Suite et fin de la tribune libre de Bruno Guigue sur les dessous de la crise iranienne

Quel est le seul État du Moyen-Orient à avoir été « rayé de la carte » ?

22 mai 2006

Dans “Le Monde” du 13 avril dernier, Bruno Tertrais, un expert de la “Fondation pour la recherche stratégique”, prétend expliquer les principales données de la crise nucléaire iranienne en affirmant que le programme nucléaire de l’Iran représente vraiment une triple menace : pour le Moyen-Orient, pour l’avenir du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et pour l’Europe. Bruno Guigue, spécialiste des questions du Proche-Orient, lui a répondu avant-hier sur les deux premiers points. Voici son opinion sur le troisième.

L’assertion la plus éblouissante de notre expert patenté est celle qui conclut l’analyse : « Ce programme... est une menace potentielle pour l’Europe, qui sera bientôt à portée des missiles iraniens ».
L’Europe compte deux puissances nucléaires majeures, mais peu importe : elle va vivre dans la hantise des missiles de Téhéran. Transpirant d’angoisse, elle devra se tenir prête à riposter à la salve dévastatrice des mollahs iraniens, ces fous de dieu enturbannés résolus à précipiter une apocalypse vengeresse. Expertise stratégique et mythologie orientaliste, décidément, forment un couple à l’étonnante fécondité conceptuelle.
Au prix, bien sûr, d’une spectaculaire inversion de la réalité : en fait de menace, c’est l’Iran qui est aujourd’hui la cible du formidable arsenal balistique de l’hyperpuissance.

Les menaces des faucons de Washington

Confondu d’admiration devant un déploiement de force dont l’apologie est son fonds de commerce, l’expert en stratégie n’a guère le choix : puisant dans son répertoire technicien, il doit relayer l’argumentaire idéologique de ses donneurs d’ordre. Au service d’intérêts qui ont annexé son intelligence, il est voué à en exprimer dans son jargon la quintessence "géopolitiquement correcte".
Depuis trente ans, l’establishment américain n’en finit pas de digérer le traumatisme de la révolution iranienne. Pièce par pièce, il a bâti une démonologie où la République islamique est dépeinte sous les traits d’une dictature maléfique, dont le comportement erratique ferait peser sur la planète les menaces les plus folles.
Ce régime honni qui figure en bonne place sur la liste des « États voyous », les faucons de Washington rêvaient depuis longtemps de le soumettre à la sévère thérapie des missiles de croisière et des bombardiers furtifs : la crise du nucléaire leur en offre l’occasion, et ils sont désormais décidés à passer à l’acte.

Une stratégie de communication

Certes, la rhétorique du président iranien n’a pas peu contribué à conforter cette démonologie. En proposant de « rayer de la carte » l’État d’Israël, Mahmoud Ahmadinejad a apporté de l’eau au moulin des fauteurs de guerre.
On pourrait en dire autant du concours de dessins sur l’Holocauste, sorte de “loi du talion” infligée à l’Occident en réplique aux caricatures du Prophète.
Mais ces rodomontades ne font guère illusion. Destinées à mobiliser les partisans du régime iranien et à souder le monde musulman autour de l’Iran, elles relèvent d’une stratégie de communication qui est le substitut d’une véritable stratégie militaire.

Théâtre d’ombres

En Occident, la phraséologie de Téhéran a soulevé l’indignation. Au point d’oublier la réalité : le seul État du Moyen-Orient à avoir été « rayé de la carte » est l’État de Palestine, que la politique israélienne s’acharne à tuer dans l’œuf depuis cinquante ans.
Et cette politique suscite si peu d’indignation que la seule réponse aux élections palestiniennes consiste, pour l’Occident unanime, à couper les vivres à une population où un enfant sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté.
Théâtre d’ombres idéologiques, la crise du nucléaire iranien a au moins le mérite de renvoyer chacun des protagonistes de la scène internationale à ses propres mensonges.

Bruno Guigue


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