Tribune libre

Du juridisme mort à la Justice vive

4 décembre 2007

Il est vital que je mette en scène, en relief, trois affaires qui, au milieu d’une foule d’autres, sont révélatrices d’un fléau commun : le torpillage structurel, l’étouffement institutionnel, la strangulation organisationnelle de la Justice par le juridisme.
Toutes trois ont un autre point de ressemblance, la première totalement, la deuxième très largement, la troisième en épisode important : elles se déroulent dans le cadre d’un département d’outre-mer, l’île de La Réunion. Les personnages en sont une femme et deux hommes prêtres de Jésus-Christ.
Je suis scandalisé de n’avoir jamais entendu prêcher et même raconter, surtout d’une chaire d’église, le fait que, pour illustrer la nécessité humaine de prier et de ne se pas se décourager, Jésus prenne comme exemple l’interpellation d’un juge par une femme, une veuve. De surcroît contestataire, au sens le plus strict de témoin de l’événement, donnant ainsi sa signification libératrice à toute l’histoire humaine, réalisée par la Pâque, sortie de l’ordre pyramidal pour l’entrée en émancipation, en “cordialisation” de la vie publique. Que fait donc cette femme pour être présentée en modèle de la prière ininterrompue par Jésus lui-même ? Elle va trouver un juge sans cœur qui n’a ni crainte de Dieu ni respect des hommes et elle lui crie du matin au soir : « Rends-moi justice contre mon ennemi ». Dans l’Evangile, pas un mot sur cet ennemi. Il est celui contre qui le juge doit rendre justice. Et le problème rebondit, s’élargit, s’amplifie jusqu’à devenir universellement subversif de tout pouvoir judiciaire avec son dernier déchet : le juridisme.
Le juge n’écoutait pas la femme. Mais soudain, il rentre en lui-même : « Même si je ne crains pas Dieu et si je n’ai aucun respect des hommes, parce que cette femme m’ennuie je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne pas sans fin me casser la tête ». Alors, d’un seul coup, la Parole en chair et en os, Jésus, illumine l’affaire de sa vérité jusqu’à ce qu’elle atteigne la Justice vive dont le pseudonyme par trop banalisé n’est autre que Dieu : « Ecoutez bien ce que dit ce juge sans justice. Et Dieu ne ferait pas justice à ceux qui crient vers lui jour et nuit ? Et il les ferait attendre ? Allons donc, je vous le déclare : il leur fera justice tout de suite ». (Luc XVIII, 1 à 8).
J’en déduis que la prière n’est rien si elle ne s’inscrit pas en acte de casser la tête à tous les juges injustes, à tous les dirigeants arbitraires du monde - jusqu’à ce qu’enfin, sur tous les débris de la lettre morte du juridisme et même du pouvoir judiciaire, du pouvoir tout court, ils réalisent la Justice. Eh bien, j’affirme que cette femme, donnée par Jésus en modèle d’incarnation de la prière existe parmi beaucoup d’autres, à l’île de La Réunion. Son nom est Madame Paul Albertine Louise Perez. Le 4 mai 2007, la Chambre des appels correctionnels de Saint-Denis a rendu contre elle un arrêt d’expulsion de son logement. Cet arrêt a ceci de remarquable qu’il a été prononcé au bénéfice de la commune du Tampon et au nom de son maire.
Une situation aussi scandaleuse fait de Madame Perez l’actualisation de la femme qui n’arrête pas de réclamer justice aux juges injustes.
Je ne peux donner ici qu’une simple ébauche du problème. Il me suffit de montrer le lien qui unit cette femme et ces deux prêtres de Jésus-Christ : ils ont ceci de commun que vise à les détruire une mesure négatrice de leur droit fondamental : le droit au logement.
Madame Perez vit sous la menace d’un arrêt d’expulsion qui n’attend pour se traduire en acte légal que le fait de lui être signifié. Reynolds Michel lui, a été expulsé de son domicile, le presbytère de La Rivière des Galets, pour activités sacerdotales qualifiées de contraires à l’ordre public, la dernière étant l’imprudence de m’avoir reçu, moi « prêtre crypto-marxiste communiste » selon l’expression de Michel Debré. Reynolds Michel a été par la suite renvoyé comme un simple objet, d’évêque en évêque, d’autorités d’Eglise en pouvoirs civils, beaucoup moins préoccupés de ce qu’il était que de la juridiction dont il dépendait.
Et le troisième, l’autre prêtre de Jésus-Christ, c’est moi. Après une vie de suspect pour cause de fidélité à l’audacieuse Parole faite chair, les usurpateurs dominicains du beau nom de frères m’ont fait le cadeau surprise pour mes 80 ans de me jeter dehors, n’hésitant pas à se rendre coupables d’une violation de domicile.
Nous voici donc un trio d’expulsés, victimes tous les trois d’un juridisme froid, tout l’opposé de la Justice vive. Au nom de Madame Perez, de mon frère Reynolds Michel et en mon nom propre, je dis à nos expulseurs : le Verbe meurt mais ne se rend pas. Et, depuis Waterloo, tout le monde connaît la formule brève.

Père Jean Cardonnel, de l’ordre des frères prêcheurs


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