Les Ilois se préparent à retourner devant la Cour de Londres

8 janvier 2007

Dans la lutte qu’ils ont engagée pour faire reconnaître leur droit au retour, les habitants des Chagos ont remporté sur le terrain juridique une « victoire historique », en mai 2006, la justice britannique déclarant « illégale » l’expulsion des Ilois par le gouvernement britannique. Ce dernier a fait appel et le jugement d’appel est prévu pour février 2007. Un article du “Washington Post” explique qu’une confirmation par la Haute Cour de Londres « pourrait ouvrir définitivement la voie au retour des Chagossiens ».

Les récents changements au Congrès américain, gagné par une majorité démocrate, laissent présager d’importantes révisions - selon le “Washington Post” - dans le traitement de l’affaire des Chagos, qui remonte à plus de 40 ans.
L’article intitulé « l’île de l’injustice : les États-Unis ont une dette morale envers le peuple de Diego Garcia », rappelle en effet que le 30 décembre 1966, un traité secret entre le gouvernement anglais et américain a scellé le sort de la population de l’archipel des Chagos. « Il y a quarante ans, le 30 décembre 1966, à l’ambassade US de Londres, des représentants des gouvernements anglais et américain se rencontrèrent “à la faveur de la nuit” - comme le dit plus tard un des participants - pour officialiser un “échange de notes” donnant aux USA le droit de créer ce qui allait devenir une base militaire majeure à Diego Garcia, possession anglaise au milieu de l’océan Indien. Par cet acte, ils prenaient des dispositions pour “ces mesures administratives” nécessaires à la déportation forcée de toute la population native de l’île et des îles environnantes de l’archipel des Chagos ».

L’article pose clairement la double responsabilité des puissances occidentales dans la déportation des Chagossiens. Son auteur rappelle que « les entretiens secrets entre officiels US et gouvernement britannique commencèrent en 1960 et finalement aboutirent à un accord avec les Anglais qui accordait un “contrôle exclusif” de l’île “sans ses habitants”. La finalisation de l’accord eu lieu lors de “l’échange de notes” du 30 décembre 66, créant de fait un traité soustrait au contrôle des parlementaires et des congressistes. Un accord secret séparé apporta 14 millions de dollars en versements occultes pour déporter les Chagossiens et transformer Diego Garcia en colonie militaire ».

L’auteur de l’article paru le 2 janvier dans le “Washington Post” (p. A17), David Vine, est un universitaire en anthropologie qui fut sollicité comme expert-témoin dans les poursuites intentées aux gouvernements anglais et américain. A ce titre, il effectua quatre séjours auprès de la communauté des Chagossiens de Maurice et des Seychelles, entre 2001 et 2004. Ses conclusions notent, entre autres choses que cette communauté « forte aujourd’hui de 5000 membres (...) a été sévèrement et durablement appauvrie par l’expulsion ». Il observe que les requêtes des Chagossiens portent sur « le droit au retour, une compensation financière décente et le droit de travailler sur la base ».
Cette revendication des Chagossiens est en bonne voie, estime l’anthropologue, qui fait par ailleurs un rappel de l’histoire de ce transfert forcé et des années de luttes qui l’ont suivi.

L’an dernier, entre le 30 mars et le 10 avril, un groupe de Chagossiens a pu faire un voyage retour aux îles Perhos Banos, Salomon et Diego Garcia, à la suite d’un accord entre les gouvernements mauricien et britannique.
Ce voyage a été suivi d’une décision “historique” de la Haute Cour de Londres qui, le 11 mai 2006, a annulé le décret-loi pris le 10 juin 2004 par le gouvernement britannique pour tenter de faire obstacle au droit au retour des Chagossiens. Ce droit au retour avait en effet été reconnu par la Cour de Londres le 3 novembre 2000, lorsqu’elle avait pour la première fois déclaré « irrégulier et illégal » le décret-loi d’avril 1971 organisant l’expulsion des Chagossiens.
Le gouvernement britannique a donc fait appel du jugement du 11 mai 2006. La plupart des observateurs, et notamment les juristes, notent à ce sujet qu’il s’agit surtout d’une manœuvre dilatoire et qu’il ne faut pas attendre des juges britanniques une décision différente de celle qu’ils ont déjà rendue par deux fois.

L’anthropologue américain ajoute qu’« une nouvelle victoire pourrait ouvrir définitivement la voie au retour des Chagossiens », dans la mesure où une condamnation définitive du “traité secret” anglo-américain permettrait au Congrès américain de mettre en difficulté l’administration Bush, en l’obligeant à reconnaître ce que les précédents pouvoirs ont jusqu’ici nié.
L’article du Washington Post rappelle en effet, « par contraste », que la justice états-unienne a jusqu’ici refusé de mettre l’Exécutif en difficulté.
« Une cour de district fédéral et une cour d’appel ont écarté les poursuites dont a été saisie la justice américaine », rappelle David Vine, tandis qu’un juge a qualifié d’« indécent égarement des plaignants » les poursuites engagées par les Chagossiens.
Lorsqu’en 1975 l’affaire de la déportation des Ilois fut dénoncée dans la presse américaine (c’était déjà dans le Washington Post, assure David Vine), il y eut « des questions des députés au gouvernement, qui [nia] toute responsabilité envers les Ilois ». « Durant les auditions de 1975, Lee Hamilton, alors membre du Congrès (chambre des députés US - Ndlr) et aujourd’hui co-président du Groupe d’études sur l’Iraq, a interrogé un représentant du Département d’Etat sur la responsabilité légale ou morale du gouvernement envers le peuple des Chagos. Le représentant a répondu : “Nous n’avons pas de responsabilité légale. La responsabilité morale est un terme, Monsieur, que je trouve difficile à évaluer” ».
Et l’auteur de l’article de conclure : « Quarante ans plus tard, il ne devrait y avoir aucune difficulté à évaluer la responsabilité des États-Unis : le gouvernement est celui qui a développé le concept d’une base militaire à Diego Garcia, qui a demandé le déménagement des habitants, a payé les Anglais pour leur déportation et l’a fait accélérer ». Enfin, l’anthropologue américain estime « le moment venu pour mettre en lumière l’histoire des Chagossiens et de Diego Garcia ; et pour le Congrès et l’administration Bush d’accepter enfin [...] la responsabilité des Etats-Unis dans la situation critique actuelle de ce peuple ».

P. David (trad° et synthèse)


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