Irak

Une guerre illégitime

Séance du Conseil de sécurité à la veille de l’expiration de l’ultimatum de George Bush

20 mars 2003

Des dizaines de milliers de soldats américains et britanniques sont prêts à se ruer sur les puits de pétrole irakiens, mais les partisans de la paix persévèrent à l’ONU où s’est tenu hier, au niveau des ministres des Affaires étrangères, une réunion publique du Conseil de sécurité. Colin Powell et Jack Straw n’ont pas daigné venir participer au débat.
Cette séance publique était la quatrième réunion du Conseil de sécurité au niveau ministériel sur l’Irak depuis le retour des inspecteurs du désarmement en Irak. C’était aussi la première depuis leur retrait mardi pour cause de guerre imminente alors que son ordre du jour officiel est justement l’examen de leur programme de travail.
Le camp de la paix et du droit a à nouveau affirmé hier au Conseil de sécurité de l’ONU qu’il n’existait aucun élément prouvant que Saddam Hussein représentait une réelle menace pour la communauté internationale. De l’avis d’Igor Ivanov, chef de la diplomatie russe, « si nous avions aujourd’hui des preuves irréfutables que l’Irak représente une menace pour les États-Unis », Moscou mettrait en oeuvre « tous les moyens possibles » pour y remédier. Mais aucune preuve n’a été fournie, a ajouté Igor Ivanov, et le Conseil de sécurité a été écarté. Ses remarques ont fait écho aux observations des ministres français et allemand des Affaires étrangères, eux aussi présents hier au siège des Nations Unies.
« L’Allemagne rejette catégoriquement cette guerre imminente », a ainsi déclaré le ministre allemand Joschka Fischer. Les preuves du désarmement de l’Irak ont mis du temps à venir, « mais peut-on considérer cela comme un motif de guerre ? », a-t-il ajouté. Dominique de Villepin a également déploré la guerre annoncée, tout en affirmant que le Conseil de sécurité devait maintenant se tourner vers l’aspect humanitaire de la crise.

En prélude à cette réunion, Hans Blix s’est dit déçu par l’interruption du processus des inspections. « Je ne pense pas qu’il soit raisonnable de fermer la porte aux inspections au bout de trois mois et demi », a-t-il dit, en doutant que la résolution 1441, adoptée le 8 novembre, ait prévu une période d’inspections aussi brève. Il a expliqué que, lors de l’adoption de cette résolution, il pensait que les membres du Conseil de sécurité voulaient réellement donner une chance au processus d’inspections. « Mais certains ont perdu patience plus tôt que les autres, et je le regrette », a déploré le chefs des experts en désarmement de l’ONU.
Hans Blix a souligné par ailleurs qu’un « degré certain » de scepticisme entourait dans le monde entier l’initiative d’une intervention armée contre Bagdad. Le nouveau rapport des inspecteurs est une version abrégée d’un document plus détaillé distribué la semaine dernière au Conseil de sécurité et portant sur 12 tâches que doit accomplir l’Irak pour être en règle avec l’ONU.
Le chef des inspecteurs de l’ONU, les Irakiens ont fait preuve d’une coopération accrue avec les inspecteurs mais les documents qu’ils leur ont remis ne représentent toutefois pas une « avancée ». Si l’influence de cette séance du Conseil de sécurité sur le déroulement des événements semble devoir être des plus réduites, sa tenue devrait en revanche illustrer l’isolement au sein du Conseil de sécurité de ceux qui veulent la guerre. Les diplomates américains et britanniques à l’ONU avaient essayé lundi d’empêcher qu’elle se tienne.

La France, la Russie et l’Allemagne, à la tête du camp des pays, majoritaires au Conseil de sécurité, qui ne voient aucune raison de recourir maintenant à la force, seront représentés par leur ministre des Affaires étrangères. Le camp des partisans de la guerre devrait être plus clairsemé : Colin Powell, le secrétaire d’État américain, a déclaré mardi qu’il ne serait pas présent, pas plus, selon des diplomates à l’ONU, que Jack Straw, le ministre britannique des Affaires étrangères. Aucune indication n’a encore été donnée sur une éventuelle présence des ministres de l’Espagne et de la Bulgarie, les seuls deux autres pays présents au Conseil de sécurité à s’être prononcés en faveur de la guerre.
Le ministre des Affaires étrangères de la Guinée qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de sécurité, a annoncé qu’il présidera lui-même la session. Plusieurs de ses homologues africains, notamment les deux autres membres actuels du Conseil de sécurité (Angola et Cameroun) devraient également assister à la séance sur l’Irak. Les trois pays africains membres non-permanents du Conseil de sécurité, comme les deux sud-américains (Chili et Mexique) sont opposés à la guerre, ainsi que la Chine qui l’a officiellement réaffirmé ces derniers jours.

Qui a mis sur écoute la France et l’Allemagne ?
Un système d’écoutes avait été installé sur les lignes téléphoniques, notamment française et allemande, dans le bâtiment du Conseil des ministres européens. Le quotidien français "Le Figaro", dans son édition d’hier, affirme que, sur les installations clandestines découvertes dans l’immeuble Justius Lipsus, « deux étaient activées, sur des lignes attribuées aux Français et aux Allemands ». Si "Le Figaro" affirme également que les services de sécurité belges ont découvert que les poseurs de micros étaient Américains, le chef du service de presse a déclaré qu’à ce stade, il ignorait « qui était au bout de la ligne ». Une enquête a été diligentée par l’institution européenne, ainsi que par les services de renseignements des pays écoutés.

Les écoutes avaient été apparemment mises en place à partir du central téléphonique du Conseil pour surveiller les lignes connectées dans les salles dont disposent chaque pays membre de l’UE à l’intérieur du bâtiment. C’est notamment là que se réunissent les dirigeants nationaux et leurs collaborateurs en marge des réunions des Quinze.
L’affaire est révélée juste avant une rencontre au sommet des chefs d’État et de gouvernements de l’UE, qui doivent se retrouver aujourd’hui et demain à Bruxelles dans une atmosphère marquée par leurs vives divisions sur la crise irakiennne. La France et l’Allemagne sont les chefs de file du camp de la paix qui continue de s’opposer à la stratégie des Américains, eux-mêmes fermement soutenus par les Britanniques et les Espagnols. Le 2 mars dernier, l’"Observer", un hebdomadaire dominical britannique, rapportait que les Etats-Unis se livraient à une campagne d’écoutes téléphoniques auprès des délégations du Conseil de Sécurité de l’ONU, dans le cadre de leurs efforts pour rallier les indécis avant le vote sur une deuxième résolution concernant l’Irak. Selon l’"Observer", cette opération, menée par l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA), consistait notamment à placer sur écoutes téléphoniques les délégués onusiens, chez eux et à leur bureau à New York, et à intercepter leurs courriers électroniques.

L’armée américaine se rapproche de la frontière irakienne
Avançant en longues colonnes dans une tempête de sable aveuglante, des soldats, véhicules blindés et camions américains se sont rapprochées hier matin de la frontière entre le Koweït et l’Irak, prenant position dans l’attente de l’ordre d’envahir le pays. À quelques heures de l’expiration de l’ultimatum lancé par le président George W. Bush à Saddam Hussein et ses deux fils, le général Buford Blount, commandant de la 3ème Division d’infanterie, a donné l’ordre à ses quelque 20.000 hommes, ainsi qu’aux 10.000 chars, véhicules blindés et camions de ravitaillement de s’aligner à proximité de la frontière. Hier, quelque 300.000 soldats, parmi lesquels 40.000 Britanniques, appuyés par des dizaines d’hélicoptères de combat et plus de 1.000 avions, attendaient à distance de frappe de l’Irak. En mer, les porte-avions "Théodore Roosevelt" et "Harry Truman" étaient également sur le pied de guerre. Des soldats, ainsi que des réserves de nourriture et du matériel, continuaient hier à être acheminés au Koweït, où sont stationnées la plupart des troupes américaines et britanniques se préparant à envahir l’Irak.
Des Irakiens portent plainte contre l’ancien président américain George Bush
Sept Irakiens victimes de bombardements lors de la guerre du Golfe en 1991 ont porté plainte mardi en Belgique contre l’ancien président américain George Bush, père de l’actuel chef de la Maison Blanche, et contre le secrétaire d’État Colin Powell. La plainte vise également l’actuel vice-président américain Dick Cheney et le général Norman Schwartzkopf, commandant à la retraite des forces américaines en Irak.Le dépôt de cette plainte coïncide avec l’actuelle crise irakienne et vise à mettre en lumière la menace qui pèse sur des vies innocentes en cas de nouveau conflit en Irak, a déclaré Jean-Marie Dermagne, un avocat des sept Irakiens. Elle porte sur le bombardement du 13 février 1991 de l’abri al-Amiriya, qui a coûté la vie à au moins 403 personnes, dont 52 enfants et 261 femmes.
À Washington, Colin Powell s’est dit préoccupé au sujet de cette plainte et de son impact sur ses déplacements en Belgique, où se trouvent les sièges de l’OTAN et de l’Union européenne. Conformément à une législation datant de 1993, les tribunaux belges peuvent être saisis de toute plainte pour crimes de guerre, quels que que soient les auteurs et le lieu où les faits ont été commis. La loi a été renforcée en 1999 lorsque les tribunaux belges ont également été autorisés à se pencher sur des affaires de génocide et de crimes contre l’humanité.
Cette législation a ouvert la voie à l’ouverture de plusieurs dossiers dont certains visent le Premier ministre israélien Ariel Sharon. La justice belge va désormais décider de la recevabilité ou non de la plainte.
Une attaque même si Saddam Hussein cède
Le porte-parole de la Maison Blanche a précisé mardi que les forces américaines entreront en Irak pour désarmer le pays, même si Saddam Hussein s’exile conformément à l’ultimatum lancé par le président américain George W. Bush.

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