Irak

Tempête de sable sur les rêves de l’armée américaine

Les envahisseurs confrontés à la résistance du peuple irakien

27 mars 2003

La tête de pont des forces US se trouve à une centaine de kilomètres de Bagdad. Mais quelle est la surface du territoire irakien que contrôlent réellement les troupes anglo-américaines ?

Mardi, lors d’une réunion au Pentagone, les généraux multi-étoiles de l’armée US n’avaient qu’un seul mot à la bouche, reflet de toutes leurs inquiétudes : "guérilla". Les stratèges US n’avaient pas imaginé que face à leur armada, le peuple d’Irak, celui-là même qu’ils veulent "libérer" de la dictature de Saddam, ne les aurait pas accueillis en sauveurs providentiels, mais bel et bien en envahisseurs.
Les stratèges de Washington avaient d’autres certitudes. Ils étaient convaincus du bien-fondé de leur guerre et, surtout ils pensaient pouvoir compter sur le ralliement des populations chiites du Sud de l’Irak.

Les bourreaux sont sans mémoire

C’était faire preuve d’optimisme, mais surtout d’une absence de mémoire. En effet, comment imaginer que les populations chiites, qui haïssent Saddam Hussein, auraient pu oublier qu’en 1991, lors de la première guerre du Golfe, quand elles se soulevèrent contre le régime de Bagdad, elles furent soudainement abandonnées par la coalition occidentale gouvernée par Washington ?
Comment imaginer qu’elles auraient pu oublier que, par ordre de George Bush père, l’avancée sur Bagdad fut stoppée. Ce revirement a permis au régime de Saddam Hussein, autrefois subventionné par les Américains, d’anéantir toute résistance interne, qu’elle soit chiite ou kurde. Du Nord au Sud de l’Irak, les populations qui avaient pris les armes contre Saddam Hussein ont payé à l’époque de "Desert Storm" un tribut énorme. Il n’existe pas une famille, qu’elle soit kurde ou chiite, qui n’a pas pleuré des morts. À cause d’un soudain revirement des plans concoctés à Washington, ils se sont fait massacrer sous les yeux indifférents des armées et des sources médiatiques occidentales.

Les victimes n’oublient pas

Tous ces morts que Washington a déjà oubliés, sont encore vivants dans la mémoire des victimes. Au Sud de l’Irak, les populations chiites savent que le "père blanc" qui vit en Amérique a eu besoin d’eux et a encore besoin d’eux d’une façon purement instrumentale. Mais, ce qu’elles ne peuvent plus ignorer en 2003, c’est l’objectif ultime de Bush fils et de son administration. S’agit-il de libérer le pays d’une dictature, ou bien d’occuper l’Irak afin d’en contrôler l’or noir et d’imposer, ensuite, un protectorat sur toute la région ? En prenant les armes, en résistant à l’avancée des troupes anglo-américaines, les populations chiites du Sud de l’Irak ont montré qu’elles ne sont pas dupes. Et, ce qui inquiète les stratèges de l’équipe Bush, c’est qu’en Irak, les Chiites représentent 67% de la population.

Les envahisseurs tenus en échec

La question est donc incontournable : quelle part du territoire irakien est véritablement sous contrôle des forces américaines et de leurs alliés britanniques ? Au Pentagone, le fleuron de l’armée US semble désemparé. « Nous étions sûrs que les Chiites se seraient libérés eux-mêmes de la Garde républicaine de Saddam », répètent à l’unisson les généraux US. Ce à quoi un opposant irakien chiite exilé en France répondait : « Vous vous rendez compte ? C’est eux qui se sentent trahis... C’est vraiment le monde à l’envers ! ».
« Face à la résistance de notre peuple, les Américains évitent de rentrer dans nos villes. Ils remontent vers le Nord, ils contournent nos positions, ils se vantent de foncer sans obstacle. S’ils continuent comme ça, bientôt ils retourneront en Europe », ironise le ministre de la Défense irakien.

Les généraux US pas d’accord entre eux

De son côté le général Tommy Franks, le patron des forces anglo-américaines sur le terrain ne cesse d’affirmer que les opérations se poursuivent selon les prévisions. Dommage que son collègue, le général Barry MacCaffrey, un ancien de la première guerre du Golfe, estime que la conquête de l’Irak pourrait coûter la vie à 3.000 militaires américains et britanniques. Du côté irakien on dénombre d’ores et déjà plusieurs centaines de victimes parmi la population civile.
La grosse tempête de sable qui affecte la région, si elle obscurcit le ciel de l’Irak, ajoute surtout aux grains de sable qui grippent la puissante machine de dévastation américaine.

Les Irakiens : un peuple de résistants
Oum Qasr, Nassiriya, Bassora. Ces villes du sud de l’Irak sont devenues célèbres pour leur résistance à l’agression US. Donald Rumsfeld, ministre US de la Défense, avait compté sur une victoire éclair en quelques jours. Après une journée, les premières images diffusées de la prise prétendue du port frontalier d’Oum Qasr donnaient le ton : le drapeau irakien était descendu et remplacé par le drapeau américain, indiquant les buts coloniaux de la conquête US.
Mais cinq jours plus tard, les troupes américaines piétinaient déjà : des dizaines de morts, plusieurs avions et hélicoptères abattus, des prisonniers démoralisés.
Les États-Unis avaient pourtant prétendu que le sud de l’Irak, peuplé de musulmans chiites hostiles à Saddam Hussein, tomberait comme la pomme mûre de l’arbre. Aujourd’hui, la coalition américano-britannique évite même les villes du Sud qu’elle ne peut prendre. Et dans le désert, ses soldats subissent des embuscades.

Après des jours d’intense combat, Oum Qasr n’est toujours pas tombée. En cause, affirment les militaires US, les 120 membres de la Garde républicaine de Saddam Hussein qui encouragent le peuple à tenir le coup face aux 5.000 militaires qui encerclent la ville. Que se passera-t-il quand l’armée US affrontera les 30.000 membres de la Garde républicaine à Bagdad ?

Les États-Unis criaient aussi haut et fort que les Irakiens se rendraient en masse dès les premières attaques, que le peuple se soulèverait contre la dictature de Saddam Hussein. Mais lorsqu’on voit un paysan en armes exhiber comme un trophée l’hélicoptère Apache US abattu près de la ville de Kerbala, on comprend que cette guerre est une guerre populaire pour sauvegarder l’indépendance de l’Irak et des peuples arabes.

L’éditorialiste du journal vietnamien "Cong An Nhan Dan" rappelle qu’« en oubliant les leçons de la guerre du Vietnam, l’administration Bush entraîne le peuple américain dans une guerre aux conséquences imprévisibles. Cette guerre du Vietnam au cours de laquelle les États-Unis ont sous-estimé l’esprit de résistance du peuple vietnamien en surestimant le pouvoir des armes et des bombes ».

Campagne de propagande sans précédent menée par les envahisseurs
Si la guerre psychologique n’est pas nouvelle - elle constitue même une procédure militaire standard depuis la Première guerre mondiale -, elle n’a jamais été aussi intense que pour le conflit actuel : depuis novembre 2002, les armées d’invasion ont largué 20 millions de tracts au-dessus de sites civils et militaires irakiens. En comparaison, 29 millions de feuillets avaient été largués lors de la guerre du Golfe, en 1991.

Les tracts de propagande jouent sur les émotions et les peurs des soldats de manière à diminuer leur volonté guerrière, explique le "Washington Post". Objectif numéro un : appeler les Irakiens à ne pas prendre les armes contre les envahisseurs. « Si vous prenez une position offensive, vous serez détruits. Si vous vous rendez, vous serez épargnés », indique un de ces tracts. Il s’agit de terrifier les résistants potentiels, en annonçant le largage de 3.000 bombes lors des premiers jours du conflit, par exemple.

Selon Phil Taylor, spécialiste de la guerre psychologique à l’université britannique de Leeds, interrogé par "New Scientist", la campagne de propagande actuelle est plus forte que celle de 1991 à deux niveaux : d’une part, certains messages sont émis directement par le président Bush et le secrétaire d’État à la Défense Donald Rumsfeld ; d’autre part, les messages indiquent cette fois-ci aux Irakiens qu’ils pourraient jouer un rôle dans l’Irak de l’après-Saddam Hussein.

Cette guerre psychologique est-elle pour autant efficace ? Son impact est plus fort sur les conscrits que sur les militaires professionnels ou bien entraînés. C’est le cas actuellement : aucun membre de la Garde républicaine irakienne ne semble s’être rendu aux troupes de la coalition. Par ailleurs, la psychologue Adrianne Aron, de l’université de Berkeley, affirme au "Washington Post" que la propagande est d’autant plus efficace que la "cible" ne peut pas lui opposer une autre source d’information. Enfin, les différences culturelles ne sont pas à négliger : pour que les tracts soient bien "reçus", encore faut-il que les Irakiens soient enclins à faire confiance aux Américains. Ce qui a priori est loin d’être le cas.

Selon les Américains, 3.000 Irakiens, militaires et civils, se sont ainsi rendus. Mais les soulèvements massifs de la population, notamment dans le Sud-Est irakien majoritairement chiite et opposé au régime, n’ont pas eu lieu à ce jour. Et la propagande fonctionne aussi dans l’autre sens. Les autorités irakiennes ont semble-t-il compris comment jouer sur les vulnérabilités américaines, exploitant au mieux le thème de "nouveau Vietnam".


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