidemment lieu à de nombreuses interprétations impossibles à rapprocher, vu l’état d’avancement des préparatifs de la phase finale de la guerre sur le terrain. Mais s’en inquiétera-t-il vraiment ? Pressé par le temps - les conditions météorologiques irakiennes représentent également un critère important à prendre en compte, surtout si l’on envisage une attaque au sol -, George W. Bush, qui a sans doute déjà fixé la date du début de l’offensive irakienne, choisira peut-être d’y aller seul, c’est-à-dire avec au moins son indéfectible allié de Londres. Prendrait-il ainsi un risque dépassant les dangers limités d’une guerre dont des spécialistes prévoient une issue victorieuse rapide pour les troupes américano-britanniques ?
Non pas vraiment. Dans ce cas de figure, c’est surtout l’ONU, a fortiori la France et l’Allemagne et par conséquent toute l’Union européenne, déjà déchirée par le suivisme anglais, qui seraient mal positionnés. Comment arrêteraient-ils des belligérants qu’ils ont laissé faire ? Défendraient-ils l’Irak ?

Offensive chez les médias

Armés du plus grand appareil de propagande, de désinformation et de relations publiques au monde, les États-Unis pourraient aussi - autre scénario possible - parvenir à confondre rapidement Saddam Hussein, à le prendre soi-disant en flagrant délit de détention ou de fabrication d’armes de destruction massive, ou à tout le moins à le faire croire à l’opinion publique internationale par un montage de toute pièce dont les États-Unis ont le secret, pour que le Conseil de sécurité donne sur le champ son feu vert à une guerre préventive pourtant déjà commencée sur le terrain, via l’émission d’une seconde résolution.

La société Rendon Group et le cabinet Hill & Knowlton, pour ne citer que les armes les plus affûtées de l’arsenal propagandiste américain - sans omettre le prétendument disparu Bureau d’influence stratégique - sont donc déjà également sur le pied de guerre. Et il n’est sans doute pas inutile de rappeler ici que « le mensonge de l’accumulation de troupes à la frontière de l’Irak a servi de "justification" à l’agression, et celui des bébés sortis des incubateurs de caution morale » (voir encadré), lors de la dernière guerre du Golfe.
Car aujourd’hui, « l’histoire semble vouloir se répéter. Les fameuses armes de destruction massive dont disposerait l’Irak ressemblent de plus en plus aux troupes et aux tanks inexistants de 1991. Et les propagandistes ressortent [aussi] l’histoire des bébés. Le 7 décembre, HBO, la chaîne câblée de AOL Time Warner, aussi propriétaire de CNN, diffusait un documentaire romancé sur la couverture de la guerre du Golfe par CNN, reprenant l’histoire des bébés sans la démentir ».
De plus, les "empêcheurs de tourner en rond" ont intérêt à bien se tenir parce que « les spécialistes américains des actions psychologiques ont désigné les cibles prioritaires : la France et l’Allemagne » (1), qui défendent trop fermement le contenu de la résolution 1441 aux yeux de Washington qui a donc « décidé d’entreprendre une vaste campagne de propagande en Europe, en utilisant tous les moyens de la désinformation à la corruption de journalistes et d’écrivains... Le but est simple : éliminer les dirigeants politiques, les entreprises et les intellectuels qui s’opposent à la guerre en Irak ».

Une question de liberté

Tout ceci démontre que les gouvernements américain et britannique qui ont déjà commencé la guerre contre l’Irak peuvent très bien la poursuivre unilatéralement. Mais ils possèdent de surcroît les moyens d’information leur permettant de convaincre, voire de tromper, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sur le danger que représenterait l’Irak, autorisant de la sorte le déclenchement de la phase finale d’une guerre unilatérale qui se déroule déjà devant nous, c’est-à-dire l’invasion du pays de Saddam Hussein soutenue par la communauté internationale.
Mais attention ! Car, comme le souligne Noam Chomsky, dans la conclusion d’un fort intéressant opuscule, « le problème qui se pose ne met pas simplement en cause la désinformation et la guerre (...). L’enjeu est bien plus important. Il s’agit de savoir si nous voulons vivre dans une société libre... » (2). C’est par conséquent aussi un pan de cette liberté - de notre liberté - que la France, l’Allemagne et l’ONU tiennent encore désespérément entre leurs mains.

Peut-on se fier aux "preuves" américaines ?
Jacques Bouchard, dans un article intitulé "Irak : crimes de guerres et relations publiques" publié à l’adresse rappelle quelles étaient les preuves des stratèges américains pour préparer l’opinion à la guerre du Golfe. Nous publions ci-après un extrait de cet article :
« Devant la menace d’attaque de plus en plus imminente pesant contre l’Irak, le "Christian Science Monitor" (6-9-02) rappelait à ses lecteurs les mensonges de la propagande guerrière utilisés pour faire accepter la Guerre du Golfe de 1991 par l’opinion publique (Opération Tempête du Désert). À la mi-septembre 1990, le Pentagone estimait, grâce à des photos satellites top-secrets, à 250 000 hommes et 1 500 tanks les forces armées irakiennes stationnées le long de la frontière commune avec l’Arabie Saoudite, et sur le point d’envahir celle-ci. Le "St-Petersburg Times" de Floride avait alors réussi à obtenir d’autres photos prises au même moment de la même région par un satellite privé soviétique. Pas l’ombre des troupes irakiennes annoncées en vue, seulement le sable du désert. Le "Times" tenta sans succès à trois reprises de confronter le Secrétaire de la Défense d’alors, et vice-président d’aujourd’hui Dick Cheney, obtenant pour toute réponse : « Fiez-vous à nous ». Cette prétendue accumulation des troupes menaçant l’Arabie Saoudite a servi de "justification" à l’attaque de l’Irak. Les photos satellites sont encore classées top-secret aujourd’hui. Voilà sans doute pourquoi le Pentagone a acquis l’exclusivité des images de la totalité des satellites privés survolant l’Afghanistan avant d’attaquer ce pays ».
(source terredescale)

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus