Le Conseil constitutionnel juge inconstitutionnelles les gardes à vue de droit commun
samedi 31 juillet 2010
Selon un article du ’Monde’ dont nous reproduisons ci-après de larges extraits, le Conseil constitutionnel a déclaré, vendredi 30 juillet, inconstitutionnel le régime de gardes à vue pour les délits et les crimes de droit commun. Il demande l’abrogation des articles 62, 63, 63-1, 63-4 et 77 du Code de procédure pénale. La déclaration d’inconstitutionnalité ne prendra effet qu’au 1er juillet 2011. Les Sages laissent un peu moins de onze mois au gouvernement et au Parlement pour reconstruire un régime de garde à vue en France. Le Conseil constitutionnel a cependant jugé conformes à la Constitution les gardes à vue en matière de terrorisme et de criminalité organisée.
« La décision du Conseil constitutionnel est un coup de tonnerre. Les sages de la rue Montpensier considèrent que la garde à vue ne permet plus de concilier « d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ».
Les circonstances de fait et de droit ont changé depuis l’examen de la garde à vue par le Conseil constitutionnel en 1993, à commencer par « un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue », qui ont conduit à la « banaliser ». Il y a eu plus de 790.000 mesures de gardes à vue en 2009.
Le Conseil relève que les procédures soumises à l’instruction représentent moins de 3% des jugements et ordonnances correctionnelles. Conséquence : « Une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue ».
Les Sages notent aussi que le nombre d’officiers de police judiciaire a doublé depuis 1993, mais que « les exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire » ont été réduites.
Pour autant, les Sages ne remettent pas en cause le principe de la garde à vue qui « demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations ». Ils ne fixent pas de lignes de conduite précises au gouvernement pour rédiger son texte. Il ne donne pas son avis sur la présence de l’avocat lors des interrogatoires, par exemple. Au gouvernement d’apporter « les garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ».
En tant que juges, les Sages du Conseil ne disent pas au gouvernement ce qu’il doit écrire. Ils fixent les grandes lignes, tout en sachant qu’ils seront amenés à se prononcer une fois la nouvelle loi adoptée. Enfin, le Conseil constitutionnel ne censure pas les dispositions régissant les gardes à vue en matière de terrorisme et de criminalité organisée, qui permettent de détenir un suspect jusqu’à 96 heures. Il les a jugées constitutionnelles en 2004 ».
À plusieurs reprises, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné les États qui, tels la Turquie ou la France utilisent la procédure de garde à vue pour obtenir des gardés à vue qu’ils s’accusent eux-mêmes. En condamnant la pratique de la garde à vue, la CEDH a ainsi maintes fois réaffirmé que le droit fondamental à un procès équitable exige l’assistance d’un avocat dès le premier stade de la garde à vue. Sur ce point, la CEDH a estimé que l’article 6 § 3 c (droit à l’assistance d’un avocat) combiné avec l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des Droits de l’Homme exigent que l’accès à un avocat, au besoin commis d’office, soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police.
Le défaut d’assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire porte, dit la CEDH, « irréversiblement atteinte aux droits de la défense » et amoindrit les chances pour l’accusé, même s’il a gardé le silence, d’être jugé équitablement.
La CEDH ne se contente pas de formules vagues, au contraire elle est extrêmement explicite : « L’absence d’avocat lors de la garde à vue viole le droit de tout accusé à être défendu par un avocat ». Or, en France, on a le droit de rencontrer un avocat au terme de la 1ère heure de garde à vue, mais l’avocat ne peut pas vraiment défendre le gardé à vue puisqu’il ne sait rien du dossier. La CEDH estime que, pour que les droits de la défense soient respectés, il faut que l’avocat obtienne communication des pièces du dossier et qu’il assiste aux interrogatoires. C’est donc dès la première minute que l’avocat doit être présent.
La CEDH est très claire sur ces points qu’elle juge essentiels : « L’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres aux conseils. À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercé ».
Le Conseil constitutionnel met en garde contre une autre pratique condamnable
Lors du procès correctionnel intenté à Maurice Gironcel, Maître Rémi Boniface s’était élevé contre la généralisation de la pratique consistant pour un procureur de la République, de déclencher une enquête préliminaire, de placer en garde à vue une ou plusieurs personnes interrogées alors par des gendarmes puis, sur la base des procès-verbaux de gendarmerie, de traduire le gardé à vue devant un tribunal correctionnel où, comme cela s’est produit lors du procès correctionnel contre Maurice Gironcel, on retrouve au banc du Ministère public, le procureur qui a ordonné l’enquête et qui se base sur les seules déclarations recueillies par les gendarmes.
Mais qu’est donc devenu le juge d’instruction ? DIS-PA-RU-U ! IL A DIS-PA-RU ! et le procureur de s’énerver contre la protestation de Maître Boniface : « vous protestez, vous dites que les droits de la défense ne sont pas respectés alors qu’aujourd’hui, 97% des jugements en correctionnelle sont rendus à l’issue de ce type de procédure ! ».
Ben oui ! Des lustres durant, la garde à vue a été dénoncée comme un supplice, une torture. Chaque protestation était ponctuée des protestations indignées des partisans de cette justice moyenâgeuse. Et la CEDH y a mis fin, suivie par le Conseil constitutionnel. Alors, on hurle encore ?
Et la prochaine étape sera la censure de l’actuelle façon de faire : le procureur — dépendant du pouvoir politique (bonjour la séparation des pouvoirs !), déclenche l’enquête, les gendarmes placent en garde à vue, interrogent, font leur rapport qu’ils remettent au procureur. Le Procureur renvoie devant un tribunal correctionnel et, à l’audience, SURPRISE, SURPRISE, c’est le même procureur qui requiert ! Où donc est l’instruction par un magistrat indépendant ? Lavé, napi ! Mais la CEDH a mis dans son collimateur cette façon de fouler aux pieds les droits d’un justiciable, car les justiciables ont le droit, pour qu’un procès soit équitable, de faire entendre leur cause par un magistrat indépendant AVANT de comparaître.
Et le Conseil constitutionnel vient d’indiquer très clairement que, sur ce point également, il suivra prochainement la CEDH puisqu’aujourd’hui, il relève que les procédures soumises à l’instruction représentent moins de 3% des jugements et ordonnances correctionnelles. Conséquence : « Une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue ».
Le 14 juillet dernier, on nous a rappelé, avec raison, que la France était l’inventeur des droits de l’homme. Ce serait quand même bien, non ? qu’elle retrouve rapidement le mode d’emploi d’une si belle invention.
Jean Saint-Marc