Chagos

Le P.R.M.A. tente de récolter l’essentiel du patrimoine musical chagossien

Pour que la musique d’un peuple ne disparaisse pas dans l’oubli

9 août 2003

Le Pôle régional des musiques actuelles (PRMA) travaille à Maurice sur la collecte du patrimoine musical du peuple chagossien en péril, du fait de la disparition des derniers natifs de l’archipel arrachés à leur terre natale dans les années soixante suite à l’occupation de l’île de Diego Garcia par l’armée américaine.

Le PRMA a tiré la sonnette d’alarme et s’est engagé dans la collecte de la tradition musicale des Chagos en voie de disparition. Charlésia Alexis, avec sa voix particulière qui peut être d’ores et déjà classée comme patrimoine moral et immatériel de l’humanité, illustre à biens des égards cette tragédie culturelle.
Pendant des années, Charlésia Alexis a été une des figures de proue du combat mené par les Chagossiens à Maurice pour la reconnaissance de leurs droits et du tort qui a été causé par les dirigeants britanniques et américains.
Charlésia Alexis est née à Diego Garcia, principale île de l’archipel des Chagos, en septembre 1934. Elle y partage, jusqu’en 1967, avec cette population une vie simple brusquement interrompue lorsque les Britanniques occupent l’archipel en 1968.
Par la suite, les Britanniques loueront Diego Garcia aux Américains qui y ont établi une de leurs plus importantes bases militaires dans le monde. Certaines des forces militaires américaines sont parties de cette base pour le Moyen-Orient. Le reste du monde qui connaît l’existence de cette base quasi-secrète n’en sait pas autant sur le peuple chagossien arraché à sa terre et installé de force à Maurice et aux Seychelles. Même si les organisations chagossiennes dans ces pays entretiennent leur identité, la disparition des natifs de l’archipel est inéluctable et pourrait anéantir à jamais leur culture.

Le souvenir des "bals zaricots"

Aujourd’hui, Charlésia Alexis est une des dernières héritières de la tradition musicale des Chagos. Son séga se caractérise par des rythmes hérités du continent africain, mais revisités en fonction des particularités de la vie dans ces îles. Aux Chagos, l’instrument de musique principal, le ravanne, est fait de peaux de raies, serties de cinq sous qui l’apparentaient à un grand tambourin. Le ravanne servait à animer notamment les "bals zaricots" organisés chaque samedi soir jusqu’au matin, au son du séga dont les paroles étaient composées et reprises par les uns et les autres à partir de petits faits et événements d’une vie quotidienne marquée par le travail dans les cocoteraies et l’arrivée des bateaux de ravitaillement.
À l’âge de 69 ans, Charlésia Alexis s’apprête à quitter Maurice pour Londres et emmener malheureusement avec elle une partie de la tradition musicale menacée du peuple chagossien. Le PRMA qui a décidé d’agir vite a déployé à Maurice ses techniciens, ethnomusicologues et du matériel afin de récolter l’essentiel du patrimoine musical chagossien et plus particulièrement les œuvres de la chanteuse chagossienne.

« Pour ce genre d’artistes qui ont toujours eu une pratique traditionnelle spontanée sans rentrer dans des circuits professionnels, il est évident que l’enregistrement ne pouvait se faire dans un studio où le cadre et les contraintes techniques auraient pu altérer cette spontanéité », a expliqué à la PANA Alain Courbis, le directeur du PRMA. « Nous avons donc aménagé un véritable "studio de campagne" dans la case même de Charlésia afin qu’elle reste dans son environnement personnel et se sente le plus à l’aise possible. Nous lui avons, bien sûr, laissé le libre choix de ses accompagnateurs, percussionnistes avec qui elle a l’habitude de jouer dans le respect de sa tradition », a-t-il ajouté.

Sauvegarder un patrimoine

Ce travail est coordonné sur place par une journaliste mauricienne, Shenaz Patel, et l’ethnomusicologue de l’association réunionnaise, Fanie Précourt. La technique est assurée par Philippe de Magnée, un ingénieur du son belge qui a vécu à Maurice à la fin des années 70 et début 80 et a réalisé, à l’époque, beaucoup d’enregistrements "live" de musiques traditionnelles avec le même souci d’authenticité.
Pour Alain Courbis, il était essentiel de réagir rapidement à la sauvegarde de ce patrimoine en danger. « Nous sommes véritablement ici en présence d’un patrimoine en voie de disparition. Au-delà de la "mondialisation" qui met en péril des traditions un peu partout, il est évident que ce phénomène a été activé par le déplacement des Chagossiens que l’on a coupés de leur environnement et de leur mode de vie », a-t-il dit.
La suite logique de ce travail de collecte sera l’édition, avant la fin de 2003, d’un CD sous le label "Takamba". Après un CD en deux volumes sur les musiques traditionnelles de Rodrigues sortis en 2001, le PRMA veut poursuivre avec la production chagossienne sa mission de sauvegarde des musiques de l’océan Indien.


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