Double acquittement à la cour d’Assises

Le pardon de Théo Hilarion emporte la décision des juges

27 juin 2008

Le verdict d’acquittement rendu hier par la cour d’Assise est celui des juges. Mais c’est Théo Hilarion, l’ancien docker occasionnel, qui a fait la décision. « En se libérant, il a libéré les deux autres » a dit l’avocat de la partie civile. Les leçons de ce procès pas comme les autres marquent une étape exceptionnelle dans la construction de la dignité réunionnaise.

A la sortie du tribunal.
(photo Imaz press Réunion)

Magnifique Théo Hilarion ! Droit dans la posture de dignité et de retenue qui est la sienne depuis le début, il a plus et mieux servi la cause des deux gendarmes que leurs deux avocats réunis. Surtout au moment du double pardon final, donné avant même l’énoncé du verdict. « J’ai une santé bousillée et je sais que cela va aller de pire en pire » - a dit l’ancien docker en réponse aux « regrets » que les deux gendarmes ont exprimés à la fin des plaidoiries. « Mais j’ai pardonné à Michelot avant même de le connaître. J’ai pardonné pour moi-même, pour continuer à avoir des forces, j’ai pardonné à M. “X”.
M. Gamet m’offre son aide. Quelle aide ? Laissez parler votre cœur et l’aide sera reçue pleinement. Si je ne vous pardonne pas, je ne pourrai pas vivre. J’ai eu une partie du puzzle de vérité. Je suis comme vous, La douleur ne peut mentir... Cela a été 14 années difficiles... La douleur continue, toujours là. Mais je vous pardonne »
. Ces derniers mots, spontanés, ont jailli du cœur du docker mutilé lorsque ce dernier s’est rendu compte qu’après tout ce qui avait été dit sur les mensonges des autorités et la "chape de plomb" refermée sur le tir des gendarmes, il avait en face de lui deux hommes seuls dans le box qui, s’il ne disait rien, allaient servir de boucs émissaires à la grande lâcheté du Système.
Pour le respect de la procédure - la parole devant revenir à la défense en dernier - le président Szysz a alors demandé aux deux gendarmes de répondre. Ils ont choisi le silence. C’est donc sur ces dernières paroles du docker que les jurés sont allés délibérer. Le verdict qui en est sorti, contre les réquisitions de l’avocat général qui avait demandé 5 ans d’emprisonnement avec sursis, est celui de l’acquittement.

Théo Hilarion a-t-il reçu, dans ce « procès des paradoxes » comme l’a qualifié son défenseur, à la mesure de ce que sa générosité lui a fait donner ? Certainement pas. Mais il a donné des leçons de dignité à tous.

La part du mensonge

Et pourtant... La dernière journée, comme les précédentes, a prolongé les procédés de fuite, après une longue procédure indigne de 14 ans, marquée par une conspiration du silence et une série de forfaitures sur lesquelles l’appareil vient de refermer les rouages de la connivence.
Jusqu’au dernier moment, la défense des deux gendarmes leur a fait réserver la part du mensonge. Me Bourdon, l’avocat de Gamet, n’a-t-il pas expliqué que si son client donnait toute la vérité qu’il a eu à connaître, ses supérieurs hiérarchiques - qui suivent le procès depuis Strasbourg, a-t-il dit - le lui ferait chèrement payer ?

L’avocat général a-t-il mieux relevé l’appel à la dignité lancé par Théo Hilarion ? Une habile mise en abyme des forfaitures commises par "les plus hautes autorités" lui a permis d’évoquer les errements successifs de la procédure, les entraves à la justice, sans les attribuer à un échec judiciaire.

« Il y a eu des pressions sur les gendarmes, des mensonges à tous niveaux : ils ont existé. L’existence du tir de Michelot est acquise, de même que l’existence d’un ordre donné » a dit en substance Jean-Pierre Basset. Evoquant l’usage d’armes et de munitions illicites, il a écarté la légitime défense, estimant que « l’usage de cette arme n’était plus légitime à ce moment-là ».

Mais, dans la logique de la connivence qui a conduit les deux gendarmes dans le box des accusés, l’avocat général reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre. Il concède une erreur sur la cartouche et l’absence d’un appareil de visée - qui pourtant scelle la forfaiture -, et fustige les deux militaires pour « les limites à l’honneur » posées par leur conduite. Il retient l’ordre donné par Charles Gamet et multiplie les déclarations de gendarmes qui permettront à la défense d’invoquer « le bénéfice du doute ». Il va, cautionnant l’irresponsabilité manifestée la veille encore par le commissaire de police Bonnafous, délégué du Préfet, jusqu’à imaginer une "préméditation" chez les dockers.

Après ces réquisitions, la défense a eu beau jeu de plaider, pour Michelot, la légitime défense et, pour Charles Gamet, le « bénéfice du doute », comme s’il n’était pas établi que les ordres donnés l’étaient au moyen d’un mégaphone.

La leçon de dignité de Théo Hilarion

Tout ceci nous apprend quoi ? Que vont nous laisser ces 14 ans de procédure ? Tout d’abord, la responsabilité des autorités dans les entraves à la justice est démontrée clairement. Le procès les a tous mis à nu : le préfet Fournier, qui prend l’écrasante responsabilité de mobiliser les forces de l’ordre pour une affaire privée, au service d’un patron qui est en train de violer l’accord issu de plusieurs semaines de négociations ; le procureur général Trucchi et le procureur Legras, le colonel Guillaume et jusqu’au juge d’instruction Philippe Hoarau qui, recevant le commandant de la gendarmerie avant sa mutation, en 1996, lui déclare : « Mon colonel, cette affaire est difficile. Je ne sais pas comment on s’en sortira ; il faut faire traîner »... Et pour traîner, ça a traîné... Encore douze ans !

Mais par ce procès, Théo a obtenu une partie du puzzle de vérité qu’il réclame depuis le début. Et en décidant de tourner la page, dans la magnifique attitude de pardon qu’il a eue hier, il a "fait" véritablement la décision des jurés. Même si ces derniers ont pris leur décision sur des raisons autres - et qui n’appartiennent qu’à eux - Théo avait choisi d’"acquitter" les deux gendarmes avant même l’énoncé du verdict.

Pendant toute cette longue procédure, Théo Hilarion a personnifié la lutte des dockers « pour la justice et la vérité » et pendant ce procès, il a montré que, dès lors que les faits ont été reconnus, même minimisés et même encore habillés de mensonges, le docker qu’il était, sait se comporter en digne représentant de tous les travailleurs réunionnais et choisir le pardon.
Il a toujours dit qu’il voulait « la vérité, pas la vengeance ». Il l’a magistralement prouvé hier, agissant « en seigneur » a dit son avocat (voir les réactions ci-dessous). Il a manifesté dans ce procès la plus haute intelligence, à la fois stratégique et humaine.
Après cette issue judiciaire, il est permis d’espérer que chacun en tirera les conclusions et que plus aucun pouvoir n’aura la faiblesse de recourir aux forces de l’ordre pour faire obstacle aux luttes revendicatives du mouvement ouvrier réunionnais.
Car si la bataille a été longue et incertaine, elle a permis aux Réunionnais de démontrer qu’ils savaient se mobiliser dans la durée pour la manifestation de la vérité.

P. David

Théo Hilarion

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