Le bâtonnier Hoarau poursuivi par la ministre de la justice

Le principe de liberté d’expression des avocats au cœur des débats

26 septembre 2008, par Sophie Périabe

C’est entouré de plusieurs dizaines d’avocats et de bâtonniers que Me Georges André Hoarau pénétrait hier dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Le bâtonnier en exercice au parquet de Saint-Pierre comparaissait pour avoir tenu des propos diffamatoires envers la ministre Rachida Dati lors d’une plaidoirie le 15 mai dernier. Mais au-delà de ces accusations contre le bâtonnier, c’est le principe même de l’immunité des parlementaires et des avocats précisé dans l’article 41 de la loi de 1881 que ce procès remet en cause.

De gauche à droite, Me Hoarau, Me isabelle Lauret, bâtonnier de Saint-Pierre, Me Keita et Me Lagourgue.
(photo SP)

C’est dans une salle comble, où la majorité de l’assistance portait des robes noires et un ruban bleu, que s’est ouvert hier le procès de Me Hoarau. Après que le président, Philippe Cavalerie, ait rappelé les faits, l’un des avocats de la défense, Me Djalil Gangate précise d’emblée, « cette affaire n’est pas banale puisque se pose une question sur un principe fondamental, celui de l’exercice des droits de la défense et de la liberté d’expression. Nous ne sommes pas là pour combattre madame Dati, ce n’est pas un règlement de compte, c’est une question de justice ». Plusieurs moyens de nullité de la procédure ont donc été apportés et notamment celui du temps de conjugaison employé par Me Hoarau lors de sa plaidoirie du 15 mai dernier. En effet, selon Me Gangate, le procureur de la République Patrice Cambérou est le seul à utiliser le temps présent alors que Me Haorau avait utilisé le passé : « Un procès qui n’aura jamais lieu, c’est celui de notre grand chef à tous, madame Rachida Dati, qui a utilisé un faux, un MBA » ; d’ailleurs le président d’audience du 15 mai a confirmé les dires de Me Gangate. De plus, Me Hoarau avait repris des propos de la presse nationale qui avait relaté cette affaire en 2007 et personne jusqu’ici n’avait fait l’objet de poursuite. Me Lambert, avocat de la défense, a aussi ajouté que « c’est le procureur Cambérou qui a induit Mme Dati en erreur car il s’est trompé dans le temps ». Mais à côté de ce débat sur le temps de conjugaison utilisé par Me Haorau, c’est bien la liberté d’expression des avocats de la défense qui est en jeu dans ce procès inhabituel.

Atteinte au principe de liberté d’expression des avocats

« Tout avocat est libre. Si les avocats ont des comptes à rendre sur les arguments des plaidoiries, où va-t-on ? Où est la liberté de la défense ? » demande Me Georges André Hoarau. Le procureur de la République a alors invoqué l’article 41 de la loi du 21 juillet 1881 en soulignant que « les propos de l’avocat doivent être rattachés au fait de la cause. En quoi le CV d’un ministre a-t-il quelque chose à voir avec un délinquant soupçonné d’escroquerie aux prestations sociales ? On ne parle pas de la même chose » s’est insurgé le procureur Camberou. Pour les avocats de la défense, la phrase en question a été prononcée dans une démonstration juridique, « comment déclarer que cette phrase est étrangère au fait de la cause ? ». Successivement, les avocats Me Gangate et Me Lambert des barreaux réunionnais, et Me Lagourgue, (désigné par le Conseil national des barreaux) et Me Keita (pour la Conférence nationale des bâtonniers), se sont attelés pour démontrer que ce procès portait atteinte à un principe fondamental de liberté d’expression de la défense. « La profession s’est battue pour ce principe » a insisté Me Lagourgue, « et aujourd’hui, nous sommes terriblement attaqués. C’est un moment important car c’est la liberté de l’avocat qui est en train de se jouer » a ajouté Me Keita à la sortie de l’audience. Pour Me Boniface, « ces poursuites sont grotesques et il était important que les avocats se mobilisent pour défendre ce principe ». Enfin, Me Hoarau a salué la « plaidoirie remarquable » de ces avocats car « c’est une affaire qui touche la profession d’avocat et ce dernier doit continuer à dire ce qu’il a à dire. Si on coupe la parole aux avocats, à qui doit-on la laisser ? » demande t-il. Le procureur a requis une amende de 5.000 euros à l’encontre de Me Hoarau ; le délibéré, très attendu, sera rendu le 3 octobre prochain.

Sophie Périabe

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